Extrait de "Figures contemporaines" de Angelo Mariani , Tome 8, Paris 1903.

Léon COMERRE
par Joseph Uzanne

L‘un des maîtres de la peinture de genre contemporaine M. Léon Comerre, qui est resté en art un classique de la bonne école, a surtout excellé dans les grandes oeuvres de style légendaire ou décoratif. Par une conscience absolue dans le dessin, qu'il a solide et correct, une probité admirable dans l'exécution picturale d'oeuvres où il a soin de ne rien laisser au hasard, de tout achever rigoureusement, M. Léon Comerre a prouvé combien la vie l'émotionnait et comment il savait la traduire.
Ses débuts témoignèrent, à un âge encore extrêmement jeune, de dons précieux et naturels. Tourmenté par ce désir de peindre que connaissent si tôt les artistes-nés, celui qui devait devenir un jour le peintre du Lion amoureux et de tant d'autres oeuvres, obtint de ses parents d'aller aux écoles académiques de Lille, étudier dans l'atelier de M. Colas. Le jeune homme demeurait alors à Trélon (arrondissement d'Avesnes) son pays natal. On juge de sa joie à venir étudier dans cette grande cité où de si beaux musées retracent le passé d'un art si magnifique. Ses aptitudes, heureusement développées, lui valurent d'emporter, à l'école des Beaux-Arts lilloise, toutes les récompenses. Des dons si évidents ne devaient point demeurer infructueux. M. Colas le comprit en proposant à la ville de Lille de pensionner M. Léon Comerre auprès de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris.

Léon Comerre

COMERRE (Léon-François),
artiste-peintre, né à Trélon (Nord), le 10 octobre 1850. Élève de Colas à Lille et de Cabanel à l’Ecole des Beaux-Arts. En 1875 grand prix de Rome avec ce sujet : l’Ange annonçant aux bergers la naissance du Christ.
Après plusieurs voyages en Belgique, en Hollande, à Rome, M. Léon Comerre qui avait envoyé au salon de 1874 le portrait de M. Darcq a exposé depuis Jézabel dévorée par les chiens; Junon 1878); le Lion amoureux (envoi de Rome 1879); Samson et Dalila (Id. - 1881, du musée de Lille) ; Albine morte (1882); Pierrot; Madeleine (1884); Mme Louise Théo; Eté et Automne, pour la décoration de la mairie du VIe arrondissement (1886); M. Raphaël Duflos, rôle de don Carlos (1887); le Printemps, le Destin et l’Hiver, triptyque pour la même mairie (1888); Bains de l’Alhambra (1890); M. A. Lefort (1891); le Rhône et la Saône, décoration pour la préfecture du Rhône (1894); Phèdre et Célimène (au foyer de l’Odéon) plus de nombreux portraits, dont un très remarqué : Portrait d’enfant (1897). Panneaux à l’amphithéâtre d’Archéologie (à la Sorbonne).
M. Léon Comerre, qui a obtenu une 3e médaille en 1875 et une seconde en 1881; a été médaillé d’honneur à l’Exposition d’Anvers (1885). Il a reçu, en outre, des médailles à Philadelphie (1876), Sydney (1879); Melbourne (1880).
Depuis 1885, chevalier de la Légion d’honneur.

Admis dans l'atelier d'Alexandre Cabanel qui y était alors l'un des professeurs principaux, le nouveau provincial ne manqua pas de s'y montrer en bonne place. A peine âgé de dix-sept ans il témoignait déjà d'une si grande maturité dans son talent que presque toutes les médailles lui échurent au concours, avec, finalement, le prix de Rome. Son tableau L'Ange annonçant aux bergers la naissance du Christ, en lui valant ce succès considérable, le désignait comme l'un de ceux qui devaient poursuivre, dans le genre légendaire ou historique, la tradition de probité de l'école de Ingres.
Ici se place une touchante anecdote. M. Léon Comerre, revenant de Paris à Lille après l'obtention du prix de Rome, ne fut pas que peu surpris de trouver à la gare une délégation de la municipalité lilloise, heureuse de venir complimenter, sur son heureux succès, un compatriote dont le talent honorait la cité. Tout ému M. Léon Comerre remercia, reçut la couronne enrubannée qu'on lui offrit et fit, précédé de la musique, son entrée au milieu de la foule accueillante. Le premier de la ville de Lille à obtenir le prix de Rome, M. Léon Comerre sembla, par son succès, montrer le chemin à ses compatriotes. Lille, outre qu'il est un centre manufacturier de premier ordre, est devenu aussi un centre artistique sans rival dans le Nord.
Plusieurs voyages en Belgique, en Hollande, à Rome, ces terres classiques des maîtres, achevèrent l'éducation du jeune lauréat. Devant les Titien et les Rembrandt il s'apprit à comprendre l'art du portrait et puisa, à la vue des chefs-d'oeuvre des maîtres flamands, ses sérieuses notions de coloriste. Le portrait de M. Darcq, exposé au salon de 1874, lui valut les remarques flatteuses de la critique.

Réclame pour le Vin Mariani

Réclame pour le vin Mariani.
Dessin et dédicace de Léon Comerre
"Toute sa vie, O Mariani !
   Il chantera ton vin béni"
Extraite de "Figures Contemporaines", Tome 8.

Angelo Mariani (1838-1914) développa en 1863 une boisson tonique, composée à partir de vin de Bordeaux et d'extrait de feuilles de coca, commercialisée à l'époque sous le nom de vin Mariani. Ce fut un succès énorme qui lui valut la célébrité dans toute l'Europe. Il sut confier la publicité de son vin aux plus grandes célébrités, notamment littéraires, auxquelles il consacra un recueil biographique publicitaire : "Figures Contemporaines" en 1894. Par la suite, une quinzaine de volumes furent publiés au rythme de un par an. [1]

En 1878, un sujet pathétique, inspiré par le songe data, Jezebel dévorée par les chiens, enfin une Juno d'une beauté olympienne le montrèrent comme un maître habile à s'inspirer des légendes poétiques ou tragiques des anciens. Par l'éclat des couleurs, le soin des détails, la noblesse de l'ensemble, ces oeuvres préludèrent heureusement à une longue suite d'autres. De Rome, où il est en 1879, il envoie son beau Lion amoureux. En 1881, c'est le Samson et Dalla, exposé aujourd'hui en bonne place au musée de Lillie, dont le succès, à l'époque fut considérable. Suivirent depuis, à chaque salon nouveau, des toiles colorées et puissantes, où les sujets de l'histoire, les portraits et les sujets décoratifs voisinaient, attestant une puissance créatrice étonnante.
Au nombre des portraits qu'est-il besoin de rappeler ceux de Louise Theo, de M. Raphael Soufflés dans le costume éclatant du don Carlos then, surtout ce gracieux portrait d'enfant — son propre fils — d'un charme si exquisement XVIlle siècle que tout le monde admira. Parmi ses motifs de décor ses charmants panneaux des Saisons destinés à la mairie du VIe arrondissement, le Rhône et la Saône pour la préfecture de Lyon, enfin Phèdre et Célimène dont les figures agrémentent le foyer de l'Odéon.
Artiste au talent magistral, M. Léon Comerre est de ceux dont le caractère et l'oeuvre honorent en les suivant les traditions de l'école française.

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    [1] On y rencontre plusieurs célébrités vésigondines : A. Robida; L. Barthou; A. Bourdelle; C. Chaminade; H. Bauer, etc.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2007 - www.histoire-vesinet.org