D'après une enquête de Jean Macabies et François Voisin pour Paris-presse, L'Intransigeant, 12 novembre 1966.

Patricia Viterbo : la mort d'une starlette

L'accident

Henri Garcin [1] qui conduisait la voiture raconte l'accident. « Je ne comprends pas... On est un honnête homme et d'un seul coup on devient un assassin... Je connaissais très bien cette voiture ; comment ai-je pu commettre une pareille faute ?... » C'est tout ce que pouvait répéter Henri Garcin à propos du drame des berges de la Seine, hier soir, après le spectacle du théâtre Antoine où ses amis ont dû le soutenir. C'est ce qu'il avait dit, déjà, hier après-midi pendant la reconstitution de l'accident.
Grelottant, le visage décomposé, drapé dans une couverture, il regardait, les yeux fixes, comme sans voir, sa voiture, une MG bleue décapotable, qui surgissait lentement de l'eau glauque. Puis, à bout de forces, il a détourné la tête pour cacher ses larmes. Devant nous, il a tenu à revivre son cauchemar :

    Le tournage du film avait commencé au cours de la matinée, raconte-t-il, sauf pour Patricia et moi. Si bien qu'à l'heure du déjeuner je l'ai invitée au Bar des Théâtres, avenue Montaigne. Je la connaissais peu car la majorité de ses scènes se passaient avec la vedette masculine du film, Jean-Claude Bercq. Nous avons bavardé. Elle était ravissante avec son petit tailleur de daim vert, ses bottes assorties et son chemisier blanc. Et heureuse : c'était son dernier jour de tournage. « Je pars en vacances à Courchevel ! », me disait-elle. « Mes valises sont prêtes ! »

    A 13 heures, elle décida de quitter le restaurant. Elle avait peur d'être en retard.

    Pour nous rendre sur les berges de la Seine, à proximité du pont d'Iéna où nous devions tourner, je lui proposai de monter dans ma voiture. « D'accord ! me dit-elle ; je laisse la mienne (une Sunbeam) ; je la reprendrai en fin de journée. »

    Dix minutes plus tard, nous parvenions sur les berges, entre la passerelle Debilly et le pont d'Iéna. Les machinistes s'activaient. En arrivant à leur hauteur, je baissai la glace de mon côté pour interroger Michel Bonnay, le régisseur. « On n'est pas tout à fait prêts ! me dit-il. Tu as tout le temps d'aller garer ta voiture. » Je repris donc ma route jusqu'à un élargissement de la berge qui fait parking. C'est alors que j'ai voulu me garer face à la Seine. J'étais en première. Mon pied a appuyé légèrement sur l'accélérateur au lieu du frein. Ma voiture de sport est très nerveuse. Elle a fait un bond, a sauté le trottoir haut de 16 centimètres et a fait un plongeon à plat dans la Seine, à 10 mètres de la rive. Aussitôt le poids du moteur l'a fait piquer du nez. J'ai entendu Patricia dire : « Je ne sais pas nager... » Mais elle ne criait pas, ne se débattait pas. Mon premier réflexe a été d'essayer d'arracher la capote. Mais l'eau montait. L'instinct de conservation m'a fait sortir par la glace qui était restée baissée, malgré un manteau très lourd qui me gênait aux épaules. Je suis remonté à la surface et en nageant j'ai réussi à m'accrocher à une péniche. On m'a lancé une corde. La voiture avait complètement disparu. Il y avait seulement de gros bouillons à la surface. J'ai crié. Le patron de la péniche est parti téléphoner... »

C'est cet homme affolé que l'équipe du film, qui n'avait rien vu de l'accident, regarda passer. Il criait :
Une voiture est à l'eau... Une voiture est à l'eau !
— Tout de suite,
dit Michel Bonnay, j'ai pensé à la voiture d'Henri. On s'est précipité. L'eau était noire. On ne voyait rien...
La brigade fluviale et les hommes-grenouilles plongèrent à plusieurs reprises pour sortir Patricia de la voiture. Les pompiers devaient, pendant un quart d'heure, pratiquer la respiration artificielle avant qu'une ambulance ne l'emporte à l'hôpital Boucicaut, où le décès sera constaté dès son admission.

Malgré les soins des pompiers qui vont pratiquer sur elle la respiration artificielle, la comédienne ne pourra être ranimée.

Paris-presse, L'Intransigeant, 12 novembre 1966.

 

 

Les pompiers sortent de la Seine la voiture d'Henri Garcin dont Patricia Viterbo n'a pas pu s'échapper.

