Société d'Histoire du Vésinet, mars 2020.

le docteur Jules Guionis (1805-1868)

Premier médecin-chef de l'Asile impérial du Vésinet (1859-1867)

L'Industriel de Saint-Germain-en-Laye, dans son numéro du 22 août 1868, annonçait la mort à Rueil du docteur Jules Guionis, officier de la Légion d'honneur, commandeur de l'ordre de Charles III d'Espagne, ancien médecin en chef de l'Asile impérial du Vésinet, de son Altesse royale le prince Murat, médecin ordinaire de S. M. la reine Christine [d'Espagne]. Le docteur Guionis, qualifié d'un des hommes les plus éminents du département de Seine-et-Oise avait conquis à Rueil et dans les environs une popularité immense.

Né à Doué-La-Fontaine (Maine et Loire) le 27 novembre 1805, dans une famille de cultivateurs, il manifesta très jeune son goût pour les sciences naturelles et la médecine. Il vint à Paris en 1822 faire ses études médicales sous la direction et avec les conseils de son compatriote Auguste Bérard dont il fut, pendant plusieurs années, le préparateur et l'ami. [1] En 1830, le docteur Guionis vint s'installer à Rueil, où, jusqu'à sa mort, il ne cessa d'exercer la médecine avec un dévouement et une abnégation de tous les instants. Il devait succomber « après une longue et douloureuse maladie contractée dans l'exercice de ses fonctions. La ville de Rueil tint à honorer convenablement l'homme intègre et le citoyen dévoué qui, par son intarissable bonté, avait mérité le nom de Père des Pauvres ». [2]
Toute l'administration, la compagnie des sapeurs-pompiers, la société de secours mutuels, le personnel du bureau de bienfaisance, suivis de toute la population de la ville accompagnèrent son convoi jusqu'à sa dernière demeure. Afin de rendre un hommage aussi complet que possible à la mémoire de son médecin aimé, la commune prit une mesure qui lui faisait le plus grand honneur. Elle fit don du terrain de la sépulture et une souscription publique fut ouverte pour élever un monument qui perpétuait à jamais la mémoire de l'homme et la reconnaissance de son pays [3].


Monument funéraire du docteur Jules Guionis, cimetière de Rueil-Malmaison.

Cliché Christian Ramette, SHV, 2020.

Quelques jours plus tard, le journal La Presse lui consacra une élogieuse nécrologie : [4]

    Un homme de bien, médecin expérimenté, s'est éteint, le 17 de ce mois, [17 août] à Rueil (Seine-et-Oise).

    La population entière de cette ville, et en partie celle de ses environs, rendaient, le lendemain, hommage à sa mémoire en assistant avec recueillement à ses funérailles. M. Guionis est mort, âgé seulement de soixante-deux ans, succombant aux suites d'une apoplexie aggravée par d'imprudents efforts accomplis pour continuer, malgré l'avertissement dont nul moins que lui ne pouvait méconnaître la gravité, une vie de travail et de dévouement.

    Nul ne réalisa plus complètement l'idéal du médecin bienfaisant. Tous ceux qui le réclamaient pouvaient, sans distinction de fortune, compter sur lui. Appelé au même instant chez le pauvre et le riche, c'est au premier qu'il eût d'abord donné ses soins. Son extrême désintéressement le faisait distinguer même entre ceux de ses confrères pratiquant aussi le principe que leur profession se doit à l'humanité souffrante avant de pouvoir y rechercher une rémunération légitime du temps employé et de la science acquise pour l'exercer utilement. Sa modération attendait toujours l'offre du salaire ; il pensait que la demande en était superflue auprès des clients dont l'aisance lui était connue, et qu'aux autres il devait épargner jusqu'à l'embarras qu'elle eût causé, à leur impuissance présumée. Avec une telle règle de conduite qui ne pouvait que l'éloigner de la fortune, sa clientèle dut incessamment s'accroître, tout en présentant parfois des variations qui l'honoraient. Elle se produisait lorsque des clients en retard envers lui, mais en situation de le satisfaire, cessaient de réclamer ses soins, afin d'éviter que sa présence chez eux ne leur rendît plus sensible le reproche, intérieur d'un tort de leur part très volontaire. Dans la pratique de son art il était doué d'une pénétration sûre.

