Les habitants célèbres du Vésinet > Lilian Silburn (1908-1993)

Lilian Silburn, une exploratrice de la mystique

Lilian Silburn est née à Paris (15e) le 19 février 1908. Son père, Walter John Silburn (1883-1928) sujet britanique, alors employé de bureau, fera carrière à la Royal Mail Steam Packet Company (compagnie maritime britannique, fondée en 1839 par James Macqueen pour distribuer le courrier de la Royal Mail, la poste royale britannique), ce qui vaudra à Lilian de faire dès son enfance des petites croisières avec son père et son frère, sa mère redoutant les voyages en mer, restant au foyer. Celle-ci, née Berthe Hélène Dupuis (1880-1953) était française mais aussi d'ascendance maternelle anglaise. Lilian aura un frère, Oswald, né deux ans après elle et une petite sœur, Aliette, de treize ans sa cadette.
Un peu avant la Grande Guerre, ses parents s’installent au Vésinet où ils habiteront trois maisons successives : la première près du pont de Croissy, la suivante au 15 avenue du Belloy, et la dernière, après la naissance d'Aliette au 29 avenue des Pages où Lilian vivra jusqu’à la fin de sa vie avec sa sœur cadette [1].
Il s'agit de maisons plutôt modestes en général mais bien situées et la dernière jouissait d’un véritable petit parc dessiné selon la mode à connotation japonaise de l’époque, parc plein de charme avec son kiosque ancien sis sur des rochers d’où des eaux descendaient en cascade vers un grand bassin. Elle était en outre bordée d'une grille monumentale, vestige dit-on du palais des Tuileries, récupérée dans les décombres vers 1880.
Vers huit ou neuf ans, Lilian contracte une broncho-pneumonie, à la suite de quoi elle est envoyée à l’aérium d’Arès, sur le Bassin d’Arcachon, près d’Andernos où séjourne une de ses tantes. Elle y fera deux séjours dont le premier de huit mois. C'est une période importante de sa vie et de son parcours. L’établissement, dirigé par des religieuses, se situe dans un environnement assez sauvage près du bassin et dans les pins. Dès cette époque, Lilian dira avoir éprouvé un sentiment de grâce divine et des sortes d'extases, mais elle est tenue pour une enfant puis une adolescente active, joyeuse, déjà bonne nageuse, bien intégrée au monde mais aussi très indépendante, ayant le goût du grand air et de la solitude.
En 1928, le père meurt à l'Hôpital Franco-Britannique Hertford British Hospital à Levallois-Perret.

Ses proches ayant dissuadé Lilian d'entrer en religion, elle optera pour des études de philosophie (1938-1948), estimant que cela l'aiderait à se rapprocher de la Vérité ultime à laquelle elle aspirait.

Philosophe de formation, puis chercheuse au CNRS, Lilian Silburn se tourne très tôt vers les philosophies orientales. A la Sorbonne où elle est proche de Gaston Bachelard, elle s'oriente vers la spiritualité indienne, apprenant le sanskrit, le pali, voire l'avestan, suivant les enseignements de Louis Renou, Paul Fouché et Paul Masson-Oursel. Elle est une des premières à faire connaître en Occident les écrits des philosophes mystiques cachemiriens. Elle deviendra aussi disciple d'un grand maître soufi indien, Radha Mohan Lal Adhauliya, auprès duquel elle fera de nombreux et longs séjours jusqu'à la mort du maître en 1966.

Au Cachemire, Lilian Silburn et son guru.

Centre d'Etudes Inde - Asie du Sud (CNRS)

Un livre paru en 2015 « Une vie mystique » constitue le témoignage d'une expérience spirituelle et philosophique exceptionnelle. Il évoque aussi l'atmosphère de la vie que mène, au Vésinet, Lilian après la mort de son maître, vie simple, active, adonnée à ses travaux scientifiques. Entourée d’amis qu’attirent sa personnalité et son efficience, Lilian Silburn s'attache à leur faire découvrir, au sein du silence et des formes les plus variées de la vie ordinaire, la voie que lui a révélée son maître. Illustré par des photographies, l'ouvrage comporte des témoignages variés qui complètent le regard porté sur cette personnalité hors du commun, à la fois grand savant et grande mystique. Jacqueline Chambron, qui fut professeur de lettres classiques, a rencontré Lilian Silburn en 1965. Elle fut une de ses amies très proches et l'assista entre autres pour la réalisation matérielle de certains de ses travaux. C'est à elle que Lilian Silburn a confié les documents personnels, journal, correspondance, notes diverses, qui sont à l'origine de cet ouvrage. [2]

Lilian Silburn a apporté une contribution significative à l’étude du shivaïsme du Cachemire parmi lesquelles ces réalisations marquantes :

    Traduction des textes sacrés : En collaboration avec Louis Renou, elle a traduit du sanskrit et publié les textes fondamentaux du shivaïsme du Cachemire, dont les Shiva Sutras de Vasugupta, le Vijnana Bhairava Tantra, et d’autres. Beaucoup de ces traductions étaient les premières de textes récemment découverts.

