M. Henri Chivot est mort hier soir, à six heures, dans sa propriété du Vésinet. Il souffrait depuis longtemps d'un rhumatisme aigu qui l'avait couché il y a une semaine. Il allait mieux pourtant quand l'angine de poitrine s'est déclarée hier et l'a emporté.
Chivot était né à Paris le 13 novembre 1830. Ancien clerc d'avoué, puis employé et enfin chef de bureau au chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée il avait écrit sa première pièce en collaboration avec Marc Michel. C'était Une Trilogie de pantalons, qui fut jouée au Palais-Royal en 1855. Puis, il s'était lié avec Duru, et désormais, toutes ses pièces furent signées Chivot et Duru. Elles sont innombrables. Pendant de longues années, les deux collaborateurs furent les fournisseurs attitrés du Palais-Royal, des Folies-Dramatiques, des Variétés, des Bouffes, etc., etc.
Il est impossible de rappeler ici les titres de toutes ces pièces. Les plus connues sont Les Chevaliers de la Table Ronde (Bouffes, 1866) les Forfaits de Pipermans (1 acte, Bouffes, 1867) le Chatouilleur du Puy-de-Dôme (1 acte, Palais-Royal 1868) le Carnaval d'un Merle blanc (3 actes, Palais-Royal, 1868) Fleur-de-Thé (3 actes, Palais-Royal, 1868); les Cent Vierges (3 actes, Variétés, 1872); le Grand Mogol (3 actes, Gymnase de Marseilles, 1877); Mme Favart (1878); la Fille du Tambour-major (4 actes, Folies-Dramatiques, 1879); la Mascotte (1889) ;Gillette de Narbonne (2 actes, Bouffes-Parisiens, 1882); Boccace (3 actes, Folies-Dramatiques, 1883); la Princesse des Canaries (3 actes, Folies-Dramatiques, 1883); la Cigale et la Fourmi (1886); le Voyage de Suzette (1889), etc., etc.
Les musiciens les plus en vogue recherchaient ses livrets, et c'était Offenbach, Hervé, Lecocq, Suppé, Audran, Planquette. Le mois dernier, on s'en souvient, en réponse à une lettre que nous lui écrivions, il nous répondait quelques lignes remplies d'une aimable et indulgente philosophie, où il se jugeait lui-même et qui prennent aujourd'hui qu'il est mort une très intéressante signification. En voici quelques extraits :
Je suis vieux, puisque mon premier vaudeville a été joué au Palais-Royal, il y a quarante-deux ans. J'ai beaucoup produit, puisque j'ai fait représenter à Paris quatre-vingt-seize pièces. Il en résulte que je m'accorde généreusement des loisirs bien mérités. Je passe l'été au Vésinet. Je vous recommande le Vésinet, c'est un endroit charmant et je m'y donne pour consigne, fidèlement observée de me reposer beaucoup, travailler très peu. Conformément à ce programme, j'écris en ce moment, avec une sage lenteur, une comédie en trois actes que j'ai l'intention de présenter aux directeurs du Palais-Royal...
Au début de ma carrière je me suis donné pour modèles Scribe, Labiche et Duvert (on pouvait choisir plus mal) qui apportaient un très grand soin à la charpente de leurs pièces et avaient recours, pour obtenir leurs effets, à de nombreuses préparations. Je suis resté fidèle à ce système et je constate que les vaudevilles et opérettes qui ont le mieux réussi dans ces derniers temps étaient précisément construits d'après ces principes qu'on est convenu d'appeler le vieux jeu. J'en conclus que le vieux jeu a du bon, mais je reconnais que, pour donner satisfaction aux désirs du public, il est nécessaire, même dans les œuvres légères, de serrer la vérité de plus près et de fouiller davantage les caractères des personnages. L'habileté consisterait peut-être à édifier le gros oeuvre d'après les anciennes traditions, mais à apporter une foule d'idées neuves dans les détails de l'architecture.
Chivot laisse un fils, Charles Chivot [1], le peintre militaire connu, et deux filles [2]. Il sera enterré au Vésinet probablement mardi [3].
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Notes SHV:
[1] Charles Louis Alexandre Chivot (1866-1941), peintre, sculpteur et illustrateur, élève l'Académie Julian, de Bouguereau, de Robert-Fleury et de Bonat. Il est surtout connu comme affichiste et illustrateur de nombreux journaux tels que le Chat Noir, le Courrier Français ou encore, l'Aérophile, mais pas comme peintre militaire. Il a résidé dans l'Ile de Bréhat, près du Sémaphore où il a peint quelques marines. Il signait parfois "Ch. Tovitch" des travaux alimentaires (des nus évocateurs).
[2] Mmes Henry Didsbury (épouse d'un chirurgien dentiste de l'Hôpital Tenon) et Pormin.
[3] Le matin du mardi 21 septembre, à dix heures et demie, les obsèques eurent lieu à l'Eglise Sainte Marguerite. Le deuil était conduit par M. Charles Chivot, fils du défunt, et par MM. le docteur Henry Disbury et Pormin, ses gendres. Le service religieux fut célébré par l'abbé Bergonier, curé de la paroisse ;
Beaucoup de monde était arrivé de Paris par le train. A la messe, Charles Lepers de l'ancien Théâtre Lyrique, chanta, à l'élévation, le Pie Jesus, et M. Pennecey le Miserere, tous les deux, accompagnés à l'orgue, par Léon Vasseur.
Parmi les assistants qui se pressaient dans l'église, les directeurs des grands théâtres parisiens : Debruyère, de la Gaité, Michaud, des Nouveautés, Marx, de Cluny, Lemonnier, de la République, et Rolle, de Déjazet. Avaient aussi fait le déplacement des compositeurs (Audran, Planquette, Vasseur) des librettistes (Blondeau, Monréal, Burani, Gascogne, Renaud) les secrétaires des principaux théâtres Delilia, Valyn, Akar), les représentants de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (MM. Roger et Prudhommeau) ; M. Lecocq, critique dramatique, etc.
Au cimetière, nul discours. Selon la presse, aucun des membres de la commission n'était alors à Paris, ce qui fut considéré comme un "manque d'égards non voulu, peut-être, mais inconvenant envers la mémoire d'Henri Chivot qui avait tenu une si grande place dans le monde théâtral."
[Selon La Presse n° 1943, et Le Journal n°1821 du 22 septembre 1897]
Société d'Histoire du Vésinet,
2011- www.histoire-vesinet.org