Une critique de A.B. dans La Quotidienne, 12 avril 1846 [1]

    L'Art des Jardins

    ou Etudes théoriques et pratiques sur l'arrangement extérieur des habitations,

    suivi d'un Essai sur l'Architecture rurale, les Cottages, et la restauration pittoresque des anciennes constructions,

    par M. le comte de Choulot.

Jamais le goût des fleurs, des jardins et des parcs, n'a été plus répandu qu'aujourd'hui. C'est sur cet arrangement extérieur des habitations que M. de Choulot, a fait des études pratiques, et c'est de son introduction à cette science difficile, et que beaucoup cependant croient aisée, que nous voulons entretenir nos lecteurs. M. de Choulot, considérant les jardins sous le rapport de l'art s'exprime ainsi :

    « Agrandir l'art, c'est contribuer au progrès de l'intelligence ; c'est ajouter aux jouissances de l'esprit les sensations exquises, mais indéfinissables du beau ; c'est forcer le goût des peuples à se fondre, par des rapports intimes dans l'harmonie générale de l'univers. L'art, considéré sous ce point de vue, est un puissant moyen de civilisation. »

Voilà pourquoi, l'artiste, qui comprend sa mission, cherche, sans cesse, à dégager son esprit des chaînes de l'habitude et de l'empire tyrannique de la mode, pour saisir à travers les besoins factices et passagers, les besoins réels de son époque.
Tout d'abord, l'auteur envisage son sujet d'un point de vue élevé. Il juge ainsi les jardins de Le Nôtre et pense, avec raison, que le système de ce célèbre dessinateur serait aujourd'hui parfaitement en désaccord avec nos mœurs, nos fortunes, nos habitudes.

    « Les jardins français furent l'expression de la société du XVIIe siècle, il y avait dans leur arrangeaient une certaine pompe qui en imposait à l'imagination. Une symétrie, je dirais presque une étiquette rigoureuse, unes lit chacune des parties qui les composaient. Toutes ces lignes horizontales, si minutieusement combinées, happaient les yeux, mais le cœur et l'esprit n'y trouvaient pas plus d'alimens que dans une figure de géométrie. Malgré tout ce que la puissante imagination de le Nôtre a su faire, on ne peut s'empêcher de regarder les jardins français, plutôt comme un abus de l'art que comme une création utile du genie. L'Angleterre fut la première à s'affranchir de ce luxe outré de la décoration, pour se rapprocher de la nature. »

C'est, en effet, l'Angleterre qui, si souvent, nous impose ses goûts, qui a changé le système des jardins en France, et nous croyons que les premiers essais de l'innovation, en ce genre, ont été les jardins de Mortefontaine et d'Hermenonville, célébrés, à juste titre, par les contrastes qu'offre une nature tour à tour sévère, gracieuse ou pittoresque embellie par un peintre habile. Avec le progrès que l'on signale en Angleterre, progrès tendant à une unité et une harmonie qui annonce la marche progressive de la civilisation, « les accidens d'une nature sauvage et repoussante s'effacent du sol », dit M. de Choulot ;

    « Les villes se régularisent, les provinces se relient entre elles par des campagnes soigneusement cultivées ; les arbres qui entourent la ferme, qui ombragent la chaumière se marient aux massifs des grands arbres du parc qui entourent le château ; la vie du pauvre et du riche, la vie de l'industriel et de l'agriculteur se fondent dans une harmonie générale ; le pays tout entier, sous l'empire de l'art et de la nature, offre l'image d'un accord parfait qui, à la longue, réagissant sur les mœurs de la famille et de la vie politique, combat les tendances funestes de l'égoïsme et crée le respect pour la propriété, l'amour de l'ordre et de sa conservation qui de viennent le fondement durable sur lequel grandit l'esprit national. Que de dessinateurs paysagistes, lorsqu'ils ont à créer un jardin ou un parc, méconnaissent l'importance de leur mission, ne considèrent que les quelques arpens qu'ils ont à dessiner, ne s'occupent point du pays environnant, des bois, des eaux, des montagnes, de la lumière, des ombres, des accidens innombrables avec lesquels doit s'harmoniser leur œuvre ! Que de dessinateurs de jardins anglais, qui jamais n'ont été en Angleterre, et qui portent dans tous les lieux le même calque, vous promènent dans les mêmes courbes, vous ombragent du même massif et semblent prendre à tâche de dérober aux yeux les plus beaux points de vue d'une nature grandiose et riche en inspirations, pour y substituer on ne sait quelle bizarre construction appelée fabrique. Les hommes ignorent sans doute que ce qui peut être utile et beau dans un pays, n'est, dans un autre, qu'une imitation puérile et sans but. Entre de telles mains, l'art est devenu stationnaire : nous nous trompons ; il a marché, car, souvent il est arrivé au ridicule. Telles ne sont point les doctrines de M. de Choulot : " L'objet que l'on doit se proposer, en créant un parc, c'est de l'harmonier [sic] avec les campagnes qui l'entourent ; c'est qu'il paraisse beau, non seulement à l'intérieur, à l'œil du propriétaire, mais encore à l'extérieur, aux regards du voyageur étonné des rapports qui unissent ce jardin au pays tout entier. Sans cette liaison intime d'une partie avec le tout, on exécuterait laborieusement une œuvre incomplète et sans grandeur. »

