D'après Marcel Sauvage pour L'Intransigeant, dimanche 31 août 1930 (Extrait).

Joséphine Baker parle du Vésinet

Dans un numéro dominical du mois d'août 1930, au détour d'une chronique intitulée « Les banlieusiens chez eux » un mot tout neuf, aujourd'hui disparu au profit de « banlieusard » au suffixe plus péjoratif, nous découvrons ce témoignage de Joséphine Baker sur sa vie au Vésinet. On retiendra que l'auteur de cette brève chronique sera la plume de Joséphine lorsque, une vingtaine d'années plus tard, paraîtront ses Mémoires. [1]

    Au Vésinet, un après-midi chez Joséphine Baker.

    Nous étions six à picorer à qui mieux mieux dans un plan de fraisiers...

      — Dites-moi, miss...

      — Mangez donc des fraises...

      — Oui, mais je voudrais que vous me parliez du Vésinet, de votre banlieue, des raisons qui...

      — Tout à l'heure... Ah ! la belle rouge, tenez, c'est pour vous...

    Après quoi, nous jouâmes au tennis. Joséphine Baker me renvoyait la balle, en dansant.

      — Dites-moi, miss...

      — Attrapez donc celle-là !

    Après quoi, nous prîmes le thé, ou plutôt le cocktail, car il était déjà tard. Mais Joséphine, ou plutôt « José », comme la nomment ses amis, ne prend jamais d'alcool. Elle se reposait au rythme d'un rocking-chair.

    Cette fois, me dis-je...

    Mais Joséphine Baker, qui m'observait du coin de l'œil, se mit à rire, de ce rire magnifique d'enfant gâtée qui met de la joie autour d'elle.

      — D'abord, venez voir mes jets d'eau...

      — Mais, chère amie, je m'excuse, il va être l'heure de partir, et mon interview...

      — Restez à dîner ; ensuite, je vous parlerai du Vésinet...

     

    Joséphine Baker au Vésinet

    « Ici, pas de chiqué... Chacun dans son jardin »

    Tiré d'une séries de photographies parues dans Pour Vous, juin 1936.

    Après dîner, au bord d'une pelouse.

    Il faisait très doux, on n'entendait aucun bruit, sinon le coup de sifflet, étouffé d'un train, heureux derrière lui les derniers faubourgs.

      — Le Vésinet, me dit enfin l'étoile noire, je l'aime pour la discrétion de ses villas, pour la beauté tranquille de sa campagne, si proche de Paris... Ici, j'ai toujours envié de chanter, de danser... Mais rien que pour moi, mes amis, mes lapins, mes pigeons, ma panthère... Ah! le chiqué, quelle horreur... Ici, pas de chiqué... Chacun dans son jardin.

    Et Joséphine, qui, à force d'attention et de travail, parle aujourd'hui le français d'une façon étonnante, parlait, parlait, avec cet accent créole d'une mélancolie si tendre.

      — Je veux que les enfants du Vésinet aient un arbre de Noël ma-gni-fi-que... Je suis si heureuse dans ce petit pays... Vous avez vu mon clocher... Et la gare... Vous sortez, à droite ou à gauche, vous êtes aussitôt dans la campagne, au milieu des arbres... Il me semble que le Vésinet est la plus française des banlieues de Paris : tout y est propre, clair, bien ordonné, rien qui dépare le paysage ni les proportions du paysage...

    Cependant que Joséphine Baker m'expliquait tout cela, en cherchant un peu ses mots, je songeais à la légende de Joséphine Baker, une « sauvage » contre qui tant de récriminations, de moqueries de plus ou moins bon goût, se sont élevées naguère. Comme la vérité, me disais-je, est différente. Quelle charmante sensibilité. Quelle intuition intelligente des êtres et des choses et même d'une époque.[2]

      — Il faut, voyez-vous, revenir à la campagne, sinon la ville nous tuera tous, et, moi, je ne veux pas que la ville me tue. Je veux vivre à l'écart, sagement. J'ai trouvé une belle maison au Vésinet, la plus belle de toutes maintenant, et j'aime mon nouveau petit pays de tout mon cœur... Il faudra revenir nous voir souvent... Plus j'ai d'amis autour de moi, plus je suis heureuse. Et puis, quand vous reviendrez, je parlerai plus longuement du Vésinet, car vous le pensez bien, je ne vous ai pas tout dit.

     

    Caricature : Joséphine Baker au jardin

     

    ...Le Vésinet, comme un losange vert dans une boucle de la Seine.

     

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    Notes et Sources :

    [1] Marcel Sauvage (1895-1988), Les Mémoires de Joséphine Baker, Editions Correa, París, 1949 (348 pages, 6 planches). C'est l'édition la plus complète de cet auteur mais la première version date de 1927 ! aux éditions KRA, illustrée de dessins de Paul Colin.

    [2] A l'occasion de la parution de « Une vie de toutes les couleurs » sorte de Mémoires par la plume, bien parisienne, de André Rivollet, on rapporta dans le magazine, Mon Paris (revue mensuelle, novembre 1935) l'anecdote suivante. A un ami qui venait d'expliquer, en italien, au cher Pépito, lequel retraduisait en anglais pour Joséphine le sens français du mot « nègre » en librairie, celle-ci remarqua : « Le plus drôle, c'est que le premier auteur de mes « Mémoires » — j'en dicterai encore — s'appelle M. Sauvage ! »

 


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