D'après "Figures
contemporaines " (Album Mariani) Tome 3, 1897
Henry Bauër (1851-1915) écrivain, polémiste
et critique dramatique célèbre
Il faut n'avoir jamais assisté à une
répétition générale – cette quotidienne solennité qui a remplacé la
première, aujourd'hui plus mondaine qu'artistique – pour ne point connaître
de vue Henry Bauër. D'ordinaire dans une baignoire ou une premiere
loge, il trône l'après-midi, comme le lendemain soir M. Francisque
Sarcey dans son fauteuil de balcon. C'est que Henry Bauër est aux jeunes
générations dramatiques ce qu'est l'oncle Sarcey pour les traditionnistes.
Mais il n'a pas en critique dramatique autant d'absolutisme.
Le difficile est de s'efforcer de tout comprendre. M. H. Bauër comprend énormément
de choses, il est à l'affût de tout ce qui parait, de tout ce qui montre
profil nouveau et ses opinions ont force de loi, sinon pour le public,
du moins parmi les artistes. Nous allons puiser dans un livre de M. Henry
Bauer, Mémoires d'un jeune homme, les principaux détails de la
vie de Jacques Renoux, qui a, je crois bien, beaucoup de ressemblance
avec celle de notre héros.
Premier chapitre. "Sensations puériles" Une levrette,
Lelia, amie d'enfance, Coco, ara maudit et son père, "un rêveur
bienveillant, un bourgeois romanesque tout ensemble timide et aventureux",
marchent de front dans ces premiers souvenirs.
Chapitre deux. "Institution Rosquet" Il a neuf ans et
apprend déjà à connaître les hommes. Son voisin d'étude, un Italien,
se pique le bras et accuse le petit Jacques. "Je fus puni et
durement réprimandé. Depuis, la vie m'a éprouvé par d'autres mécomptes.
J'ai subi l'injustice, la haine et la calomnie : ce sont les manières
des hommes envers qui discute leurs actes d'intérêt ou excite leur envie,
mais jamais je n'oubliai le premier mensonge sous lequel j'avais succombé ...
Ce fut la révélation à un enfant de l'injustice, salutaire leçon qui
m'en versa la haine et a fait bouillir mon sang chaque fois qu'un innocent
pâtit d'accusation injuste, dans les engrenages d'une machination ".
Au
troisième chapitre, il passe au lycée Louis-le-Grand. Il avait jeûné et
avait été battu à Rosquet, on le chahute à Louis-le-Grand. A voir aujourd'hui
le beau géant qu'est Henry Bauër, on s'étonne d'apprendre qu'il fut jadis
chétif et laid.
Chapitre quatre. "Sensations juveniles". Son amour pour
Mlle Antonine, du théâtre de la Gaité et le récit cru de son entrée dans
la vie d'homme. II est étudiant au chapitre cinq. II devient un Type
du Quartier.
Henry Bauer vers 1870
Il ne faut pas moins de quatre chapitres
pour raconter l'histoire de ses amours sentimentalo-fantaisistes avec
Mlle Marie. Puis "La politique". Les études sociales lui
font oublier la médecine, sinon le droit. Prud'hon, Blanqui ont toutes
ses faveurs. Jacques rend visite à Edgar Quinet. La guerre est déclarée.
Il va pour s'engager; mais, mal accueilli par un officier grincheux,
il quitte fièrement la caserne. Après la proclamation de la République,
il s'engage dans l'artillerie de la garde nationale et enrage de l'inaction à laquelle
on le condamne. Le récit personnel du siège par Jacques est plein de
pittoresque. Notre jeune héros, débordant de fougue inemployée, se
mêle à la journée du 31 octobre. Il est arrêté et on le conduit à la
Conciergerie, puis à Mazas, le 1er janvier 1871.
Départ pour la Nouvelle-Calédonie sur le Danaë. Le récit du terrible
voyage est plus dramatique que tous les romans les plus ingénieux. "Est-ce
bien moi qui ai vu tout cela? Il me semble que je rentre dans un cauchemar,
que je relis les feuillets de l'existence d'un autre homme, tellement
ces souvenirs lointains sont détachés de moi. Ai-je bien pu vivre durant
cent cinquante-trois jours dans un enfer roulant entre les barreaux d'une
cage ou au fond d'un in pace de fer?".
Durant cinq années, le malheureux vit à la presqu'île Ducos. Quelques
batailles, un duel, quelques empoisonnements, une amourette, un ouragan,
une invasion de sauterelles, marquent les jours monotones. L'arrivée
de Rochefort et son évasion sont contées avec une belle sympathie respectueuse.