Une des causes de cette décadence de l'art est celle-ci : Beaucoup ont imaginé que le goût suffisait pour créer un jardin, que le goût tenait lieu d'expérience. Erreur ! Le goût et le sentiment du beau peuvent ici servir à juger et à apprécier, mais non à exécuter, dit M. de Choulot. Nous partageons complètement ses idées ; nous avons vu des jardins d'amateurs, et nous n'avons, le plus souvent, observé que fautes contre le goût et contre la nature, dans l'agencement des lignes, l'emplacement des massifs, la plantation des arbres, etc. Il résulte des théories de M. de Choulot, exposées succinctement, avec une grande clarté, intelligibles à tous, qu'il ne suffit pas de dessiner un parc, qu'il faut le peindre. Aujourd'hui, il faut pour les jardins et pour les parcs une méthode nouvelle pour des besoins nouveaux, et cette méthode nouvelle, nous osons l'affirmer, M. de Choulot en est l'inventeur et le créateur. Nous avons vu des parcs ornés et des parcs agricoles dessinés par M. de Choulot, et recevoir une approbation complète de personnes les plus aptes à juger ce qui est beau, utile et agréable. Les premiers, les parcs ornés, satisfont aux exigences des personnes riches qui veulent un parc entretenu avec luxe, orné d'arbres précieux, embelli par les arbustes les plus rares, et les fleurs les plus belles. Les seconds, les parcs agricoles peu dispendieux, réunissent ce que l'on voit surtout en Angleterre, l'utile à l'agréable. La culture y tient la place la plus large, la nature, embellie par l'art et le génie du dessinateur, cultivée par des mains habiles, présente l'aspect le plus riant; elle est belle et féconde. Au milieu d'une telle nature, l'homme est heureux, et son cœur est rempli de reconnaissance vis-à-vis la Providence, car c'est pour l'habitant, des campagnes, plus que pour tout autre, que la nature prodigue sa magnificence et ses trésors. M. de Choulot a joint aux études les plus sérieuses sur l'art des jardins, des études non moins difficiles et non moins intéressantes sur l'architecture rurale, les cottages et la restauration pittoresque des anciennes constructions. Lorsque l'on parcourt notre beau pays de France dont les sites et les climats sont si variés, on peut remarquer que l'architecture des châteaux ou des habitations de la campagne est à peu près la même partout d'une monotonie insipide; à l'exception ces châteaux du moyen-âge ou de la renaissance dont les ruines sont croulantes, mais que des mains intelligentes cherchent partout à restaurer, bien peu d'habitations sont belles ou gracieuses. L'Angleterre a beaucoup à nous apprendre en ce genre, et la cause en est que la vie de campagne est plus dans les habitudes des personnes riches qu'elle ne l'est encore en France. M. de Choulot a longtemps habité l'Angleterre, terre classique des jardins payagers, ce pays où l'on sait rendre gracieux à l'œil et commodes pour les habitudes de la vie, les plus petits cottages. Il a vu l'Italie et ses villa, le Piemont et sa nature accidentée, l'Allemagne et ses châteaux gothiques entourés de forêts séculaires, sombres et mystérieuses, la Russie et la Suède, où l'Art soutient une lutte continuelle contre la nature. M. de Choulot, lorsqu'il crée un parc, construit une villa ou un cottage, ou restaure un vieux château, recueille ses nombreux souvenirs et le fruit de ses études sur l'art et la nature, études faites pendant quinze ans sous l'inspiration du célèbre Bertaux alors que Bertaux embellissait Chantilly, Saint-Leu, Mortefontaine, apanages de Monsieur le duc de Bourbon. L'art compris comme le comprenait Bertaux, agrandit la pensée ; exercé par les motifs qui ont déterminé M. de Choulot, l'art est ennobli par le travail.

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    [1] La Quotidienne, journal royaliste, a changé plusieurs fois de nom durant la Révolution, l'Empire et la Restauration avant de retrouver, en 1814, son titre initial. Quelque trente ans plus tard, en 1847, il fusionnera avec La France et L'Écho français pour former L'Union monarchique. Le présent article est signé des initiales A.B.

 


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