Les peintres du XXe siècle, Paris 1927.

La grande oeuvre de Maurice Dubois

  PauI BRULAT
  Homme de Lettres, Inspecteur aux Beaux-Arts

je vis Maurice Dubois, et m'entretins avec lui avant de connaître son oeuvre. Une première impression, une conversation suffisent parfois à révéler un homme, une intelligence. Ce regard franc et droit, cette simplicité, cette voix et tout ce qu'elle disait, annonçaient une philosophie sereine, un esprit sans prévention, quelqu'un qui pense vraiment par lui-même. Spectacle rare, en ce temps de bluff, de snobisme, de réclame outrancière, où tant de gens, échos plus on moins sonores, reflets plus ou moins brillants, se croient sincères qui ne sont qu'impressionnés. Sous cette bonhomie, je sentais une âme ardente, éprise d'un idéal qui avait résisté aux déceptions, aux coups du sort, aux épreuves de la vie, et entretenait en elle une flamme qui ne s'éteindra jamais.

L'atelier de Maurice Dubois au Vésinet

Un coin de l'atelier de Maurice Dubois au Vésinet (1927)

On reconnait à droite la mort du trompette, grande toile exposée aux Artistes Français en 1914, dont l'original se trouve à la Maison du Combattant du Vésinet. (voir ci-dessous).

Mais c'est encore par son œuvre qu'on se révèle le plus complètement, le plus profondément. Je visitais l'atelier de Maurice Dubois, dans sa charmante demeure du Vésinet, où ne pénètrent que de rares amis et de vrais connaisseurs. La plupart de ses toiles étaient là: quarante ans de labeur et de création, attestant la passion de la vie et de la vérité, de la nature entière dans son immense et splendide variété, avec cette invincible fierté d'être soi, sans laquelle on n'existe pas en art. C'était le drame humain, adouci par des paysages, des fleurs, des marines, qui se déroulait sous mes yeux, dans ces savantes compositions évoquant les grands évènements de la vie. Le puissant réalisme de l'école flamande et l'éclat des Impressionnistes modernes s'harmonisent dans cet art de lumière et de vérité. Mais en s'instruisant du passé, des grands peintres de la Renaissance, à Florence et à Venise où il vécut deux ans, puis en Espagne, Maurice Dubois n'en affirme pas moins sa forte personnalité faite de sincérité et de sensibilité, d'une conception pathétique de la vie.

la mort du trompette La mort du trompette, 1914.

Etude

(cahiers de Maurice Dubois)

Peintre d'Histoire, ce sont les scènes les plus émouvantes et tragiques qui sollicitent son pinceau. Voici Danton à la tribune de la Législative lançant son superbe "De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace". Voici le champ de bataille de Waterloo et voici encore, tout près de nous, le grand drame dont il fut lui-même témoin, aux heures les plus angoissantes de nos destinées: l'Exode des réfugiés, des Sans Foyer, fuyant devant l'invasion, à la fin d'août 1914.

Peintre aussi de portraits, Maurice Dubois se révèle psychologue, cherchant à pénétrer les âmes et les laissant deviner à travers les visages qui ne mentent pas, parce qu'ils reflètent la vie intérieure de chaque être et portent les stigmates du destin. Demeuré dans la grande tradition, ayant beaucoup vu et beaucoup appris, s'inspirant des Maîtres anciens, tout en bénéficiant de ce que les évolutions successives ont apporté à l'Art, Maurice Dubois apparaît comme la plus vivante preuve que l'étude et la science, le respect du passé, loin de diminuer notre originalité, l'enrichissent au contraire, nous aident à nous découvrir, à nous connaître, favorisant l'épanouissement des dons naturels. L'ignorance ne fut jamais un signe de génie et l'aimable naïveté ne produit en art que des balbutiements.

Infante au balcon

Infante au balcon, 1927.

Portrait de Gaby Dubois, la fille cadette du peintre,
qui lui servait fréquemment de modèle.

