D'après L. Cherrié, Le Mercure parisien (sciences, littérature, études de mœurs, théâtres, poésie, peinture, modes, bibliographie, commerce et industrie) 5 janvier 1856

La maison Alexandre, éventailliste

La clôture de l'Exposition universelle n'a point affaibli l'intérêt du public pour les merveilleuses créations qui se sont établies dans le Palais de l'Industrie. Aujourd'hui qu'il est possible de séparer le bon grain de l'ivraie, aujourd'hui que le jury a définitivement prononcé, le devoir de la presse est d'appeler de plus en plus l'attention sur les produits d'un, mérite exceptionnel. C'est à ce titre que nous croyons devoir mentionner la maison Alexandre. Les détails suivants, empruntés à L'Europe artiste et publiés sous la signature de M. Charles Desolme, nous paraissent résumer d'une manière exacte les travaux d'un artiste tout à fait hors ligne dans sa spécialité.

La Charité. - Eventail avec feuille en soie peinte, signé Alexandre. Monture en ivoire sculpté (vers 1860-1870)

Collection Philippe Fuzeau. [1]

    Le premier de nos éventaillistes français, M. Alexandre, dont le nom et la réputation reçoivent en ce moment un si grand éclat de l'Exposition de l'Industrie, vient d'opérer dans la fabrication des éventails une véritable révolution à laquelle sont acquises toutes les sympathies des artistes et du public. Depuis longtemps, ce fabricant distingué, artiste, lui-même, avait conçu le projet d'inaugurer pour l'éventail une ère de rénovation qui prit date de l'époque actuelle, et il travaillait à créer une école nouvelle, un genre moderne digne de se substituer au style ancien du dix-huitième siècle et qui, au point de vue du travail de la feuille, des dessins et de la monture, n'eût rien à redouter de la comparaison, et put la défier au contraire.

    Les illustrations les plus élevées dans le monde des Beaux-Arts ont chaleureusement applaudi à l'initiative de M. Alexandre, et MM. Horace Vernet, Ingres, Léon Cogniet, Robert Fleury, tous membres de l'Institut, ont accordé leur concours à l'artiste fabricant, qui s'est également assuré la coopération directe de MM. Hamon, Vidal, E. Lami, Diaz, Gérôme H. Baron, Faustin-Besson, Anligna, Edouard de Beaumont, Auguste Gendron, etc., et d'une vingtaine de célébrités du même ordre dont le nom a, par lui-même, une signification artistique trop précise pour qu'il soit nécessaire de le faire autrement ressortir. [2]

    L'industrie des éventails se divise en deux grandes catégories : la fabrication riche essentiellement artistique et la fabrication plus spécialement commerciale et qui se subdivise en différentes classes suivant la nature, l'origine et l'importance des sujets et le degré plus ou moins grand de la richesse et de l'élégance des montures. Il nous a paru intéressant d'appeler l'attention sur les différentes divisions qui constituent l'ensemble de la fabrication de M. Alexandre, et qu'il convient d'établir ainsi :

      Première catégorie. Éventail avec feuille d'artiste, unique, originale, signée des noms indiqués plus haut, exclusif de toute reproduction, monture ornée de bijouterie. Ces objets d'art, du prix moyen de 3.000 frs, peuvent s'élever jusqu'à 10.000 frs. [3]

      Seconde catégorie. Éventail composé par des artistes avec feuille de maîtres, peintures originales et sans reproduction, du prix de 600, 1.000, 1.200 et 1.500 frs.

      Troisième catégorie. Éventail avec feuille, copie des maîtres par leurs premiers élèves, du prix de 300, 200 et 100 frs.

      Quatrième catégorie. Éventails fac-simile, avec reproductions des oeuvres ou originaux dus aux artistes éventaillistes, spécialement destinés au commerce d'exportation et qui peuvent être vendus depuis 36 frs jusqu'à 30 frs la douzaine.

