D'après le médecin-major Louis Ribadeau-Dumas (1876-1951), Bulletin de l'Académie nationale de médecine, (Paris) séance du 29 juin 1943 [Extraits] Docteur Emile Sergent (1867-1943) Né à Paris le 11 juillet 1867, Émile Sergent, élève au Collège Stanislas, où il remporte de brillants succès scolaires, n'a bientôt plus à compter que sur lui-même et s'adonne exclusivement au travail. Externe des Hôpitaux en 1890, il est nommé interne en 1892, conquiert la Médaille d'or en 1896 et devient médecin des Hôpitaux en 1903. C'est alors qu'il éprouve une déception profonde; candidat au Concours d'agrégation, il échoue et voit se fermer devant lui la voie d'un enseignement pour lequel, ainsi que l'avaient prouvé ses démonstrations cliniques dans le service du professeur Gaucher, il était tout particulièrement doué. Cet échec ne le décourage pas; il se constituait alors, à l'instigation de M. Just Lucas-Championnière, un enseignement médical des Hôpitaux auquel prenaient part MM. Babinski, Brocq, Béclère, Souques, bien d'autres encore, et qui, à l'honneur de la Société Médicale des Hôpitaux, eut un succès éclatant. En 1910 E. Sergent, médecin de la Charité, attirait à lui les jeunes étudiants livrés à eux-mêmes et quelque peu éberlués par la complexité de la médecine, pour « les préparer par une initiation progressive aux-études élémentaires, puis aux études plus élevées ou complémentaires. ». Son enseignement fut extraordinairement recherché : les salles de l'Hôpital et son curieux amphithéâtre se trouvaient trop étroits pour les jeunes auditeurs. Fort de ce succès, en 1920, É. Sergent, qui venait d'être nommé l'année précédente membre de l'Académie, revendiquant le droit pour un médecin des Hôpitaux d'accéder au professorat, posait sa candidature à une chaire de Pathologie interne, retenant, disait-il, qu'il se consacrait depuis plusieurs années à l'enseignement médical sous ses deux formes principales, l'enseignement de la technique et de la sémiologie, et l'enseignement de perfectionnement. Au Conseil de la Faculté, 14 professeurs lui donnèrent leur voix. Mais le souvenir de la guerre 1914-1918 était encore récent, le Conseil municipal créait plusieurs chaires, et en 1922, le Conseil de la Faculté conquis par la réputation d'E. Sergent, peut-être aussi sensible à l'opinion publique, et touché par l'esprit de réforme qui effleura assez vaguement d'ailleurs les esprits à cette époque, ouvrit sa porte, la grande, au nouveau professeur qui avait réuni ce jour-là l'unanimité des suffrages et était nommé au titre de professeur de Clinique propédeutique. Cette nomination fut saluée comme un grand événement. Durant toute sa vie hospitalière, il se consacra avec passion à l'enseignement, et il faut reconnaître que peu de professeurs furent aussi suivis, écoutés et aimés que lui. Il avait de sa chaire une haute idée : un professeur de Clinique médicale, dit-il, a trois fonctions à remplir: soigner les malades hospitalisés dans son service, chercher à faire progresser les acquisitions de la Clinique, former les futurs médecins. Plus loin, il ajoute : « l'honneur qui s'attache au titre de médecin des Hôpitaux comporte l'obligation d'en remplir consciencieusement la charge, même si son intérêt professionnel est en jeu et doit en souffrir ». Accumulant d'innombrables observations recueillies chez des malades sans cesse renouvelés pendant cinquante ans de travail hospitalier, Sergent était devenu le grand clinicien qu'il faisait pressentir à ses débuts. Il avait été l'élève de MM. Gingeot, Ollivier, du professeur Gaucher, mais il avait été formé surtout par l'œuvre de Laënnec dont il s'était imprégné. D avait pour ce grand homme une ardente admiration, et les locaux de la Charité où avait professé Laënnec avaient pour lui une éloquence toute particulière, car quelque pitoyables qu'ils soient, il aimait à y évoquer cet homme illustre montant des escaliers où, disait-il, se trouvait encore la poussière de ses bottes, ce qui n'était peut-être pas tout à fait une métaphore. Il avait fait le pèlerinage de Plouaret, il avait assisté à l'inauguration des plaques posées à la Charité et à Necker en mémoire de Laënnec, et avait prononcé à l'Académie, lors de son Centenaire, un vibrant discours. La méthode anatomo-clinique dont les applications avaient illustré la médecine française du XIXe siècle n'avait pas de plus fidèle adepte que lui, car elle était conforme à son éducation et à ses habitudes spirituelles; elle marquait en effet une orientation nouvelle et féconde d'une médecine jusque-là assez incertaine. La Clinique, répétait-il inlassablement, a cessé d'être un art pour devenir une science. Il faut diriger l'étudiant dans l'art d'observer, d'accumuler les faits et d'avoir à tirer de ses observations "maintes et maintes fois répétées" la conclusion qu'elles comportent : l'expérience. Dans un appel au bon sens, Laënnec ajoutait : les « théories et les doctrines sont des amusements de l'esprit propres à rallier les faits entre eux et qu'il faut abandonner dès qu'un fait leur résiste. » Il y a aussi dans la profession médicale des devoirs, et c'est au maître à éveiller la conscience du jeune médecin. Telles étaient les idées fondamentales qui inspiraient E. Sergent dans son enseignement quotidien. Pendant la guerre de 1914-1918, nommé comme médecin lieutenant-colonel chef du service des tuberculeux au Vésinet, il accumule 15.000 fiches de militaires tuberculeux ou prétendus tels et donne une juste interprétation des divers moyens et procédés d'exploration de l'appareil respiratoire. Il décrit le signe d'alarme du début de la tuberculose et isole le syndrome de la pleurite du sommet ; convaincu, par les magnifiques recherches de M. Béclère sur le radiodiagnostic de l'appareil respiratoire, de l'utilité de l'exploration par les rayons X, il réunit un grand nombre d'observations radiologiques dans un bel atlas, où il s'attache avec ses élèves à donner aux signes et aux lésions de la maladie une interprétation exacte. Dans cet ouvrage, comme en d'autres publications; se trouvent exposées les applications des injections du lipiodol au diagnostic des ectasies bronchiques, et des suppurations pulmonaires.
