D'après Jean Châtaigner dans Le Journal (n°13434) du 29 juillet 1929.

Propos d'un banlieusard

C'est avec tristesse que nous devons avouer que la plupart des sites magnifiques de la banlieue ont été saccagés par l'industrie envahissante. Et s'il subsiste encore de ci, de là, quelques belles régions nous les voyons gravement menacées. Constatation pénible qui nous fait désespérer du bon sens français. Car il suffit simplement d'un peu de bon sens pour s'apercevoir du crime que nous commettons en permettant la destruction de tout ce qui est beau en Ile-de-France.
Il est pénible d'apprendre que chaque jour les établissements insalubres ou incommodes gagnent du territoire. Aucune considération d'hygiène, d'esthétique et d'altruisme ne les arrête. C'est ainsi qu'avec une extraordinaire témérité une société vient de demander l'autorisation de créer une fonderie de plomb sous la terrasse de Saint-Germain [1], à la limite des communes du Pecq et du Vésinet.
Cette nouvelle a de quoi atterrer les gens les plus endurcis. Elle a révolté les habitants, la municipalité et les syndicats d'initiative de Saint-Germain et du Vésinet. Résolus à se défendre, les menacés ont rédigé un rapport dont j'extrais ces lignes qui correspondent si bien à notre propre opinion [2].

De tous temps, ceux qui ont servi l'intérêt général qui vise l'avenir, ceux qui ont compris que les Français de Seine-et-Oise devaient défendre leur civilisation, en protégeant ce paysage admirable, dont on a dit qu'il était « le plus chargé d'histoire au monde », ont proteste contre l'établissement dans le panorama de Saint-Germain de ces usines construites sans la moindre règle, sans aucun souci de l'esthétique, étalant, la hideur de leurs bâtiments épouvantables, empoisonnant l'atmosphère de leurs fumées et de leurs odeurs nocives.

Et ces protestations, ils les ont faites, à de nombreuses reprises, avec tout leur esprit et tout leur cœur, avec le dévouement le plus désintéressé. Se sont joints à eux l'administration des beaux-arts, chargée de la protection et du classement, des vues et paysages, la chambre d'industrie touristique de Saint-Germain, le Touring Club, le groupe des industriels sociaux, les personnalités les plus éminentes de la politique, de l'histoire, des grands corps constitués.
Mais comme les lois de 1906 et 1910 sur la protection des sites sont insuffisantes, comme la loi de 1917 sur les établissements classés est à peu près inopérante [1], quelques industriels sans vergogne ont tout de même réussi à s'implanter envers et contre tous, imposant, grâce à leurs millions et à leurs appuis, leur volonté impérieuse à l'administration supérieure.


Une des usines sous la Terrasse de Saint-Germain, au Pecq.

Pourtant, cette fois, il faut agir !
L'avenir des stations touristiques du Pecq et du Vésinet sont en jeu. Ces régions, réputées pour leur air salubre, ont attiré de nombreux habitants n'ayant qu'un souci, celui d'élever leur famille dans les meilleures conditions d'hygiène possibles, et ils ont établi toutes ces riantes petites maisons entourées de jardins, habitées par des travailleurs, ces coquettes villas, ces vastes immeubles avec parcs, ces maisons de repos et de santé qui ont donné à toute cette région une réputation mondiale.
Est-ce cela que l'on veut à tout prix détruire, surtout au moment où l'extension du plus grand Paris, par la création de la route de Paris à Saint-Germain, prévoit la nécessité pour Ies agglomérations urbaines riveraines de cette route et qui vont prendre un essor gigantesque d'espaces destinés uniquement à l'habitation, à l'emplacement de jardins et de parcs, le font éloigné obligatoirement des industries néfastes ?
Nous espérons que ce plaidoyer sobre, juste et puissamment éloquent sauvera Saint-Germain, l'un des joyaux de l'Ile-de-France. Nous voudrions qu'il fût entendu de tous ceux qui ont le devoir de sauvegarder les biens de la France. Il y va de l'intérêt général....

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    Notes (SHV)

    [1] Les Établissements Dinin, fabricants d'accumulateurs, déjà établis à Nanterre (Seine), avaient fait au Préfet de Seine-et-Oise, une demande d'autorisation d'établir sur la limite des territoires du Pecq et du Vésinet, une usine de fonderie de plomb et de fabrique de plaques d'accumulateurs comprenant (pour ses débuts) 20 fours de 500 kilogrammes chacun.

    [2] Le même document, signé par les Maires de Saint-Germain et de Montesson, le Syndicat des Propriétaires du Vésinet, les Syndicats d"Initiative du Vésinet et de St Germain inspirait de nombreux articles comme celui-ci, parus dans la presse locale (Cri des Cantons) nationale ou professionnelle du tourisme.

    [3] Cet article, avec d'autres, parait tandis que se prépare la loi (du 2 mai 1930) relative à la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque. Modifiée plusieurs fois au cours des ans, elle a été abrogée et codifiée en 2000 au livre III « Espaces naturels », titre IV « Sites », chapitre unique « Sites inscrits et classés » du Code de l'environnement, soit les articles L. 341-1 à L. 341-15. A l'origine, elle créait les sites naturels inscrits et sites naturels classés, protection dont le Vésinet profita dès 1934. On notera au passage que dès avant la publication de la loi, le cas de la "station touristique du Vésinet" était citée en exemple de ce qu'il fallait protéger.


Société d'Histoire du Vésinet, 2015 - www.histoire-vesinet.org