L'Asile impérial du Vésinet vient de célébrer la fête de l'empereur d'une façon vraiment digne de sa destination. L'orage du 15 août en a été pour ses frais, et l'habile administrateur qui dirige avec tant de zèle ce magnifique établissement, s'est très adroitement moqué de l'aquilon qui comptait éteindre les lampions.
Par une heureuse inspiration, il remit la fête deux jours, sachant bien que tout vient à point à qui sait attendre. Or donc, le jeudi 17, les bombes, et les fusées annonçaient à toute la colonie du Vésinet que le baromètre n'avait qu'a bien se tenir, et qu'on allait narguer la pluie, après laquelle vient toujours le beau temps, si j'en crois la sagesse des nations.
En effet, la pluie n'osa pas, et, soudain, aux premières ombres du crépuscule, le splendide palais des pauvres, sur lequel plane l'incessante sollicitude de l'Impératrice, apparaissait, dans la nuit, comme une véritable gerbe de lumière multicolore on eût dit qu'un coup de baguette de quelque fée en belle humeur venait de faire jaillir, de la forêt, un de ces châteaux enchantés tout bâtis d'émeraude, de rubis et de diamants.
D'innombrables lanternes vénitiennes de toutes couleurs, suspendues dans les grands chênes du parc, semblaient autant de fleurs magiques qu'un souffle venait de faire éclore; les étoiles s'étaient mises de la partie, et l'azur du ciel avait l'air d'entrer en lutte avec cette verte, oasis qui lui reportait les cris de "Vive l'Empereur!" et les touchantes bénédictions que l'Impératrice eût été heureuse d'entendre.
C'est que l'asile impérial du Vésinet est la création favorite de S.M. l'impératrice. C'est là que sont recueillies les femmes convalescentes qui sortent des hôpitaux de Paris et pour lesquelles une rechute est craindre. Elles restent jusqu'à ce que toutes les roses de la santé aient refleuri sur leurs joues, dans cet asile impérial, élevé sur les bords de la Seine, au milieu des ombrages du Vésinet.
Mais ce qu'il y a de plus original dans cette fête, c'est que l'Asile, bien entendu, n'a aucun article de son budget qui lui alloue des fonds pour célébrer le 15 août. En effet, l'impératrice, faisant les frais de l'établissement, ne peut convenablement pas payer les bouquets de son mari.
Ce n'est pas plus l'usage à la cour qu'à la ville.
D'un autre côté, toutes les pauvres convalescentes ont plus de gratitude que de billets de banque. Comment faire ? Eh bien il y a là, un certain directeur aussi intelligent que zélé. Savez-vous ce qu'il fait avec le concours de ses milliers d'hôtes ? Pendant toute l'année, on met de côté toutes les graisses non consommables dans l'immense consommation; on les fond, et voilà de quoi illuminer tout Paris sans bourse délier. De plus, pendant le mois de juillet, toutes ces ouvrières inoccupées s'amusent façonner des lanternes vénitiennes et des ballons en papier de toutes couleurs, et voilà encore des myriades de lucioles toutes prêtes à grimper dans les arbres, à s'accrocher aux corniches, à ramper dans les parterres et à entrelacer sur les portiques de feu les lumineuses initiales de l'Empereur et de l'Impératrice.
Et tout cela, combien ? Zéro au total.
Dame ! voilà de la magnificence à bon marché, dont les pauvres peuvent faire tous les frais. On a beau dire, ces gens-là ont du bon. Le peuple est un banquier qui paye à vue les lettres de change de la reconnaissance ; il ne fait jamais faillite ; c'est son coeur qui solde et la caisse est bien garnie.
Asile impérial du Vésinet - 1865
Il y a quelques mois, par une belle matinée de printemps, un simple petit panier trainé par deux petits poneys conduits par un cocher sans livrée entrait bravement, au grand trot, par la grille de l'Asile; deux dames en toilette très peu tapageuse sautaient légèrement sur les marches du perron, grimpaient le grand escalier, et priaient la première soeur qu'elles rencontraient de leur permettre de visiter la maison ; cette faveur ne se refuse jamais.
Voilà nos deux curieuses de parcourir les dortoirs, les réfectoires, les buanderies, les cuisines bref, furetant gaîment de la cave au grenier ; toutes les convalescentes étaient réunies à l'ouvroir : elles n'avaient rencontré personne, que quelques bonnes religieuses trottinant dans les longs corridors avec leurs potions et leur chapelet.
