Le Gaulois, n°2559, 20 octobre 1875

Albert Blanquet, alias Chrysale et autres pseudonymes

Cet ouvrage posthume [1] d'un de nos plus chers et sympathiques confrères paraît aujourd'hui. C'est pour nous une occasion de rendre un dernier hommage à sa mémoire en résumant à grands traits cette existence si bien remplie.
Blanquet (Albert Théodore Xavier), issu d'une des plus anciennes familles de la Lozère, est né à Paris, le 30 novembre 1826. En 1835, son père, qui avait quitté Paris quelques années après sa naissance, revint s'y établir tout à fait, avec une très grande fortune pour l'époque. Il y fonda une vaste usine qui fut prospère pendant quelque temps mais les commencements et les suites de la révolution de février 1848 le ruinèrent complètement. A ce sujet, et sans avoir besoin de l'exemple donné depuis par Ponsard dans sa comédie de l'Honneur et l'Argent, Albert Blanquet, pour conserver intact l'honneur du nom de son père, n'hésita pas à donner ce qui lui appartenait en propre de la succession de sa mère, une maison à Paris et une propriété à Chantilly.
Puis il se mit bravement au travail, et se lança dans la littérature, pour laquelle il se sentait des aptitudes particulières. En 1849, il fonda la Critique, journal littéraire qui fut remarqué. Il fit jouer un grand nombre de pièces sur les théâtres secondaires et donna à l'Odéon, en 1854, en société avec M. Louis Judicis, une comédie en vers Amour et Caprice, qui y eut un véritable succès. 
Attaché dès la fondation au Mousquetaire, journal d'Alexandre Dumas, il quitta Paris pour aller rédiger en chef le Napoléonien, journal politique de Troyes. La vie de province ne pouvant s'accorder avec ses goûts essentiellement parisiens, il revint à Paris, rédacteur en chef de la Revue des Beaux-Arts dont M. Pigeory le fondateur de Villers-sur-Mer était directeur et se voua tout entier au roman historique. Il a collaboré à la Biographie Universelle de Firmin Didot, et a écrit un grand nombre de notices biographiques d'acteurs et d'artistes dans diverses publications spéciales. 

Affiches publicitaires pour les romans populaires d'Albert Blanquet.

En 1862, il entra au cabinet de l'Empereur Napoléon III avec le titre d'attaché rédacteur, et y resta jusqu'au Quatre Septembre. Pendant cette époque, outre plusieurs romans, il a donné au Journal Officiel un grand nombre d'articles, de Variétés et une série de trente notices biographiques, sous le titre Les Fils de leurs œuvres, publication interrompue par la chute de l'Empire.
Il a fait partie, pendant le siège, sous la direction de M. Detroyat, de la rédaction du journal la Liberté, réfugiée à Bordeaux, puis, pendant la Commune, à Saint-Germain. Il publia à cette époque, dans ce journal, des lettres fort remarquées, sous ce titre Lettres d'un insurgé malgré lui. II en est qui sont de vrais chefs-d'œuvre.
Depuis le retour de la Liberté à Paris, il écrivait dans ce journal, sans interruption pendant quatre ans, sous le pseudonyme de Chrysale [2] [3], une série quotidienne de chroniques, dont le succès, tous les jours plus accentué, lui acquit une place brillante dans les lettres et qui, certainement, feront passer son nom à la postérité. Tous ses articles, réunis en volumes, seront consultés par les chroniqueurs futurs et par tous ceux qui voudront connaître les hommes et les choses de cette époque. Ce nom de Chrysale restera attaché à ceux qui font des chroniques dans les journaux de même qu'au théâtre on dit jouer les Dugazon ou les Déjazet.
Malheureusement, ce travail excessif, et qu'il aimait avec passion, ne pouvait convenir à sa nature délicate. Et, bien qu'il ait toujours vécu avec une sobriété extrême, une maladie d'estomac vint l'emporter en quelques mois, dans une petite propriété qu'il possédait au Vésinet – le 11 juillet 1875. Il a travaillé jusqu'au dernier moment, et trois jours encore avant sa mort, ne pouvant plus tenir sa plume, il dictait ce que son imagination, toujours vive et toujours féconde, lui inspirait pour ses travaux futurs. La nomenclature de ses romans serait trop longue à énumérer ici. Tous ont eu du succès, quelques-uns, de très grands, et plusieurs, à l'exemple de ceux de Dumas, son maître, amuseront encore longtemps les générations futures. Dans tous, on retrouve ce qui était le propre de sa personne et de son caractère : l'élégance, la distinction, la netteté, l'originalité, et une gaieté, une bonté, une philosophie, qui ne l'ont pas quitté jusqu'au dernier jour.

    Notes:

    [1] Cette nécrologie fut publiée à l'occasion de la parution de Les Femmes, ouvrage posthume composé de chroniques de Chrysale, en octobre 1875.

    [2] Chrysale, personnage des Femmes savantes, défini selon les termes de l'époque comme le « type de simplicité et de bon sens, d'homme un peu matériel, que Molière oppose à la pédanterie de Philaminte, de Bélise et d'Armande. Ce personnage représente admirablement la raison, mais la raison commune, vulgaire, telle que peut l'entendre un bon bourgeois ignorant. »

    [3] Albert Blanquet utilisa aussi quatre autres pseudonymes : Emile Cruzel (Cruzel étant le nom de naissance de son épouse), Xavier Ledoux, Tek-Nab, Marie d'Ussy, essentiellement pour des critiques et des chroniques de la vie parisienne.


Société d'Histoire du Vésinet, 2013 - www.histoire-vesinet.org