    En lui la longue expérience avait accru chaque jour une forte instruction théorique. Aussi ne possédait-il pas la confiance des populations qu'il desservit, longtemps presque seul, il avait su gagner celle de plusieurs célébrités médicales de Paris avec lesquelles ses relations étaient fréquentes. Le grand opérateur, si justement promu à l'une des plus hautes dignités de l'Etat, l'a particulièrement distingué et a voulu lui en donner une preuve touchante dans sa famille. Atteint à l'un des pieds d'une infirmité qui menaçait de rendre toute sa vie misérable, le fils adolescent de M. Guionis était considéré par son père comme ne pouvant attendre d'autre soulagement, que celui d'une patiente résignation. M. Nélaton [5] en juge autrement. il croit une opération possible et d'un succès probable, mais aux prix de très vives douleurs, et d'un attentif pansement, dont il ne répond qu'à la condition d'y veiller lui-même avec continuité. Pour cela, il exige que le patient soit transporté chez lui, avec sa mère pour garde-malade. Cette généreuse.hospitalité, s'imposant comme une nécessité à la tendresse des parents, est acceptée. Elle se prolonge six mois entiers, et se termine, ainsi que l'espérance en avait été donnée, par une guérison.
    On ne sait ici ce qu'il faut le plus louer du dénouement de l'homme célèbre porté, jusqu'au sacrifice et dont l'entière gratuité fut le moindre prix, ou de l'affectueuse estime qu'avait su lui inspirer le médecin de la petite ville, qui ne pouvait se prévaloir que des seuls droits du malheur et de la confraternité.

    M. Guionis est mort officier de la Légion d'Honneur [6]. Il fut, jusqu'à sa dernière maladie, médecin de l'hospice impérial du Vésinet, ainsi que celui de la reine Christine d'Espagne pendant ses longs séjours à la Malmaison. L'amertume de la suprême séparation a été adoucie pour lui par la certitude acquise de son vivant, que son gendre, médecin comme lui [7], le remplaçait sur les mêmes lieux avec les mêmes avantages d'honneur et de considération.

Le docteur Guionis avait été, en 1838, chirurgien aide-major au bataillon de la Garde nationale de Rueil et la Préfecture le nomma « médecin des épidémies » pour Rueil, Bougival, La Celle Saint-Cloud. L'épidémie la plus redoutée à cette époque, le choléra, fit de nombreuses victimes. En 1849, le département de la Seine fut durement affecté. Rueil ne déplora que huit victimes. Le bureau de bienfaisance avait distribué médicaments et secours en nature, la « classe pauvre » étant la plus touchée. Des enfants restant orphelins, on ne savait où les mettre. « Je me plais à rendre un témoignage très favorable au zèle et au dévouement de Messieurs les médecins et particulièrement de Monsieur le docteur Guionis, médecin des pauvres », écrivit au Préfet Monsieur Cramail (maire de Rueil de 1848 à 1870).
Guionis eut en charge également la surveillance de la santé des « filles publiques » dans les deux maisons de tolérance de la ville, situées près de la caserne. En 1861, les filles sont au nombre de sept. Il s'occupe de tous les frais et reçoit soit des maîtres de maison de tolérance, soit des filles elles-mêmes 1 franc par fille et par visite. Il n'a de compte à rendre à personne « attendu que vu la nature des opérations, il n'est pas convenable de faire figurer ces comptes aux comptes communaux dont ils ne peuvent faire partie ». Il se trouve encore dans les archives communales de Rueil, beaucoup de certificats signés Guionis, concernant les visites faites aux filles publiques assurant soit, qu'elles ne présentent « aucun symptôme syphilitique », soit « atteinte d'une blennorragie ». [8]

Guionis est nommé en 1859 médecin en chef de l'Asile Impérial du Vésinet. L'établissement vient d'être construit « pour recevoir temporairement des ouvrières pendant leur convalescence ». Chaque année, 5 à 6 000 convalescentes profitent des bienfaits de cette nouvelle institution comprenant 350 lits et 50 berceaux. Quinze sœurs hospitalières de l'ordre de la Sagesse assurent les soins. Les convalescentes sont envoyées par les hôpitaux, les bureaux de bienfaisance, les sociétés de Secours Mutuels. Elles viennent par le train où un compartiment leur est réservé et à Chatou, un omnibus de l'asile vient les chercher. [9]
Le docteur Guionis est chargé du service médical. Il a sous ses ordres un médecin adjoint et trois internes. Il passe tous les matins à 8 heures, faire sa tournée des convalescentes et malades. Les maladies les plus fréquentes sont la fièvre typhoïde, la phtisie, les bronchites, rhumatismes, la « chlorose et la chloro-anémie ». Les convalescentes les plus nombreuses sont celles qui viennent à la suite de leurs couches avec leur bébé. « Ces femmes viennent chercher à l'asile le repos, une bonne nourriture et un air salubre ». C'est le médecin qui décide du jour de sortie des convalescentes. L'Asile Impérial du Vésinet est un succès comme celui de Vincennes pour les hommes. « La femme affaiblie par la maladie, incapable de reprendre l'humble travail qui soutient son existence, découragée, est souvent exposée à ne prendre conseil que de son désespoir […] Une halte salutaire entre l'hôpital et la vie active lui est ménagée dans un asile où elle trouve avec les soins matériels les plus attentifs, le recueillement, les bons exemples et les secours de la foi chrétienne ». [10]
En 1865, l'établissement est placé, par décret, sous le haut patronage de l'Impératrice Eugénie. [11]

