Par Louis Léon-Martin, Le Petit Parisien - n° 18763, 13 juillet 1928.
Jenny Golder, une étoile qui s'éteint
Une étoile qui s'éteint... L'image ternie par l'usage reprend ici toute sa valeur. Les yeux de Jenny Golder, ces yeux admirables, ces yeux lumineux ou tant d'esprit, tant de flamme, tant de malice ou tant de ferveur s'allumaient, ces yeux sont fermés à jamais. Jenny Golder était, une force du music-hall. Elle était par excellence la star Internationale mais elle aimait Paris, à qui semblaient la destiner son accent gavroche, son sourire mobile, l'esprit de ses jambes, son entrain « de chez nous » et Paris l'avait adoptée. Nous l'avions vue jadis au cours d'une revue aux Folies-Bergère, puis elle était revenue au music-hall des Champs-Elysées, et son succès avait été si soudain, si magnifique, si complet que, cette fois, elle s'était imposée d'un coup. Les meneuses de jeu sont rares au music-hall. D'emblée, Jenny Golder s'avérait une animatrice incomparable. Elle le prouva bien par la suite à l'Empire et dans cette revue du Palace dont elle fut la vedette avec Harry Pilcer [1].
Jenny Golder brûlait les planches et communiquait son entrain aux salles les plus moroses. Elle n'avait pas sa pareille pour danser, chanter perchée sur un piano, risquer un écart, cligner des paupières, éveiller un hommage et jongler avec, jouer de l'éventail, lancer une blague et, à l'occasion, porter le panache ! Nulle ne recevait comme elle le pinceau d'un projecteur dans l'œil.
Davantage, elle ne devenait elle-même que sous l'éclat brutal des phares. Alors elle souriait à son aise et ravie, et l'on ne savait qui brillait le plus de ses yeux d'onyx ou de ses dents magnifiques. Jenny Golder s'accordait merveilleusement au rythme désarticulé du jazz : en quoi elle était bien de ce temps. Elle s'adressait à toutes les civilisations. De fait, son art et sa personnalité éveillaient partout de merveilleuses correspondances. Elle était comme un alcool de marque, mais accessible à tous les palais.
C'est en ce sens qu'elle était une force du music-hall, ainsi que je le disais tout à l'heure. Et la femme ne le cédait en rien à l'artiste. Je sais d'elle des traits d'une générosité spontanée, immédiate et qui la classent. Elle avait réussi, mais elle ne s'enorgueillissait pas. Elle demeurait simple et accueillante aux camarades moins bien armés pour la lutte et que la chance n'avait pas favorisés.
Nous n'entendrons plus Jenny Golder et son délicieux accent anglo-saxon. Nous ne l'entendrons plus chanter cocassement « Je me souis donnaïe dans oune soupière», Ce qui signifiait: « Je me suis donnée dans un soupir ». Nous ne la verrons plus tour à tour en travesti ou empanachée, un peu canaille, mais d'une telle santé, d'un si généreux.
En vérité, la fin prématurée de Jenny Golder laisse au music-hall un vide qui ne sera pas comblé d'ici longtemps.
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Note et sources:
[1] Elle créa avec Pilcer, en 1926, le Black-Bottom, une danse de l'époque proche du Charleston, beaucoup pratiquée par Joséphine Baker. La Rampe, n°428, 15-31 juillet 1928.
Société d'Histoire du Vésinet,
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