Paris-presse, L'Intransigeant, 12 novembre 1966.

Le film

Le Judoka, agent secret était le onzième film de Patricia Viterbo, née au Vésinet il y a 27 ans et qui avait débuté dans la vie comme esthéticienne. Lucky lui apprit le métier de mannequin et Patricia fut pendant quelque temps la doublure de Victoire, le mannequin-vedette de Christian Dior. Johnny Hallyday la rencontra alors. Elle fut sa première « fiancée » . On vit l'idole du rock et le mannequin, la main dans la main dans tous les endroits à la mode. Leur idylle dura un an et, au moment de la rupture, Patricia voulut mourir.
Le cinéma la sauva. Eddie Constantine, qui avait remarqué Patricia dans un cocktail, en fit sa partenaire dans Des frissons partout. Après s'être contentée de fugitives apparitions dans des films comme Les gros bras (1964), Patricia venait de tourner successivement trois rôles plus importants : dans Deux sur la route (avec Audrey Hepburn), L'enfer est vide (avec Martine Carol) et surtout Sale temps pour les mouches où elle était une ravissante pin-up admiratrice du commissaire San Antonio. Ce dernier film devait sortir bientôt et Patricia était allée, l'avant-veille du drame, choisir la robe qu'elle voulait porter pour la première.
En apprenant la mort de Patricia, avant d'entrer en scène ce soir là au casino municipal de Biarritz, Johnny était bouleversé.

    C'est un nouveau coup dur pour moi, a-t-il dit. Patricia était une chic fille. Nous avons été fiancés pendant deux ans. Je l'avais revue cet été à Saint-Tropez. J'ai perdu aussi un autre copain, tout jeune lui aussi, il y a quelque temps. A qui le tour maintenant ? Peut-être à moi. Ah ! quelle série noire.[2]

Le Judoka, agent secret est-il un film qui porte malheur ? Le cascadeur Gilles Delamare devait le réaliser pour ses débuts de metteur en scène. Un mois avant les prises de vues, il se tuait, le 30 mai dernier [1966] en tournant une scène de cascade pour Le Saint prend l'affût. Le Judoka fut retardé. Début octobre, le film commençait enfin, sous la direction d'un autre metteur en scène, Bernard Zimmer.
Le film continue, sans Patricia. Après l'accident, Bernard Zimmer et son équipe sont allés filmer dans Paris. Mais, naturellement, toutes les séquences dans lesquelles jouait Patricia devront être tournées à nouveau avec une autre comédienne. Le drame de la jolie Patricia Viterbo sera ainsi la chance d'une actrice encore inconnue. [3]
C'est aussi la loi du spectacle !

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    Notes et Sources :

    [1] Henri Garcin sera, 20 ans plus tard, le maire (de fiction) du Vésinet dans le feuilleton fleuve Maguy au côté de Rosy Varte et Jean-Marc Thibault. Le soir même de l'accident, il jouait au théâtre Antoine une pièce intitulée "La prochaine fois, je vous le chanterai" de James Saunders. L'Intransigeant, 12 novembre 1966.

    [2] Johnny lui dédiera une chanson, Maudite rivière, qu'il avait enregistrée l'année précédente. Dans une de ses autobiographies publiée une quinzaine d'années après les faits, Johnny écrit : "La première fille avec laquelle j'ai vécu s'appelait Patricia Viterbo. C'était une belle fausse blonde que j'ai eu le temps de voir brune. Une actrice qui a joué dans les adaptations cinématographiques des romans de Frédéric Dard. Elle m'impressionnait. Un soir, elle était en tournage au bord de la Seine. On la filmait dans une voiture. Le frein à main n'était pas serré. La voiture a percuté le pont et l'a défoncé, elle est tombée à l'eau. Patricia ne savait pas nager, elle est morte noyée. Mes placards étaient pleins de ses vêtements, de son odeur. Elle avait 27 ans." Johnny Hallyday, Johnny raconte Hallyday, Édition n°1, Filipacchi, 1979.

    [3] Patricia Viterbo ne fut pas remplacée dans Le judoka. Elle avait achevé la plus grande partie de son rôle, expliqua Pierre Zimmer, réalisateur du film. II manquait une séquence dans une salle de judo. On lui substitua un dialogue entre le judoka (Jean-Claude Bercq) et son ami (Henri Garcin). Paris-presse, L’Intransigeant 17 novembre 1966.

 


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