    Étude approfondie de la Kundalini : Elle a écrit Kundalini: The Energy of the Depths, A Comprehensive Study Based on the Scriptures of Nondualistic Kasmir Saivism (Shaiva Traditions of Kashmir, State University of New York Press, 1988)". Cet ouvrage est considéré comme une référence dans l’étude du shivaïsme du Cachemire.

    Immersion dans la tradition vivante : Elle a passé cinq ans en Inde pour s’imprégner de la tradition vivante des écoles shivaïtes du Cachemire. Elle a ainsi pu accéder à une interprétation traditionnelle de cette pensée et à la façon dont on pouvait la comprendre et la vivre de l’intérieur.

Lilian Silburn au travail au Cachemire chez le maître Lakshman Joo

Ces contributions ont fait de Lilian Silburn une figure respectée dans le domaine des études sur le shivaïsme du Cachemire.
Vers la fin de sa vie, elle a voulu publier la traduction qu'elle avait faite avec le Swami Lakshman Joo des chapitres deux à cinq du Tantraloka. Toujours active intellectuellement, elle y a travaillé jusqu'à ses dernières semaines. Lilian Silburn est décédée le 19 mars 1993 au Vésinet.
Au moment de sa mort, le journal Le Monde
lui consacra une un bref hommage dont sont tirées ces quelques lignes [3]:

    L'orientaliste Lilian Silburn, une exploratrice de la mystique

    Spécialiste du bouddhisme et des traditions tantriques, dont elle a traduit de nombreux textes, Lilian Silburn, qui a défriché de nouvelles voies de recherches dans le domaine de la philosophie indienne, est morte au Vésinet (Yvelines), vendredi 19 mars, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans.

    L'oeuvre de Lilian Silburn occupe une place importante dans les études indiennes contemporaines. Elle fut une des premières en Europe à étudier ce qu'on nomme " le shivaïsme du Cachemire ", c'est-à-dire les diverses traditions " non dualistes " qui se sont développées du huitième au treizième siècle dans cette région ou qui, ailleurs en Inde, se rattachent à cette tradition cachemirienne.

    Philosophe de formation, elle s'initia au sanskrit et à la pensée indienne dès les années 30, sous la direction de Sylvain Lévi et de Paul Masson-Oursel. Elle fit toute sa carrière comme chercheur au CNRS, où elle entra pendant la dernière guerre. Elle se consacra d'abord, avec Louis Renou, à l'étude de la pensée védique et au bouddhisme, soutenant en 1949 une thèse d'Etat, Instant et cause. Le discontinu dans la pensée philosophique de l'Inde (Vrin, 1955, réimpression chez Boccard, 1991), qui est une des œuvres maîtresses de l'indianisme philosophique.

    Toutefois elle s'intéresse très tôt à la pensée shivaïte : on lui en doit le premier résumé en français, paru en 1947 dans l'Inde classique. Manuel des études indiennes, de Louis Renou et Jean Filliozat (Payot, réédité chez Maisonneuve). Partie pour L'Inde en 1949, où elle resta cinq ans, elle alla au Cachemire, où elle rencontra ce qui restait encore de vivant de ces écoles shivaïtes qui ont brillé autrefois d'un si vif éclat. Elle connut donc directement une interprétation traditionnelle de cette pensée, et la façon dont on pouvait la comprendre et la vivre de l'intérieur. Son long contact avec des traditions anciennes toujours vivantes en Inde –où, pendant longtemps, elle passait presque une année sur deux– explique son approche des textes, qu'elle lisait et comprenait en sanskritiste, mais dont elle tenait avant tout à montrer l'intérêt philosophique et la signification spirituelle....

Lilian Silburn est inhumée dans le cimetière communal du Vésinet, auprès de ses parents et de sa grand'mère Angeline pour laquelle le caveau avait été acquis en 1917.
Après la mort d'Aliette en 2005, la petite maison du 29 avenue des Pages a été démolie pour faire place à deux grandes villas modernes.

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    Notes et sources:

    [1] Aliette Silburn est née le 29 avril 1921 au 15 avenue du Belloy. Un autre foyer Silburn habitait alors au Vésinet, composé du père James Alexander Silburn (frère de Walter John donc oncle de Lilian) et de sa femme née Antonine Winiger. Leur deuxième fils Sydney naitra au Vésinet (rue Alphonse Pallu). La famille habitera plus tard au 39 avenue Horace Vernet (Ker-Noël).

    [2] Jacqueline Chambron. Lilian Silburn, une vie mystique. Ed. Almora (2015). Composé d’un grand nombre d’écrits personnels jamais publiés à ce jour, « Une vie mystique, Lilian Silburn » est le témoignage d’une expérience extraordinaire. Ce livre nous permet de découvrir, grâce à des extraits de son journal et de sa correspondance, ce que Lilian Silburn vécut au jour le jour, en marge de tout dogme, de tout a priori, dans l’expérience vivante de la transmission de cœur à cœur.[extrait de la 4e de couverture]

    [3] Le Monde, 24 mars 1993.


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