D'après l'article de R. Bazin, dans Au pays Virois, mai-juin 1923, sixième année - L'exposition du Lycée Malherbe et l'Art Normand.
Georges Jules Moteley
Peintre-paysagiste normand (1865-1923)
.....Le peintre et le poète
Laissent en expirant d'immortels héritiers;
Jamais l'affreuse nuit ne les prend tout entiers.
L'an dernier, un de mes amis visitant au Luxembourg l'exposition des paysagistes français me disait : « Au milieu de toiles pourtant célèbres, le tableau de Moteley, le Lac de Clairvaux, m'a semblé une fenêtre ouverte sur la nature. »
C'est, à mon avis, la meilleure définition de l'oeuvre de ce peintre et c'est bien l'impression que donnaient les excellents paysages que Moteley avait envoyés au Lycée Malherbe. Les Vieux Saules, L'Orne à Clécy, La Villa sous les fleurs sont des reproductions exactes et belles de la réalité, telle qu'elle apparaît aux yeux du commun des mortels. Moteley, –le joyeux Moteley–, débordant de vie et de santé n'est pas de ces neurasthéniques amants de clairs de lune ; les pommiers en fleurs, le bord des rivières, la mer, tout ce qui est beau l'enchante, et l'artiste le traduit avec une précision et une poésie qui font penser, aux meilleures pages de Barbey d'Aurevilly.
Rappelons sa vie et son œuvre : Motheley naquit à Caen d'une famille d'ancienne bourgeoisie ; vraisemblablement, il était destiné à devenir grand négociant de charbons, armateur, etc. ; mais, à quinze ans, deux choses seules l'intéressaient : les sons et les couleurs : il entra aux Beaux-Arts ; il passa dans les ateliers de Guay, de Jules Lefèvre, de Guillement qui sut le deviner et le prit en amitié. Il n'avait pas vingt-cinq ans qu'il était reçu aux Artistes Français et déjà il avait obtenu une médaille d'or à l'Exposition de Rouen. En 1892, une mention lui était décernée avec le Vieux Lavoir à Clécy, car Moteley, séduit par la beauté de cette bourgade, y avait fait construire un modeste atelier.
C'est là qu'il travailla. Dans un certain milieu, il est admis que les peintres sont des fainéants. Demandez aux habitants de Clécy si Moteley mérite cette épithète ; ils vous diraient qu'il n'est pas de manoeuvre qui ait travaillé autant que Moteley. Dès le matin, il partait à la recherche d'un motif ; le nombre d'études qu'il a exécutées est invraisemblable. Aussi, avec ses dons naturels, il ne tarda pas à acquérir cette maîtrise qui le classe parmi les premiers de nos paysagistes. Dans notre terre fertile en chicanes, on voit de vieux procureurs madrés, à qui rien de ce qui touche à la procédure ne demeure étranger. L'habileté de Moteley en peinture surpasse celle que pourrait montrer en droit le plus retors de nos juristes. D'ailleurs, n'est-ce point Buffon qui a dit que le génie est une longue patience ?
Moteley travaille aussi facilement à l'atelier qu'en plein air. Doué d'une merveilleuse mémoire visuelle, ayant le sentiment profond des valeurs et le sens de la composition, il se fait un jeu de mettre sur pied un tableau à l'aide de quelques études et l'oeuvre apparaît saisissante de vérité.
Toutes ces qualités se retrouvent déjà dans la poétique Prairie à Clécy qui lui valut, en 1894, une troisième médaille et qui est une des bonnes toiles du Musée de Rouen. L'année précédente, l'Etat avait acquis Le Soir aux bords de l'Orne qui se trouve toujours au ministère des Affaires étrangères. En 1902, Moteley obtient la deuxième médaille et le titre de Hors-Concours ; la ville de Caen lui achète pour son musée L'Automne sur l'Orne. En 1903, l'Etat envoie au Musée d'Agen La Neige sur les baraquements de la Corderie à Clécy ; la même année La pluie sur Clécy est acquis par les Amis des Arts.
