Alfred Couverchel, peintre de l'orientalisme romantique
Peintre à la mode, dont les toiles sont
appréciées par le souverain, Alfred Couverchel, élève de Horace Vernet,
connaît un succès précoce auprès d'un public d'initiés pour une oeuvre
teintée de romantisme orientaliste.
Style artistique très en vogue sous la Monarchie de juillet et le Second
Empire, l'orientalisme a pris naissance au XVlIIème siècle et a connu
un premier essort après l'expédition de Bonaparte en Egypte et au Moyen-Orient.
Antoine Gros (1771-1835), peintre officiel du Premier Empire, est le
précurseur de la peinture d'histoire orientale avec des oeuvres telles
que Le Combat de Nazareth (1801), Les Pestiférés (1804).
Eugène Delacroix, imprégné de récits rapportés par des voyageurs en subira
l'influence. L'insurrection en Grèce et l'intérêt pour le Bosphore engendrent
un surcroît d'engouement pour l'Orient et pour Delacroix avec Les
Massacres de Scio (1824) et La Mort de Sardanapale (1828).
Le genre se développe encore avec les voyages effectués par les peintres
eux-mêmes, à la découverte des pays de conquête, telle l'Algérie, en
1832, qui inspire Les Femmes d'Alger, de Delacroix (1834). L'orientalisme
devient romantique, les déplacements se multiplient, les scènes de bataille
sont de plus en plus représentées, notamment avec Horace Vernet dans
les années 1840. Lumière chaude et crue, croquis pris sur le vif, heurts
des couleurs, sont les signes distinctifs de l'orientalisme.
Parmi les tenants du style, Alfred Couverchel,
né le 27 janvier 1834 à Marseille-le-Petit dans l'Oise [devenu
de nos jours Marseille-en Beauvaisis] qui fut élève
de Horace Vernet à Paris, et fréquenta l'Ecole des Beaux-Arts. Il exposa
au Salon entre 1857 et 1867 des scènes rapportées de ses voyages en
Afrique et en Orient, en particulier du Maroc, de l'Algérie, la Syrie
où il trouve d'inspiration de compositions équestres, et de batailles
de la guerre de Crimée. Ses croquis de voyages illustrent des récits
d'explorateurs tels que Colomieu au Sahara [ci-dessous].
Alfred Couverchel (1861)
"Ordonnance et bagage de M. Alfred Couverchel"
Chargé par le gouvernement de faire un tableau
sur la prise du chérif Mohamed Ben Abdallah, Alfred Couverchel
participe en 1861 à une expédition qui le conduit jusqu'aux
Oasis sahariens de Ouargla. Il réalise un véritable reportage
illustré de dizaines de croquis.
Voyage dans le Sahara algérien
de Géryville à Ouargla par le commandant V. Colomieu (1862)
in "Le Tour du Monde", nouveau journal des voyages
/ dir. Edouard Charton, Paris 1863.
Artiste des batailles et des chevaux,
il s'est spécialisé dans les oeuvres de très grandes dimensions, comme "La
Bataille de Magenta", exposée à Versailles en 1861.
Couverchel n'a pas trente ans quand il vient s'installer au Vésinet.
En 1863, il se fait adjuger un terrain pour 2 frs/m² dans l'avenue de
la Princesse RG [1].
Il entreprend aussitôt de faire construire d'une maison à deux étages
et d'un vaste atelier. La Compagnie Pallu lui accorde un prêt de 10 000
frs, remboursable sur 10 ans, afin d'achever ses travaux. Il s'y établit
définitivement avec sa famille, ses parents âgés et une tante, tous présents
lors du recensement de 1866.
Dès 1865, le jeune peintre devient une figure populaire dans la vie du
Vésinet et de la région. La presse locale s'en fera régulièrement l'écho.
Une semaine après la consécration de l'Eglise Ste-Marguerite, le 2 juillet
1865, la soeur du peintre, Madame Giard [née
Claire Couverchel, elle-même peintre de genre et portraitiste],
fait don d'une de ses oeuvres à l'église [2].
