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Julien Green
ses souvenirs de jeunesse au Vésinet

L'académicien Julien Green (1900-1998) a vécu au Vésinet dans la grande maison Villa du Lac, 1 avenue Scribe, que ses parents avaient louée de début 1913 à septembre 1915. Elle existe toujours.


La Villa du Lac (à gauche) avec la perspective av. Scribe / av. de la Princesse.
Détail d'une carte postale - début du XXe siècle.

En 1963, Julien Green publie Partir avant le jour (Paris, Grasset), œuvre autobiographique consacrée à ses premières années. Voici ce qu'on pouvait en lire dans la revue Etudes [1] au moment de cette parution.

    Encore un voyage à la découverte. Encore l'effort d'un romancier pour se rejoindre. Mais ce visage de lui-même que Julien Green s'est efforcé de faire apparaître dans son dernier livre, c'est un visage effacé, perdu, exhumé lambeau par lambeau de la terre profonde du souvenir. Partir avant le jour : jamais titre fut-il mieux choisi ? Joies des marches amorcées de grand matin dans la campagne encore noyée d'ombres, dont le soleil, à son lever, révélera bientôt les contours. Julien Green se penche sur son passé, renoue avec cette toute première enfance à laquelle il n'avait fait jusqu'ici que quelques allusions fugitives. L'homme qu'il est devenu aujourd'hui ? Nous le connaissions d'abondance par la lecture du Journal, inauguré par lui en 1928. Mais l'enfant qu'il avait été, tout juste le pouvions-nous pressentir, avertis seulement par telle ou telle confidence antérieure (« Tout ce que j'ai écrit procède en droite ligne de mon enfance ») de l'importance et du profit que pourrait présenter pour nous un tel retour en arrière.
    Or, voici la lacune comblée. Tout un florilège de souvenirs nous permettent de suivre pas à pas ces commencements d'une existence, depuis les tout premiers éveils de la conscience (1903, Green alors a trois ans), jusqu'à l'enrôlement du jeune homme à dix-sept ans, à la fin de la première guerre mondiale, dans les services de la Croix-Rouge. Restent dix années (1918-1928) dont rien ne nous est dit encore, mais sur lesquelles un prochain livre viendra sans doute faire la lumière. [2]
    appartiendra certes au lecteur de recomposer la gerbe. Sans peine, va se reconstruire à ses yeux le cadre où s'écoula cette enfance. Habitations successives rue Raynouard, rue de Passy, rue de la Pompe. Séjours de vacances au Vésinet, à Andrésy. Promenades au bord de la Seine que sillonnent les chalands et les remorqueurs. Visites à l'église américaine de l'Alma, au couvent de ce vieux quartier du XVIe où l'enfant venait chaque semaine s'entretenir avec son confesseur. Maintes précisions nous sont données sur les conditions assez singulières de l'éducation reçue par le jeune Green dans un foyer familial à double culture, entre ses parents originaires de Virginie et de Géorgie (la mère protestante, le père converti au catholicisme), ses cinq sœurs (l'aînée Éléonore, et les cadettes Mary, Anne, Retta, Lucy), sans oublier la vieille bonne qui l'appelle « Joujou ». Évocation, à cette occasion, du mystère des antiques maisons bourgeoises, avec leurs escaliers de bois gravis dans le noir, la chandelle en main, et leurs placards à vêtements si profonds qu'ils semblent hantés par quelque présence invisible. Autant d'images naïves et charmantes, demeurées fraîches comme au premier jour, revues telles qu'a pu les voir un enfant né au cœur de cette époque heureuse qui connut les voitures à impériales, les soirées à la Gaîté Lyrique et les débuts du cinéma ! [3]

Alain-Marie Foy a relevé pour la SHV, quelques-uns des souvenirs qu'il évoque dans son livre, s'arrêtant à l'été 1917, concernant plus particulièrement Le Vésinet.

    -p.161 : «  Cette année –là  [1913] germa dans l'esprit de mon beau-frère une idée qui ne parut qu'à moitié bonne à mes sœurs, mais qui séduisit ma mère : quitter la rue de la Pompe et aller vivre tous ensemble dans la grande banlieue. Une villa fut trouvée au Vésinet, banale, mais spacieuse, tout en haut de l'avenue de la Princesse. Un grand jardin l'entourait, cerné par l'avenue que je viens de nommer, le boulevard Carnot, et un autre bout d'avenue qui portait le nom de Scribe. [En fait, il omet l'avenue du Belloy, tandis que l'avenue de la Princesse – général de Gaulle depuis 1944 –- ne s'est jamais poursuivie au-delà du bd Carnot]. Des arbres magnifiques, restes d'une grande forêt, ombrageaient les pelouses. Tout un côté de la maison regardait un lac dont la vue me ravissait. Sans doute les inconvénients ne manquaient pas. Se rendre à Paris prenait du temps par exemple. Je reviendrai sur ce point. [...]
    « Quoi qu'il en soit, le début de l'année 1913 nous vit installés là. Je crois bien que c'était au printemps. Il avait été décidé que je continuerais de suivre mes cours au lycée
    [à Paris, dans le XVIe]. »