On peut s'étonner que ce grand peintre ne soit pas plus honoré de faveurs officielles. Sans doute s'est-il souvenu de la fière parole de Flaubert "Quand on est quelqu'un, il est misérable de vouloir être quelque chose". Il est vrai aussi que le temps qu'on emploie à être quelque chose, on le perd à devenir quelqu'un. Eloigné des coteries et des intrigues, ne se souciant pas de conquérir des prôneurs, il borna son ambition à réaliser sa conception de l'art, à mettre dans son oeuvre toute sa probité, sa conscience, sa foi profonde. Evidemment, ce n'est point d'un tel homme qu'un marchand de tableaux, un de ceux qui créent les vogues, se fût avisé de dire: "A du talent qui nous voulons". Son éloignement explique aussi le silence qui trop longtemps se fit autour de Maurice Dubois. Il passa trente ans à l'étranger, séjourna en Italie, en Espagne, en Hollande, en Angleterre, en Belgique, visita tous les musées d'Europe, sans cesse avide de voir, d'apprendre, d'admirer. Son existence illustre le vers fameux de Virgile "On se lasse de tout, excepté de comprendre". Mais Paris, qui seul consacre les renommées, tient rigueur à ceux qui trop souvent s'en éloignent. Les absents ont tort, et ce vieux proverbe semble vrai surtout pour les peintres.

Cependant, bien qu'il ne soit point connu comme il devrait l'être et n'ait pas encore la place qu'il mérite, Maurice Dubois garde à travers le monde des admirateurs fidèles qui parviendront à l'imposer. Ce livre annonce une gloire naissante qui résistera à l'épreuve du temps. Tout a une vie, une âme, les êtres et les choses. C'est ce qu'a profondément senti Maurice Dubois. C'est le don de "faire vivant", d'animer tout ce qu'il peint, qui caractérise son talent. C'est à cette conception de l'Art que s'élève son intelligence en cela aussi que consiste son idéal. Chacune de ses toiles exprime une pensée, l'ensemble de son oeuvre un amour qui s'étend à tout ce qui vit, à tout ce qui souffre, à la Nature entière. N'est-ce point la plus belle raison d'être et le secret de ce fécond optimisme qui étonne chez un homme auquel rien ne fut épargné? Il aime la vie, à cause même du courage qu'il faut pour la vivre, et plutôt, nous dirait-il, la souffrance seule que le renoncement à ce qu'on a en soi d'humain et de vibrant.

Contrairement à tant d'autres qui se confinèrent dans une manière, refirent le même tableau, Maurice Dubois s'est renouvelé sans cesse par l'étude, la méditation et l'expéricnce. Plusieurs êtres, il est vrai, se succèdent en nous. Le paysage étant un état d'âme, selon Stendhal, ou le monde extérieur un phénomène cérébral, comme l'a dit Schopenhauer, ou ne voit pas les choses, à cinquante ans comme à vingt ans.
L'oeuvre de Maurice Dubois s'en ressent, marquant plusieurs étapes dans son évolution intellectuelle et morale. Mais toujours chez lui domina le souci classique du dessin et de la composition, avec la passion de la couleur. Par dessus tout s'affirme en ce puissant artiste, si Français par son caractère, ses aspirations et ses inspirations, une foi profonde au renouveau promis à qui lutte, espère, travaille et ne s'avoue jamais vaincu. Tel est l'enseignement qui se dégage de cette vie et de cette oeuvre. Dans celle-ci une toile a particulièrement arrêté mon attention, parce qu'elle montre le penseur noblement préoccupé des grands problèmes - sociaux- C'est Le Retour à la Terre, à la vieille terre de France que déserte toute une jeunesse attirée par le mirage des immenses cités modernes où se perdent tant de déclassés, de déracinés. De nos jours, la terre qui nous fait vivre manque de bras. La prospérité de la France est agricole plus qu'industrielle. C'est une des questions les plus angoissantes de notre temps que cet exode des campagnes. Le retour au sol natal, là est le salut du pays, de la race. Sans doute Maurice Dubois pense-t-il comme Rousseau. Les hommes ne sont point faits pour être entassés en fourmilière, mais épars sur la terre qu'ils doivent cultiver. Plus ils se rassemblent, plus ils se corrompent.
Certains apôtres de l'art pour l'art nous diront sans doute qu'un peintre ne doit se soucier que de voir et d'exprimer la nature à travers son tempérament. N'est-ce point là une conception par trop limitée et contre laquelle s'élève justement Maurice Dubois, estimant qu'un peintre ne peut que grandir en demeurant un penseur, un philosophe, un idéaliste, en un mot un homme complet.

 

Société d'Histoire du Vésinet, 2005 - www.histoire-vesinet.org