Si le Jacques du livre est le Bauër d'aujourd'hui,
il faut applaudir bien fort à sa belle énergie reconquise et à sa vie
nouvelle toute de bravoure et de justice. S'il est mis à part dans
les classements de contemporains, c'est pour être placé dans la catégorie
des maîtres vénérés. Ses chroniques vaillantes et toujours généreuses
attaquent souvent les hommes et les institutions, mais ses opinions
sont écoutées. Son oeuvre de critique dramatique est de premier rang
et fécondante !... Quels que soient les sujets, le style est net, mâle,
ne reculant devant nulle vigueur d'épithète, devant aucune imagination évocatrice;
la nature toute vive et l'esprit le plus varié forment en ses livres
et en ses moindres articles une mosaïque solide et comme lumineuse
...
Henry Bauer vers
1897
Journaliste, son premier article
parut en 1868 ou 1869, dans un journal d'opposition de la rive
gauche. M. H. Bauër entra au Réveil en septembre 1881.
Ce journal se continua sous le nom d'Echo de Paris en
1884: M. Bauër ne l'a jamais quitté. II y débuta par de menues
besognes: échos, nouvelles théâtrales. etc. Notons en 1884, ses
articles sur Bayreuth et le wagnérisme alors conspué. M. Bauër
fit bientôt au Réveil la Soirée parisienne, tandis que
M. Alphonse Daudet rédigeait la critique dramatique.
Après la retraite du maître. M. Bauër fut élevé à la dignité de
critique. On sait qu'il y gagna vite ses galons. II protégea le Théâtre
Libre,inventa quasiment I'Œuvre, les deux entreprises
artistiques de ces dix dernières années.
Gravure F. Desmoulins,
Le 21 octobre 1915, à Paris, Henry Bauër
meurt lucide et sans peur, comme toujours. Seules, les tristes nouvelles
de la grande tuerie ont assombri ses derniers moments. La gravité de
la situation empêcha que ne soit donnée dans la presse toute l'importance
que revêtait cette disparition pour l'histoire littéraire de la France.
Le lendemain, 22 octobre dans l'Echo de Paris, dont Bauër avait été,
pendant seize ans, le critique dramatique, le journaliste Eugène Tardieu
honorait dignement sa mémoire:
[...] Tous ceux qui ont connu Henry Bauër à cette époque ont gardé le
vif souvenir de ce colosse aux cheveux abondants et prématurément blanchis
et qui ressemblait si fort au père Dumas que Dumas fils l'appelait quelquefois
en souriant "Mon père."L'influence d'Henry Bauër sur l'art
dramatique de son époque a été grande. Les campagnes en faveur du théâtre
d'Henry Becque et du théâtre libre, eurent un grand retentissement [...].
Le Figaro, du même jour, lui consacra aussi un bel article:
...Depuis plusieurs années, on ne le rencontrait que fort rarement
dans nos théâtres. Il n'y venait plus que pour assister à la reprise
d'une de ces oeuvres qu'il avait ardemment défendues à leur création,
qui n'avaient pas réussi et dont l'originalité, la beauté, l'importance étaient
enfin reconnues officiellement et publiquement. Il se tenait secrètement à l'écart,
comme un vieil oncle indulgent; sur son visage si coloré, un sourire
mélancolique passait. Et Henry Bauër s'éloignait et, dans le remous des
couloirs, on le distinguait encore de loin à sa haute stature et à la
blancheur magnifique de ses cheveux que les chapeaux les plus hauts de
forme et aux ailes les plus larges ne pouvaient assombrir. Il avait été le
défenseur d'Ibsen, d'Henry Becque, du Théâtre libre, Il gardait en lui
l'ardeur de ses polémiques, et sa dernière joie était d'être salué par
les jeunes qui le rattachaient à sa jeunesse. Les obsèques civiles du "Mousquetaire de la plume" eurent
lieu le samedi 23 octobre 1915, au columbarium du Père-Lachaise. Les
cendres furent ensuite déposées dans le caveau de famille à Chatou. En
1963, son fils Gérard Bauër fit l'acquisition d'un caveau au cimetière
de Charonne, non loin des sépultures des victimes de la Commune. Il y
fit tranporter les restes de son père et il y fut lui-même inhumé quelques
années plus tard.
Autre source: Cerf Marcel, Le mousquetaire
de la plume Henry Bauër fils naturel d'Alexandre Dumas, Académie d'Histoire
- Paris 1975
Société d'Histoire du
Vésinet, 2008 - www.histoire-vesinet.org