Tout à coup l'une des deux curieuses pousse une porte, et se trouve au milieu de trois cents femmes qui écoutaient une lecture, tout en travaillant à l'aiguille. Elle s'avance vers la soeur qui présidait dans la chaire, et lui demande si elle peut parcourir la salle. Celle-ci l'accompagne, et elle, s'arrêtant à chaque banc, à chaque groupe, se met à causer couture, lingerie, et de tout ce qui pouvait intéresser cette charmante colonie ouvrière. Quelle est votre maladie ? Allez-vous mieux ? Etes-vous bien ici ? Etes-vous mariée ? Avez-vous des enfants? Que fait votre mari ?
Et tout cela avec la grâce d'une femme qui a le cœur sur les lèvres, les lèvres pleines de sourires.
Toutes ces pauvres filles regardaient la belle dame, avec des pleurs dans les yeux, et semblaient se demander d'où venait une si touchante apparition ? – Est-ce que ce n'est pas bientôt la récréation ? s'enquit l'inconnue.
– Dans une demi-heure, madame; répondit la sœur.
– Oh ! pour si peu, j'aimerais à voir cet essain d'abeilles travailleuses voltiger un instant sur ces belles pelouses qui sont là sous les fenêtres.
Tout le monde se regardait en rougissant d'une joie douteuse, et la bonne sœur souriait d'un air qui semblait reprocher une certaine outrecuidance, lorsque le directeur, le vicomte de Lastic, qui faisait sa tournée d'inspection quotidienne, entra.
A la vue de la visiteuse, il s'inclina profondément et ne put que murmurer Quoi ! Madame... Votre Majesté a daigné... Il ne put achever; les trois cents voix éclataient comme un tonnerre ; - Vive l'Impératrice ! vive notre mère à tous ! Et toutes l'entouraient avec plus d'entraînement que de circonspection et, ma foi, l'Impératrice, serrant les mains envoyant des sourires et pleurant comme les autres, eut bien du mal, le directeur aidant, à se faire jour avec sa lectrice, Mlle Bouvet, à travers ces flots qui s'ouvraient et se refermaient sur son passage. Voici une bonne matinée, disait-elle en remontant dans son panier. Une belle journée ! s'écriaient toutes les convalescentes de l'Asile, qui foulèrent les pelouses jusqu'au soir, et s'aperçurent au réfectoire qu'une bonne fée avait jeté quelque supplément dans la marmite.
Les fondations charitables, inspirées et patronnées par l'Impératrice, forment une liste, dont la longueur et la variété sont à l'honneur de la Souveraine : patronage des Sociétés de charité maternelle, pour donner des secours aux femmes en couches ; fondation de lits pour les incurables ; création à Dieppe de la Société de Notre-Dame de Bon-Secours, pour les marins vieux et infirmes; création à Paris, dans le faubourg Saint-Antoine, d'un second hôpital d'enfants ; patronage des crèches et des salles d'asile ; fondation aux Eaux-Bonnes de l'Asile Sainte-Eugénie, pour les militaires et malades pauvres fréquentant cette station; fondation de la Société des prêts de l'enfance au travail, dite Société du Prince impérial, qui groupait les enfants en association pour donner des secours aux travailleurs ; création et patronage de la Société centrale de sauvetage des naufragés ; patronage de huit établissements de bienfaisance, la maison de Charenton, l'institut des Jeunes Aveugles, l'institut des Sourds-Muets de Paris, l'institut des Sourdes-Muettes de Bordeaux, l'institut des Sourdes-Muettes de Chambéry, l'hospice du Mont-Genèvre, l'asile de convalescence de Vincennes, l'asile de convalescence du Vésinet ; don aux hospices de Lyon du château de Long-Chêne, pour un asile de convalescence ; ouverture de l'Hôpital-Napoléon à Berck-sur-Mer, pour le traitement des enfants scrofuleux.
Napoléon Ier avait fait de sa mère la Protectrice de tous les établissements de bienfaisance et de charité de l'empire français; c'est une surintendance du même genre qu'exerça pendant dix-sept ans la femme de Napoléon III.
Toutes ces oeuvres de charité sociale lui inspiraient une légitime fierté. "C'est là," disait-elle avec raison, "qu'est l'honneur du règne."[1]
A Sa Majesté l'Impératrice, le Chœur des Convalescentes [2] Sous un arbre de l'asile du Vésinet, le 16 novembre 1863.
Du Vésinet la cloche sonne,
C'est l'ange de la charité
Qui, laissant au ciel sa couronne,
Apporte la félicité.
Fleurs souffrantes, à ta bonté
Nous adressons nos chants de fête ;
Quand Dieu nous rendra la beauté,
Reine, nous ornerons ta tête !
[1] L'Impératrice Eugénie, par G. Lacour-Gayet, de l'Académie des sciences morales et politiques - Editions Albert Morancé, Paris, 1925
[2] A Sa Majesté Napoléon III. Bonhoure, Dentu, Paris, 1863
Société d'Histoire du Vésinet,
2010- www.histoire-vesinet.org