D'après René Lara, Le Figaro, 4 février 1909 Javotte C'était un après-midi de juillet, il y a une dizaine d'années. Camille Saint-Saëns habitait alors à Saint-Germain [en Laye] une petite propriété qu'il avait louée pour la saison. Chaque dimanche, il invitait quelques amis à venir goûter la fraîcheur de ses ombrages ; il leur montrait avec fierté un magnifique cèdre du Liban, transplanté là on ne sait comment, et qui lui rappelait les pays d'Orient il leur présentait avec ravissement ses corbeilles de fleurs qu'il surveillait avec un soin jaloux, et l'éblouissant causeur mettait autant de charme et de grâce à conter l'histoire des roses et des papillons que d'esprit et de verve, lorsqu'en de fréquentes diversions, il évoquait des souvenirs personnels ou narrait quelque savoureuse anecdote. – Vous savez, ça y est j'ai écrit la dernière mesure ce matin ! Croze était radieux, et aussitôt : – Alors, mon cher maitre, si j'osais ? – L'entendre. – Justement. – Mais notre promenade ? Y renoncer, jamais ! – Nous la ferons plus tard. – Soit. Allons au salon. L'illustre compositeur nous devançant se dirigea vers le piano, prit un paquet de feuillets à musique, s'assit devant le clavier et se tournant vers nous : – Ceci, mes amis, vous représente un ballet, un ballet que je viens de terminer et dont Croze a écrit le livret. N'allez pas croire surtout que ce soit une "grande machine". Pas du tout, c'est une idylle fantaisiste, un "amusement" qui m'a follement diverti à composer. Il me semble que j'ai été musicalement faire un tour aux champs. Saint-Saëns nous emmena avec lui faire ce "tour inattendu". Tout de suite, nous avions été conquis et charmés. C'était sans doute là, comme il le disait lui-même, un amusement mais un amusement rare et exquis, où se découvrait un des côtés les plus curieux de cette complexe individualité le côté d'espièglerie gamine et de bonhomie souriante qui s'exprimait avec une étincelante verve et une merveilleuse maîtrise.
Dessin de M. Parys publié dans le Monde Illustré pour la représentation de Javotte, Ballet de Camille Saint-Saëns et J.-L. Croze, à l'Opéra Comique (4 novembre 1899) Telle fut la première audition de Javotte. Dix ans ont passé et voici que Javotte nous revient. Le délicat musicien qu'est Messager, le fin dilettante qu'est Broussan ont compris que Javotte avait sa place marquée au répertoire de l'Opéra et lui ont, avec un louable empressement, ouvert les portes de notre Académie nationale de musique mieux encore, dans une pensée touchante et qui leur fait honneur, ils ont voulu que le retour de cette enfant prodigue fût l'occasion d'un festival en l'honneur de notre, illustre compositeur. Ils l'ont inscrite au programme de demain soir à côté de Samson et Dalila. Croze signe toutes ses œuvres de son patronyme précédé des seules initiales J. L. qui peuvent correspondre à ses deux premiers prénoms Joseph et Léopold. Certains articles ou notices consacrés à l'auteur, au critique ou au créateur du cinéma aux armées mentionnent parfois "Jean-Louis Croze" sans justification. **** Notes et sources [1] Albert Périlhou (1846-1936) compositeur, organiste et pianiste français fut élève de Louis Niedermeyer, Gustave Lefèvre et Camille Saint-Saëns et fit sa scolarité en même temps que Gabriel Fauré. [2] Croze (J.-L.) auteur dramatique, 4, faubourg Poissonnière et villa Javotte, Le Vésinet, Seine-et-Oise. [Annuaire des gens de Lettres, 1905] [3] D'après Gaston Lemaire, La Politique coloniale, 25 octobre 1899.
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