Journal des débats politiques et littéraires, n° 198, 18 juillet 1928. Les étoiles filantes Au temps, lointain déjà, de mon enfance, je passais les chaudes soirées d'été dans le grand jardin familial. Sur les rosiers fleuris, un peu de jour semblait s'être attardé. J'allais, respirant les parfums par bouffées : senteurs fraîches d'herbes et de terre arrosées, haleines sucrées de roses et de magnolias.[1] Jenny Golder, La Rampe, 1926 Heureux âge, que tu es loin. « Ce sont des âmes qui entrent en Paradis ». Je songe toujours à cette phrase quand de terrestres étoiles s'éteignent subitement. Et puis, brusquement, en pleine jeunesse, en plein succès, Claude France [2] et vous maintenant, Jenny Golder, vous disparaissez. Étrange anomalie ! Ceux qui luttent quotidiennement, peinent et gagnent leur vie à la sueur de leur front ; ceux qu'aucun repos ne peut délasser, qu'aucune joie n'illumine jamais ; que la maladie et la misère frappent inlassablement ; dont les enfants pleurent de froid en hiver et dépérissent, faute d'air, dans leurs mansardes torrides en été, trouvent que la mort apparaît trop tôt sur le seuil de leur porte délabrée et lui crient : « Oublie-nous, tu reviendras plus tard ; nous ne possédons rien, mais nous sommes ensemble, nous nous aimons ; la lumière du jour nous est douce. » Jenny Golder, 1928 C'est que tout de même on avait oublié d'inviter une fée au moment de votre naissance : celle qui maintient allumé le petit lumignon de l'espoir. Cette flamme vous manque, ou l'excès même des félicités brillantes et superficielles l'a mise sous le boisseau. Pour tous, images du bonheur, vous êtes, au fond, des désespérées. La douceur du foyer vous hante à chaque tournant de votre existence fastueuse ; si l'amour, le véritable amour, vous effleure, vous l'accueillez de toute votre âme. Mais il ne vous est pas permis de contempler ce jeune dieu ; à l'instant où vos yeux reconnaissants l'aperçoivent, comme dans la fable immortelle, il s'envole, et vous, malgré vos richesses, votre beauté, vous ne pouvez survivre à ce départ. Pauvres étoiles qui n'aurez laissé qu'un beau sillage lumineux, vous emportez votre mystère, dissimulant encore dans la mort, sous un sourire, la solitude de votre cœur désenchanté. Jean Renouard *** Note: [1] la famille Renouard était domiciliée au 4 allée des Bocages. [2] Claude France (1893-1928), une jeune actrice de cinéma, autre étoile filante s'était donné la mort par le gaz, en janvier 1928, pour un chagrin d'amour.
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