D'après un article de l'hebdomadaire L'Avenir de Saint-Germain, 8 avril 1894

M. Drevet, le maire du Vésinet

Que je suis donc satisfait de la municipalité de ma commune, disait M. Drevet, maire du Vésinet, en savourant avec jubilation les éloges imprimés qu'il se décerne à lui-même dans l'avant-dernier numéro de son journal officiel. [1]
Admiration bien ordonnée doit, comme la charité, commencer par soi-même, n'est-il pas vrai? Aide-toi, le ciel t'aidera, dit un proverbe, et notre maire de s'admirer, de se faire dans son journal de petites risettes et de s'applaudir soi-même pour allumer les applaudissements de ses administrés. Et il n'y va pas de main morte, savez-vous !
On lui reprochait d'avoir, pour faire noise à M. Sauvalle, entamé une ridicule campagne contre la Cie des Eaux et d'avoir ainsi risqué de nuire à la prospérité du Vésinet ; lui de répondre victorieusement que grâce aux dernières municipalités, c'est-à-dire aux municipalités réactionnaires, la prospérité n'a jamais été plus brillante. [2]
Nous serions heureux de voir appuyer cette affirmation de quelques preuves.
Certes, en prenant possession du fauteuil élevé dans la salle des séances du Conseil municipal au premier magistrat de la commune par son prédécesseur, M. A. Ledru, qui voulait traiter de haut les affaires, M. Drevet nous avait promis qu'il serait l'homme des aboutissements.
A quoi donc a-t-il abouti jusqu'à ce jour ?
A nous doter d'une gendarmerie ? Mais si l'on s'en rapporte aux remerciements portés au registre des délibérations du Conseil municipal, ce serait aux influences que possédait M. Bivort au ministère de la Guerre que nous devons l'installation au Vésinet de braves gendarmes dont le besoin se faisait, paraît-il, sentir depuis longtemps.

La gendarmerie vers 1900.

A reconstruire la passerelle de la Gare? Nous attendons encore, et nous attendrons encore longtemps, en nous cassant les reins sur les marches en mauvais état de la vieille passerelle qu'il s'obstine à ne pas réparer, la construction nouvelle promise tous les huit jours et sans cesse ajournée.

    Passerelle — Un membre du Conseil municipal (M. Lavezzari) avait soumis un plan de reconstruction totale de la Passerelle nécessitant une dépense de 12,000 frs environ. Le Conseil avait accepté le plan et et devis mais la Préfecture en refusa l'approbation par le motif qu'il n'avait pas été tenu compte d'une circulaire ministérielle spécifiant les forces de résistance des fers dans les constructions de cette nature. Entre temps M. Alphonse Ledru ayant rendu son écharpe et M. Drevet, mieux inspiré, tenant compte des observations qui lui avaient été faites (la Passerelle actuelle, jugée très solide, pouvait être remise à neuf avec une dépense de 3 à 4,000 frs) avait fait étudier un projet de restauration de cette Passerelle. C'est ce projet de restauration établi par les ingénieurs de la Compagnie de l'Ouest que M. Drevet proposait au Conseil d'exécuter ...

Il fallait des fonds : pour s'en procurer le Conseil vota un nouvel emprunt. Nous attendons encore l'approbation. Il paraît qu'il y a chance d'obtenir cette approbation. Est-ce aux démarches de notre maire que nous devrons cette approbation ? Il espère porter cette opération à son actif, mais M. Soulette de Lesbat [3] vous dira que c'est grâce à ses démarches personnelles que l'affaire a pu passer au ministère, tandis que M. A. Ledru se glorifiera d'avoir enlevé l'affaire à la Préfecture.
Quoi qu'il en soit, M. Drevet ne manquera pas de dire: c'est moi qui ai tout fait. Me adsum qui feci.

La passerelle de la gare (centre) vers 1900.