Couverchel prépare une toile qui illustrera, dit-on, Saint-Louis à cheval [3].
Un peu plus tard, il peint les armes de Monseigneur Boutonnet, évêque
de Basse-Terre sur la porte du presbytère: "azur à la croix ancrée
d'argent contournée de quatre étoiles" [4]. Pour
l'église de St-Germain-en-Laye, il exécutera un tableau représentant
les disciples d'Emmaüs.
Au soir du 2 mars 1866, Couverchel apprend que l'Etat a fait l'acquisition
de son immense toile "La capture du Chérif Mohamed Ben Abdallah,
près de Ouargla, le 18 Septembre 1861" représentant un des épisodes
des grandes batailles d'Afrique. Cette toile de 9,70m sur 6,45m, commandée
en 1861, avait appartenu, avant le voyage de l'Empereur en Algérie et
jusqu'en 1866, au Musée de la Société des Beaux-Arts, rue du Marché d'Isly.
L'Empereur en fit don au grand foyer de l'Opéra.
Alfred Couverchel (1866), Repos à la fontaine, en Algérie.
Collection privée
Le lendemain samedi, la famille reçoit
ses invités dans sa propriété de l'avenue de la Princesse. Amis, camarades
et dames de la colonie pénètrent dans le vaste atelier où est donnée
la comédie. Le peintre a fait élever un théâtre de salon, décoré par
un entrepreneur de fêtes publiques et construit spécialement pour cette
journée exceptionnelle. La matinée dramatique se déroule devant un
auditoire de plus de 200 personnes massées dans la salle. De nombreux
retardataires se pressent à la porte ou se cantonnent dans le jardin.
On joue deux pièces, dont l'une est représentée au Gymnase à Paris.
Pour rassurer les visiteurs trop mal placés ou privés de spectacle,
Couverchel promet par voie de presse, une nouvelle fête.
Le 17 mai, le peintre, qui se passionne pour les manoeuvres des Chasseurs
de la Garde en garnison à St-Germain, se rend dans le champ de mars en
forêt de Saint-Germain, situé à cette époque entre la route de Poissy
et l'allée des Loges, remplaçant celui de l'ancienne forêt du Vésinet.
Il s'y montre en cavalier au milieu des coursiers kabyles, lui rappelant
les déserts d'Afrique.
Sa jeune gloire s'éteint avec lui le 1er septembre 1867. Alfred Couverchel,
"élève de prédilection d'Horace Vernet" disait-on, meurt subitement d'une grave affection cérébrale "qui, dans ces derniers temps avait fait de rapides et effrayants progrès", dans sa propriété familiale
au 33, de l'avenue de la Princesse, au Vésinet [le quartier dépendant
alors de la commune de Chatou]. Sa renommée ne survivra pas à l'Empire
qui avait fait son succès.
[1] Minutes de Me Moisson,
Notaire, du 03/09/1863: "ouverture de crédit accordé par la
Société Pallu à M. Couverchel, domicilié au 47, rue Neuve-Saints-Augustins à Paris,
pour le lot de 1125 m (n°39, îlot 12) lors de la vente par adjudication
du 10/05/1863". Ce lot correspond actuellement au 33 av. de
la Princesse.
[2] La toile, recensée en 1986 par le Ministère de la Culture, représentant
Sainte Marguerite est entreposée depuis 1968, dans la crypte de l'église.
[3] Le Saint Louis à cheval n'a pas été recensé.
[4] Monseigneur
Boutonnet séjournait au Vésinet. Un ouragan avait ravagé la Guadeloupe
le 6 septembre 1865. Une grand'messe fut célébrée à Ste Marguerite le
15 novembre en faveur des sinistrés. La quête rapporta près de 200 frs
(selon l'Industriel de St Germain, du 18 novembre 1865).
Société d'Histoire du
Vésinet, 2007 - www.histoire-vesinet.org