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Un avion s'écrase au cœur du Vésinet

Le samedi 21 juillet 1951, un petit avion de tourisme de type Norécrin (SNCAN) s'écrasait en plein cœur du Village du Vésinet. Les cinq occupants furent tués. Dès le lundi, la presse se fit l'écho de cet événement tragique.

    C'est un accident vraiment effroyable que celui de cet appareil Norécrin qui s'est écrasé, samedi après-midi, en plein cœur du Vésinet, rue Ernest-André, à quelques mètres de deux maisons. Arrivé au-dessus du Vésinet, l'appareil attira, par son vol anormalement bas, l'attention d'un brigadier réglant la circulation, qui releva son numéro d'immatriculation. Selon divers témoins, l'appareil vira ainsi, plusieurs fois au-dessus de Chatou et du Vésinet, descendant au-dessus d'un court de tennis, revenant sur ses précédents passages. Soudain, il piqua vers le sol. C'est, heureusement, dans un étroit terrain vague séparant deux immeubles que le Norécrin percuta, défonçant complètement un mur de clôture. Lorsque les pompiers arrivèrent sur les lieux, ils trouvèrent dans la carcasse démantelée et broyée de l'appareil, les corps inanimés et défigurés des cinq occupants. Le pilote, M. Robert Henrard, 25 ans, un copilote, M. Lucien Francelet, 37 ans, M. Hubert Gaubo, 24 ans, de nationalité hollandaise, M. Charles Hélias, 31 ans, et M. Jean Renous, 14 ans.

    M. Henrard avait voulu tenir une promesse : faire ses adieux à sa belle-sœur qui, partant pour la Norvège, attendait à la gare du Vésinet le train qui devait la conduire à Paris. C'est sous les yeux de sa femme que l'infortuné pilote s'est écrasé avec ses compagnons. [1]

Le même jour, l'Aurore [2] publiait en première page une photographie du crash à l'appui de son titre :

A bord d'un Norécrin un jeune imprudent donnait le baptême de l'air à des amis.

L'avion s'écrase en plein centre du Vésinet. Cinq passagers tués.

 

... Cette saisissante photographie a été prise depuis un toit voisin,

quelques minutes après que le « Norécrin » se fut abattu sur Le Vésinet, semant l'effroi dans la population.

- L'Aurore, 23 juillet 1951 -

 

L'article en page intérieure apporte quelques précisions tirées des témoignages et quelques approximations :

    [...] L'accident endeuille la famille d'un as des deux guerres, M. Henrard dont le fils Robert, âgé de 25 ans et lui-même pilote, avait voulu faire une promenade avec quatre amis qui prenaient le baptême de l'air à bord d'un Norécrin. Le Norécrin est un appareil extrêmement léger et très maniable, un peu trop même lorsque le pilote n'apporte pas toute l'attention nécessaire. [3]

    [...] Il survola donc la petite ville [Le Vésinet] en descendant de plus en plus bas jusqu'à une altitude d'environ 25 mètres. A cette hauteur, il est absolument impossible de reprendre en main un appareil surchargé — comme l'était le Norécrin — en cas de fausse manœuvre. Le malheureux imprudent [4], passant au-dessus de la gare, pencha l'avion pour faire des signes à la jeune femme qui, sur le quai, applaudissait ; et c'est alors que son appareil échappa à son contrôle pour aller s'écraser. Les cinq occupants furent tués sur le coup: C'étaient, outre le jeune homme, son petit beau-frère âgé de 14 ans, un autre aviateur, Lucien Francelet et deux opérateurs photographes, José Cambu, 24 ans, sujet néerlandais, et Charles Hélias, 26 ans.

Der Flugzeugunfall vom Vesinet [rue Ernest-André]

Le' Républicain du Haut Rhin (édition allemande) 24 juillet 1951.

Parmi les victimes se trouvait un « sujet néerlandais » dont l'identité fut diversement rapportée : José Cambu, Hubert Caubo ou Gaubo ? Le journal néerlandais Limburgsch Dagblad, qui publiera un article illustré sur l'accident quelques jours plus tard, précisera que Hubert Caubo, journaliste photographe de 24 ans, était originaire de la ville de Schaesberg (commune de Landgraaf, dans la province du Limbourg). [5] Hubert Joseph dit Joss Caubo (1927-1951) naturalisé français, avait participé à la Résistance contre les nazis dans un réseau franco-néérlandais où plusieurs de ses parents avaient laissé la vie. Il était apparenté à Hubert Joseph Caubo (1863-1926) pionnier du cinéma aux Pays-Bas.