Il y a pourtant des innovations dont la paternité appartient sans conteste à M. le Maire du Vésinet. C'est lui, bien lui, et sa modestie bien connue l'empêche seule d'en tirer honneur, qui a introduit, comme dit son ami Bec de Canne, un âne dans les services municipaux. C'est lui, bien lui, qui a eu l'idée géniale d'employer les gardes et cantonniers de la commune à veiller le 1er mai sur les bâtiments municipaux. Et il ne s'en est pas vanté. Il paraît que les travailleurs de tous les pays, pour fêter dignement le 1er mai, avaient résolu de faire sauter les édifices municipaux du Vésinet. Mais ils avaient compté sans la prévoyante perspicacité de M. Drevet qui par sa vigilance a conjuré le danger. Nous ne savons si la tentative doit se renouveler cette année, mais nous sommes convaincus que le 1er mai tous les salariés de la commune seront sur pied et sauveront encore une fois les propriétés municipales du Vésinet.

Plaque émaillée posée en août 1894, lorsque la route de Chatou prit le nom de Boulevard Carnot

à la mémoire du président Sadi Carnot (assassiné le 24 juin 1894 à Lyon).

En attendant, il nous semble que ce serait le moment de donner satisfaction à notre honorable conseiller M. Gaumard et à la population du Vésinet en mettant en circulation les tonneaux d'arrosage. Depuis trois semaines il n'est pas tombé d'eau. Il est incontestable que depuis huit jours le temps est à l'orage, mais c'est tout. Nos routes rendront des points pour la poussière aux chemins de l'Andalousie et la verdure de nos jardins disparaît sous une couche de poudre grise émanant des routes de la commune.
On se demande ce qu'attend l'homme des aboutissements pour aboutir à faire fonctionner le service de l'arrosage public. Peut-être veut-il consulter le Conseil municipal; il craint sans doute que l'eau de la Compagnie abime les routes comme elle aurait pu abimer les égouts. [4]

L'ensemble de bâtiments (Poste, Gendarmerie, Asile)

Ce n'est certainement le défaut d'un crédit spécial qui arrête M. Drevet. Depuis l'avènement des réactionnaires à la mairie du Vésinet, jamais on ne s'est préoccupé de ces détails infimes. Consulter le Conseil ! Faire voter des crédits préalablement à la dépense! Allons donc. C'était bon pour des radicaux. Cherchez donc dans les délibérations du Conseil des ouvertures de crédit pour la pépinière qui existe près le cimetière, pour l'installation des bancs qui ont été placés sur différents points de notre territoire, pour le paiement des plaques indicatrices des rues qui viennent d'être placées et qu'il faudra remplacer dans un ou deux ans, la tôle émaillée ne résistant pas à la dilatation produite par le chaud et le froid. M. le Maire puise à pleines mains dans la caisse municipale et les dépenses qu'il lui a plu d'engager sans consulter le Conseil sont payées par tel ou tel crédit qui ne comportait pas ces dépenses.
La majorité approuve ou ne se rend pas compte de ce que fait son élu. Elle n'existe même pas à l'état d'assemblée. C'est un composé d'individualités prises au hasard, ne se connaissant pas, ne se voyant pas, n'ayant aucun point de contact. Nous subissons le gouvernement local qui nous a été infligé par des étrangers à notre commune. Incapable de rien faire d'utile, il manifeste son existence par des tracasseries personnelles — comme dans l'affaire des eaux.
Il ne sait ce qu'il veut, où il va. Ne faisant absolument rien, M. notre Maire est toujours prêt à s'attribuer le mérite de ce que font les autres lorsqu'ils réussissent et à rejeter sur eux, lorsqu'ils n'aboutissent pas, la responsabilité des avortements. Vous verrez qu'on le palmera un de ces jours, grâce à l'esprit nouveau.

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    Notes et sources:

    [1] La Liberté de Seine et Oise était présentée (en 1888-89) comme l'organe officiel de la municipalité du Vésinet. D'autre part, l'Alliance Républicaine, Journal républicain progressiste, absolument indépendant, avait son siège au Vésinet, 18 rue de l'Eglise. Il disparut en décembre 1895. Journal de la Droite modérée « conciliatrice » faisant suite au Mouvement opportuniste.

    [2] L'Alliance Républicaine, 17 décembre 1893.

    [3] Monsieur Henri Soulette, conseiller municipal (républicain radical) prit le nom de Soulette de Lesbat après son mariage avec Mlle Bachot de Lesbat (ancienne famille de l'aristocratie Bérichonne).

    [4] Allusion aux articles du Réveil, 4 et 25 mars 1894.

 


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