Moteley abandonne quelque peu à cette époque la campagne de Basse-Normandie : la mer l'attire. Signalons, au Salon de 1908, Un grain à La Bague (Musée de Cherbourg) ; en 1910, La barque à la côte, grande toile qui représente l'épisode d'un drame d'un raz-de-marée : cette toile appartient à la Ville de Paris. De 1912, date le Vieux Marronnier, actuellement à la mairie de Falaise ; de 1913, La Gentilhommière normande qui représente la Ferme de la Chaise ; on peut voir ce tableau, qui est l'un des meilleurs du maître, au Petit-Palais. Au Salon de 1914, figura un grand panneau décoratif destiné à la Salle du Conseil Général : L'Orne à Clécy, ainsi qu'une petite toile Effet de neige à Clécy, qui fut donnée par les Amis des Arts au Musée du Luxembourg et affectée au Cabinet du Ministre, Président du Conseil. En 1918, La Neige, paysage du Jura, fut acquis par l'Etat pour le Ministère de l'Intérieur, La Gentilhommière normande sous la neige par la Ville de Paris. En 1919, le Lac de Clairvaux, dont j'ai déjà parlé, fut envoyé au Luxembourg ; en 1922, les Marais de Gadeville furent achetés par l'Etat. Enfin, cette année, nous aurons la joie d'admirer au Salon les Ruines de Polignac (Haute-Loire), la Vue de la ville du Puy et La Chaîne des Cévennes...
...Au moment où cet article était à l'impression, nous apprenions avec une douloureuse surprise la maladie de Moteley et bientôt sa mort. Malgré sa robuste constitution, il succomba, le samedi 28 avril [1923], dans sa villa du Vésinet [2]. Une foule nombreuse de peintres l'accompagna au cimetière de cette localité ; parmi eux, Darras, Dorrée, Devauchez, prix de Rome, le grand portraitiste Déchenaud tenaient les coins du drap mortuaire, et Roger, Foreau et Duvent retracèrent la vie de l'artiste qui s'en va en pleine possession de son talent. Désormais, il appartient à l'histoire de l'Art normand, comme Millet, Poussin, Restout, Géricault, Jouvenel. Est-il parmi les grands ou les petits ? Il faudrait avoir l'esprit singulièrement rétréci pour poser une pareille question.
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Extrait d'une conférence de M. Davodet, Valogne, juillet 1925 (Association Normande)
... Dans la notice nécrologique qu'il lui a consacré, le Journal de Caen [3] signalait, non sans étonnement, et avec une certaine tristesse, que Moteley « n'avait été l'objet d'aucune distinction honorifique française ». Si invraisemblable que cela puisse paraître, c'est pourtant l'exacte vérité : Moteley a été oublié et s'est laissé oublier, car il était tout l'opposé d'un courtisan. Conscient de sa valeur, il attendait qu'on lui rendit enfin justice. Malheureusement, la mort a devancé l'heure de la réparation de cet inexplicable oubli dont il fut la victime.
Mais son œuvre nous reste. Elle est puissante et durable. Consacrée pour la plus grande part à la Normandie, elle est un poème en l'honneur de notre petite patrie. Et c'est ce qui nous la rend particulièrement chère à nous, Normands !
Tout en gardant une note bien personnelle, Georges Moteley resta dans la tradition de notre grande école de Paysagistes Français. Aussi éloigné du genre poncif que des excentricités de l'école cubiste, il donne la claire et saine vision de la nature interprétée par un grand artiste, qui sait dégager le caractère d'un paysage, comme un bon peintre de portraits sait dégager le caractère de son modèle.
En présence d'un tableau de Moteley, l'esprit n'éprouve aucune fatigue, tant apparaît lumineuse la pensée de l'artiste.
La facture est ample et d'une grande simplicité, surtout dans les tableaux des vingt dernières années où notre ami, avec une sobriété de moyens étonnante était arrivé à une puissance d'expression que peu d'artistes ont dépassée et même atteinte. — N'oublions pas, d'ailleurs, que Moteley était Normand, et que l'esprit normand, naturellement ordonné et précis, est l'ennemi juré de l'obscurité aussi bien que de l'emphase. Le souvenir de Georges Moteley demeurera donc impérissable au cœur de ses nombreux admirateurs et de ses non moins nombreux amis.
Note :
(1) On ne connait de cette toile que la photographie conservée dans les archives du Musée d'Orsay.
(2) Cette maison située au 14, avenue d'Alsace-Lorraine fut habitée ensuite par sa veuve Madame Anaïs Moteley (née François) puis par leur fils Henri Moteley, directeur de Cinéma.
(3) Journal de Caen, mardi 1er mai 1923.
Société d'Histoire du Vésinet,
2011- www.histoire-vesinet.org