Son autorité devient incontestable et s'étend bien au déjà de la France : le Canada, l'Amérique du Sud, la Roumanie, la Serbie, la Suisse, l'Italie, la Hollande, la Belgique, lui demandent, dans de nombreuses conférences, d'exposer ses méthodes, ses recherches personnelles et la pensée médicale française. Il devient à l'étranger le médecin français le plus connu, la figure étrangère la plus admirée en Argentine, et laisse au Canada le souvenir d'un Français Canadien. Si ses missions, dit Philippe Roy, Ambassadeur du Canada en France, lui ont valu des titres et des distinctions honorifiques, elles ont surtout valu aux pays étrangers qui le réclamaient un enseignement exceptionnel tant par sa qualité que par ses résultats. Tous ces voyages n'allaient pas sans fatigue, mais Sergent avait la satisfaction de servir la France, non seulement par ses démonstrations, mais aussi par l'organisation d'échanges scientifiques, de conférences, de bourses, de revues, et il n'a pas peu contribué à détruire des préjugés nuisibles à notre pays. Arrivé à l'étape finale de sa carrière, Sergent veut réunir les méditations auxquelles il s'était livré dans l'exercice de ses fonctions et de sa profession, et qu'il avait fait connaître dans de nombreux articles et mémoires déjà parus sur la formation de la jeunesse et particulièrement de la jeunesse universitaire, tout en accordant une place spéciale à la formation du médecin. Se plaçant à un point de vue général, il écrit son dernier livre sur la Formation intellectuelle et morale des Élites, publié le mois de sa mort ; l'écriture irrégulière et tremblée des dédicaces qu'il réservait à ses amis, laissait, hélas ! prévoir sa fin trop prochaine. On trouve dans cet ouvrage un sentiment assez pessimiste sur les choses et les hommes de son temps; ce pessimisme, malheureusement trop justifié par les événements, avait amené chez lui une réaction qui témoigne d'un amour profond pour son pays. Ces idées, d'ailleurs anciennement acquises, émanent d'une connaissance réfléchie de ses élèves et de ses contemporains. Aussi quand vient l'heure des réformes, il est placé à la tête d'une Commission chargée d'élaborer un programme d'enseignement médical, il a toute la compétence nécessaire : les travaux qu'il préside sont brusquement interrompus et mis en d'autres mains; cet incident lui est un peu amer, mais il a l'esprit trop averti et trop indépendant pour s'en formaliser. Son œuvre reste intacte, car elle a été celle d'un homme à l'esprit généreux qui, non seulement a été l'un des premiers de sa profession, mais qui de plus a tendu la main à une jeunesse trop souvent abandonnée à elle-même. « M. le professeur Sergent (Émile-Eugène-Joseph), professeur honoraire à la Faculté de Médecine, cinquante-sept ans de services civils et militaires, un des plus éminents représentants de la pensée médicale contemporaine. Sergent a apprécié dans cet honneur le symbole de l'héritage moral qu'il voulait laisser aux siens. Il en reportait l'éclat sur Mme Sergent qui fut sa collaboratrice de tous les instants : qui dira jamais la grandeur et l'abnégation de la vie réservée à la femme du médecin? Mme Sergent sut animer par son entrain et sa vivacité un foyer qu'une existence épuisante eût facilement conduit à l'austérité, et conserver par des soins qui n'ont jamais cessé une santé dont une énergie incomparable avait su masquer la fragilité. Elle amortissait les amertumes et les déceptions qui sont la rançon des supériorités. Sergent s'en est allé, laissant en des temps d'une étrange mollesse la mémoire d'un héros « sans peur et sans reproche » autour duquel se tissent déjà des légendes.
Société d'Histoire du Vésinet, 2016 - www.histoire-vesinet.org |