    Tout ce système de fabrication, quelle que soit la catégorie à laquelle il se rapporte, a pour but, dans l'idée de M. Alexandre, de remplacer, par des oeuvres originales, marquées au coin du goût et du progrès modernes, la copie du vieil éventail Louis XV, dont nous n'entendons point déprécier la gloire ancienne, mais qui ne saurait conserver indéfiniment la prétention de personnifier la fabrication la plus ingénieuse, la plus parfaite, la plus digne d'être préférée. Suivant nous, M. Alexandre a bien mérité de son art en ne ménageant ni les veilles, ni les travaux, ni les sacrifices pour l'arracher aux errements de la routine et fonder sa régénération.— Le succès qui a pris sous son patronage la réalisation de cette idée toute nationale, les adhésions qu'elle a reçues de tous côtés, l'accueil que lui ont fait les artistes dont les oeuvres pourront ainsi se faire plus universellement apprécier, prouvent que M. Alexandre a parfaitement compris le goût et les besoins de l'époque actuelle, qui, dans les arts et dans l'industrie, sait protéger le mérite réel et lui rend prompte et bonne justice. La création du style du dix-neuvième siècle, cette rénovation hardiment accomplie, de l'éventail, est un titre nouveau qui s'ajoute à l'autorité du nom de M. Alexandre. Désormais, le temps est passé des copies banales du genre Louis XV et des mauvaises lithographies, et le nouveau salon d'éventails modernes, que M. Alexandre a ouvert, et qui a déjà reçu la visite des appréciateurs les plus compétents, est le témoignage le plus éclatant du progrès que cette magnifique industrie, grâce à l'énergique persévérance, à la volonté artistique et a l'esprit initiateur de ce fabricant.

Nous n'ajouterons rien à cette appréciation, dont la parfaite exactitude sera reconnue par tous les juges compétents. On sait de quelle vogue jouit depuis longtemps la maison Alexandre. Les suffrages éclatants du jury de l'Exposition Universelle viennent de consacrer définitivement sa réputation. [4]

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    Notes SHV.

    [1] Illustration tirée de l'article de Georgina Letourmy-Bordier - Félix Alexandre, un éventailliste pour l’Impératrice. Revue Napoléon III, n°46, 2019.

    [2] En 1875 à l'Hôtel Drouot, du 10 au 14 mai, eut lieu la vente par les soins de Me Charles Pillet, assisté de M. Durand-Ruel, de la collection de Félix Alexandre. Cette collection comptait : – 1) des feuilles d'éventails dont quelques-unes signées : H. Baron, Bayalos, Ed. de Beaumont, J. Calamatta, A. Couder, Aug. Delacroix, A. Dumaresq, Th. Fragonard, Français, Gendron, Hamon, Ingres, Eugène Lami, E. Lévy, Luminois, Célestin Nanteuil, J. Ouvrié, Picou, Provost, Reignier, Th. Rousseau, Veyrassat, etc. 2) des aquarelles et dessins par Allongé, Andrieux, Barye, Bellangé, Brion, J.-L. Brown, Chaplin, Couture, Gérôme, Isabey, Moreau, Palizzi, Voillemot, Waltier, Wild, Ziem ; 3) des éventails à riches montures en vernis Martin, en nacre, en ivoire avec peintures anciennes. Chronique des arts et de la curiosité, supplément à la Gazette des beaux-arts, 8 mai 1875.

    [3] Selon les sources, la valeur de 1000 frs 1875 transposée en euros 2018 varie de 3000 à 300.000 euros, selon qu'on le rapporte au cours du lingot d'or ou à une estimation du « pouvoir d'achat » !

    [4] Le ministre de la Maison de l'Empereur (de Russie) informait par voie de presse « M. Alexandre, éventailliste, 14, boulevard Montmartre, à Paris, que SM l'Empereur de Russie a daigné le nommer fournisseur de SM l'Impératrice, avec autorisation de joindre à ce titre, où il appartiendra, les armes de l'Empire. » La Liberté (Paris) 25 juin 1872.


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