     

    -p.162 : « Mon déjeuner fini, j'embrassais ma mère, le cœur un peu gros, et quittant la maison dévalais à toutes jambes l'avenue de la Princesse jusqu'à la gare. Environ une heure après, j'arrivais à la gare Saint-Lazare […] et je prenais le chemin de fer de ceinture jusqu'à l'avenue Henri-Martin. »

     

    -p.167 : « Un jour [...] ma mère me dit de l'accompagner au village, comme elle appelait le Vésinet. [...] elle me mena à l'église catholique du Vésinet, église assez banale, me semblait-il, et qu'on eût dite dessinée par un enfant. »

     

    -p.170 : « Ma chambre était située au dernier étage. Pour la première fois j'avais une chambre à moi. Elle était grande et assez mal éclairée par une petite fenêtre d'où je voyais le lac entre les arbres du jardin et de l'avenue. Cette vue me ravissait par ce qu'elle avait d'immobile et d'un peu mélancolique. Elle m'apparaissait belle comme une affiche de gare. A la gare du Vésinet, en effet, se trouvait une affiche représentant un paysage automnal où se voyait un étang qu'entouraient des arbres dorés. » [4]

     

    -p.193 : « Un jour, nous vîmes défiler le long du Boulevard Carnot un régiment de fantassins en pantalons rouges, et huit jours plus tard, en sens inverse, des réfugiés. Ma mère courut vers eux, leur donna tout ce qu'elle avait sur elle, son argent, sa jaquette et jusqu'à son chapeau dont ils n'avaient sûrement que faire, mais l'émotion la mettait hors d'elle. »

     

    -p.217 : « Comme je crois l'avoir dit ailleurs, il n'y avait d'église protestante au Vésinet qu'une chapelle calviniste. »

« J'ai toujours été passionné de photos. Les premières que j'ai gardées, je les ai faites au Vésinet, certaines le jour même de la mobilisation en 1914 [...] La première photo qui accompagne ce journal de voyage date de 1914, la Villa du Lac, au Vésinet ... »

Il lui donne pour légende :
La Villa du Lac en 1914. J'avais perdu ma mère et la maison semble le savoir. [5]

Sa mère meurt fin décembre 1914.

    -p.228 : « Comme je pense l'avoir dit, je faisais le voyage du Vésinet à Paris dans un wagon de deuxième classe. Il était presque toujours plein de gens qui sentaient mauvais, mais j'oubliais tout cela assez vite en me plongeant dans un livre. Pendant ce triste mois de janvier 1915, je lus dans une édition à deux sous l'histoire d'Atala. Je ne sais ce qu'en penserait aujourd'hui un garçon de quatorze ans, mais elle me grisa. »

     

    -p.243 : « Au mois de septembre de cette année-là [1915], notre bail venant à expiration, il fut décidé que nous retournerions vivre à Paris. Quitter la Villa du Lac où nous avions de si cruels souvenirs ne semblait pas difficile, et cependant je me souviens que, les derniers jours, j'errais tristement au jardin où l'ombre et le soleil ignoraient tout de la guerre et de la mort, et ne me parlaient à moi que de bonheur. »

Ailleurs, il a raconté une anecdote à propos de la mort de sa mère dans un article consacré à l'occultisme.

    Plus tard, pour des raisons beaucoup trop longues à expliquer, nous quittâmes Paris et vécûmes trois ans au Vésinet, tout en haut de la belle avenue de la Princesse, qui menait à un lac. Il n’y avait rien d’insolite à la Villa du Lac, mais je ne pense jamais sans tristesse à la grande maison, car ce fut là que, le 27 décembre 1914, ma mère mourut subitement.

    Dans un livre qui n’a pas paru en France, j’ai rapporté le fait suivant qui n'est peut-être pas inexplicable, mais qui garde à mes yeux une grande part de mystère. Quelques jours avant la Noël de cette année, une de mes sœurs se trouvait assise près d'une fenêtre qui regardait vers la grille du jardin, et au bout d’un moment, elle appela une autre de mes sœurs pour lui montrer quelque chose : « Tu ne vois donc pas ? Ces hommes qui montent à une échelle avec des draperies noires qu’ils tendent sur la grille... » Mais Anne ne vit rien. Une semaine plus tard, cependant, elle se souvint de ces paroles quand elle vit se dérouler la scène que sa sœur lui avait décrite et qui leur avait paru, à toutes deux, incompréhensible. [6]

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    Notes et sources :

    [1] Ce sera Mille chemins ouverts (Paris, Grasset, 1964)

    [2] Études - T317, n°3, juin 1963.

    [3] A-t-il pu assister en septembre 1913 à la première séance publique de cinématographe au Vésinet ? Il ne le dit pas.

    [4] Etait-ce l'affiche publicitaire reproduite ci-dessus, éditée en 1913, due à Dorival ?

    [5] Journal du voyageur (Paris, Éd. du Seuil, 1990) illustré par des photographies prises par l’auteur.

    [6] Les écrivains et l'occultisme" le témoignage de Julien Greene. La Table Ronde, n°32-33, août-septembre 1950.


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