Jules Guionis fut marié deux fois. En premières noces (1833) à Aglaé Biesta, fille d'Antoine Biesta, ancien notaire de Bougival et Maire de cette commune, décédée après deux ans de mariage sans avoir eu d'enfant. En secondes noces à Victoire Pauline Paillieux ; trois enfants naîtront de cette union : Camille Pauline en 1837, Julie Pauline en 1840 et Jules en 1844. Ce dernier, après avoir entrepris des études de médecine, abandonna cette profession. En 1870-1871, il était employé dans l'équipe soignante de l'Ambulance de l'Asile. Marié dans l'Indre en 1880, il mourra deux ans plus tard à Saint Yrieix (Haute-Vienne), étant directeur de l'usine à gaz locale.
Sa fille Camille fut mariée le 3 septembre 1857, au docteur Minochet Emile Chairou, originaire de Savigny-sur-Orge, lui-même fils de médecin, qui seconda son beau-père à l'Asile du Vésinet en qualité de
médecin inspecteur consultant et qui prit sa suite en 1867.
En septembre 1870, Emile Chairou, au moment où Paris allait être investi, refusa de quitter ses malades et resta au milieu des Prussiens qui remplirent son hôpital de leurs blessés. « Il ne s'effraya pas d'une pareille tâche, et se mit à soigner Prussiens et Français avec le même dévouement. Mais, il arriva que les Allemands l'accusèrent de négliger leurs malades pour ne s'occuper que de ses compatriotes. M. Chairou fut un moment sur le point d'être fusillé, et ne dut son salut qu'à une attitude énergique. C'est à la suite de ces faits qu'on l'a honoré d'une croix qu'il a certes bien méritée. » [12]
Emile Chairou est mort à Paris le 8 décembre 1883, à seulement 51 ans.
« Chairou ressemblait à un étudiant d'Heidelberg, avec sa longue chevelure rousse, sa figure rasée, ce nez fin et droit qui supportait des lunettes d'or. Un peu du docteur Miracle des Contes d'Hoffmann. Dès qu'il parlait, on était sous le charme. Il est mort, et, comme épitaphe, on peut inscrire sur sa tombe: "Il n'aurait jamais été de l'Académie de médecine!" [13]

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    Notes et sources :

    [1] Docteur en médecine, auteur d'une thèse intitulée Dissertation sur les anévrysmes de l'aorte en général. (30 pp. 4°. Paris, 1830)", et de quelques ouvrages.

    [2] Dès 1840, Guionis fait partie du Conseil Municipal et le restera jusqu'à sa mort. A chaque élection, son nom remporta le plus grand nombre de suffrages.

    [3] L'Industriel de Saint-Germain-en-Laye, 22 août 1868.

    [4] La Presse, 2 septembre 1868.

    [5] Auguste Nelaton (1807-1873) chirurgien ordinaire (1866) de Napoléon III puis chirurgien consultant des Maisons Impériales (1869).

    [6] Par décrét du 6 mai 1865, sur la proposition du ministre de l'intérieur, Jules Guionis, médecin de l'Asile impérial du Vésinet, était nommé officier de la Légion d Honneur. Le savant et dévoué docteur avait été décoré en 1849 par le Prince-Président de la République lui-même, sur la place publique de Rueil, pour le récompenser des services nombreux et désintéressés qu'il avait rendus à ses concitoyens du canton de Rueil, pendant l'épidémie de choléra de cette année-là.

    [7] Minochet Emile Chairou (1832-1883). Docteur de la faculté de médecine de Paris, Emile Chairou exerça d'abord à l'asile du Vésinet en qualité de médecin inspecteur consultant. Marié en 1857 à Camille Pauline, la fille ainée du Dr Gionis, il prit la suite de son beau-père comme médecin-chef en 1867 après la démission de celui-ci. Il reçut la Légion d'honneur au Vésinet, des mains de M. Eriau, directeur de l'Asile, le 10 décembre 1871 pour sa conduite durant l'occupation prussienne.

    [8] Un médecin de Rueil sous le Second Empire : le Docteur Jules Guionis par Dominique Hélot-Lécroart. Bulletin de la Société historique de Rueil-Malmaison, déc. 2002, n°27.

    [9] Ibid.

    [10] Ibid.

    [11] Par décret de l'Empereur du 8 août 1865, la Maison impériale de Charenton, l'Institution impériale des Jeunes Aveugles, l'Institution impériale des Sourds-Muets, l'Institution impériale des Sourdes-Muettes à Bordeaux, l'Institution impériale des Sourds-Muets de Chambéry, l'Asile impérial de Vincennes, l'Asile impérial du Vésinet et l'Hospice impérial du Mont-Genèvre, furent placés « sous le haut patronage de l'Impératrice ».

    [12] Le Figaro (n°222) 21 octobre 1871. Voir note 7.

    [13] Le Matin (n°371) 2 mars 1885.


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