Premier avion de tourisme français de l'après-guerre, le Norécrin était produit par la Société nationale des constructions aéronautiques du Nord (SNCAN), absorbée plus tard par Nord-Aviation puis par la SNIAS, future Aérospatiale quand Nord-Aviation et Sud-Aviation seront fusionnées. Le Norécrin aura ainsi été un acteur majeur de l'aviation légère des années 1945 à 1970, dans les aéro-clubs ou aux mains de particuliers. Ce fut le monomoteur le plus répandu entre 1946 et 1955, avant l'arrivée de la gamme des Rallye.
L'accident semblant dû à l'imprudence d'un jeune pilote, par le poids anormal imposé à un appareil dont il avait voulu, semble-t-il, exiger des performances quasi acrobatiques, selon les récits des témoins, incita la justice à rechercher les causes et les responsabilités. M. Pérault, juge d'instruction chargé de l'enquête, désigna un expert, M. Gauthier, directeur technique des usines Morane-Saulnier, pour rechercher les causes exactes du sinistre. [6]
L'avion accidenté, immatriculé B-2464 F-BFLF (29/03/1950) construit par la SNCA-Nord était du type Nord 1203/11 n°270. Il appartenait aux Ets Jules Richard 25, rue Mélinge à Paris 19ème. Il était basé à l'aérodrome de Guyancourt d'où il était parti à 15h30.
[7] L'enquête a établi que Lucien Francelet, pilote confirmé, et non Robert Henrard était aux commandes de l'avion lorsqu'il s'est écrasé au Vésinet. L'appareil était effectivement surchargé puisque ses caractéristiques techniques lui attribuaient 3/4 places et non 5. [8]
L'habituel utilisateur de l'avion était Roger Henrard, un aviateur-photographe demeurant à Croissy, avenue des Tilleuls, qui se trouvait en déplacement à l'étranger au moment des faits.
La revue municipale Côté Croissy a consacré une notice biographique à Roger Henrard [9] dont est tiré l'extrait suivant :

    « L'enragé du ciel » (ainsi se définissait-il) naît à Paris en 1900. Peu intéressé par les études, il se lance dès l'âge de 16 ans dans la vie active et exerce plusieurs petits métiers avant d'être engagé par les Établissements Schmidt, les constructeurs du Bréguet 14 (célèbre avion de la Grande Guerre) où il est chargé du montage des instruments de bord. En 1918, il obtient, peu avant l'armistice, son affectation militaire dans un centre de formation de pilote.

    Après-guerre, il rejoint son père dans les Établissements Jules Richard, une usine du 19e arrondissement où sont fabriqués de nombreux instruments de mesure et de photographie, notamment le célèbre vérascope (appareil photo stéréoscopique). Quand son PDG Jules Richard meurt en 1930, il lègue la majorité de ses actions et de ses biens à son plus proche collaborateur : Léon Henrard (père de Roger) qui prend ainsi la direction de l'entreprise. Devenu l'assistant de son père, Roger va pouvoir combiner sa passion pour le vol et ses compétences techniques de photographe.

    En 1933, il acquiert un vieil avion Farman, qu'il équipe, pour ses prises de vue, d'un appareil à la pointe de la technologie de l'époque, le planiphote automatique (commercialisé par son entreprise), permettant le "mitraillage" photographique en volant à 100 km/h.

    L'hebdomadaire L'Illustration publie en 1938 ses premières vues aériennes de Paris, et de 1938 à 1939, les services secrets lui confient des missions d'espionnage aérien au-dessus de l'Allemagne. Roger y prend plus de 10.000 clichés…

    En 1939, il est mobilisé comme pilote de chasse dans l'escadrille de Jules Roy avec qui il se lie d'amitié. En 1942, il rejoint les forces alliées en Afrique du Nord. A la fin de la guerre, il s'installe avec sa femme et ses deux enfants à Croissy, dans une belle villa de la fin du XIXe siècle, œuvre de l'architecte Tropey-Bailly, située en bordure du fleuve à la limite de Chatou. Il y demeurera plus de 30 ans.

En 1952, son ami Jules Roy qui fut son chef durant la guerre, lui consacrera un long article paru dans Carrefour (La semaine en France et dans le monde) sous le titre La vie aventureuse de Roger Henrard, risque-tout par plaisir et pour l'honneur.

Roger Henrard, aviateur-photographe, prêt à prendre place au poste de pilotage de son Potez-39 (1940).

Un récit d'aviation par Jules Roy, Le Carrefour, n°424, 1952.

C'est à cette époque que Roger Henrard décida de se consacrer exclusivement à la photographie aérienne, quadrillant la France entière. Jusqu'aux années 1970, ses vues aériennes obliques en noir et blanc des communes françaises ont été très largement diffusées par les principaux éditeurs de cartes postales.
Roger Henrard est mort en juin 1975 dans sa propriété de l'avenue des Tilleuls, à Croissy. En 2016, la Ville de Croissy (archives municipales) avec le partenariat du Département (archives départementales) et des communes de Chatou, Le Vésinet et Le Pecq (archives municipales respectives) lui ont consacré une exposition présentant ses clichés de la région. Le Musée Carnavalet conserve un fonds de 1750 de ses photographies. Henrard avait réussi, pendant plus de vingt ans, à convaincre les autorités civiles et militaires de le laisser survoler la capitale à très basse altitude pour réaliser, entre autres ces 1750 clichés. Dans une exposition-dossier gratuite présentée du 7 novembre 2006 au 7 janvier 2007, dans le cadre du Mois de la Photo, le musée Carnavalet avait présenté un ensemble de 65 de ces vues aériennes de Paris : Le Tour de Paris - Promenades aériennes de Roger Henrard. Cette collection constituait un reportage unique et inédit sur l’architecture et l’urbanisme parisien, notamment sur les nouveaux aménagements réalisés entre l’après-guerre et les années 1970. Le visiteur pouvait ainsi survoler le plateau Beaubourg et les Halles de Baltard, les anciennes gares Montparnasse et de la Bastille, l’immense chantier du périphérique, « la zone », les constructions des tours parisiennes et de la Maison de la Radio, ainsi que le nouveau quartier d’Italie. [10]
L'Institut Géographique National détient aussi de nombreux clichés de l'aviateur-photographe.

Marc-Robert Henrard, petit-fils de Roger et fils posthume de Robert qui trouva la mort dans l'accident du 21 juillet 1951, est venu au monde quelques mois après le drame. Il a bien voulu confier ses souvenirs et les éléments de la tradition familiale à la Société d'Histoire. [11] Madame Henrard, sa mère, était la fille de Charles Renous (1897-1985), un médecin bien connu au Vésinet. Roger Henrard ayant connaissance d'une faiblesse technique de son avion, stationné à Guyancourt, en avait interdit l'utilisation. Les familles Renous et Henrard étaient réunies au Vésinet, le 21 juillet, pour fêter les 25 ans de Robert. Roger Henrard était alors aux États-Unis.

Le monument funéraire du caveau Renous – Henrard où furent inhumées deux des victimes

et 25 ans plus tard, Roger Henrard. Cliché SHV, C. Ghestem.

Robert Henrard fut inhumé avec Jean Renous au cimetière du Vésinet, dans un caveau appartenant au docteur Renous. Ce dernier proposera plus tard à Roger de reposer auprès de son fils. Ainsi, à sa mort en 1975, Roger Henrard fut enterré dans ce même caveau.

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    Notes et sources :

    [1] L'Aube, 23 juillet 1951.

    [2] L'Aurore, 23 juillet 1951. L'article précisait que quatre accidents d’aviation avaient marqué tragiquement la journée de ce samedi en France et à l'étranger, deux d'entre eux faisant six morts en Île-de-France.

    [3] Le Norécrin, un petit avion très léger et très maniable, était-il très sûr ? Cinq appareils du même modèle ont été accidentés à la même époque, au printemps et en été 1951, en France métropolitaine et outre-mer.

    [4] Paris-presse-L'Intransigeant, 1er août 1951.

    [5] Limburgsch Dagblad, n°162, 25 juillet 1951.

    [6] Le Monde, 24 juillet 1951.

    [7] Direction générale de l'aviation civile, service des transports aériens, bureau immatriculations : Archives (1947-1950).

    [8] Côté Croissy n°25, mars 2007.

    [9] Jules Roy. Carrefour- La semaine en France et dans le monde, n°424, 29 octobre 1952.

    [10] L'exposition a fait l'objet d'un catalogue de 320 pages avec des textes de Jean-Louis Cohen. Coédition Dominique Carré éditeur/Paris-Musées, 2006.

    [11] Propos recueillis par C. Ghestem pour la SHV, 15 avril 2019.


Société d'Histoire du Vésinet, 2020 • www.histoire-vesinet.org