Le Courrier de Seine-et-Oise, 3e année, samedi 26 avril 1941. [1]

Louis Constantin Galliard (1857-1941)

Les nombreux amis de M. Louis Galliard ont été péniblement impressionnés jeudi matin en apprenant la brutale nouvelle de sa mort subite, car plusieurs d’entre eux l’avaient vu les jours précédents. Ses obsèques ont été célébrées le samedi 19 avril, à 14h30, au temple protestant du Vésinet, en présence d’une assistance nombreuse profondément émue et recueillie.
Derrière la famille, M. Thiébaut, maire M. Aubrun, ancien maire MM. Clavery, Jacomet, Mathieu et Suzé, adjoints MM. Jonemann, Cauet, Bertin, Gromest, Heudebert, Joly, Pommier, Couillault, Costantini, Jourdain, conseillers municipaux. M. Péloni, les Drs Renous père et fils, le Dr Allamagny, M. Jacquin et beaucoup de personnalités appartenant aux sociétés dont M. Gaillard était membre étaient venus lui rendre un dernier hommage.

Louis C. Galliard vers la fin de sa vie.

Cliché accompagnant l'article

dans le Courrier de Seine-et-Oise (1941).

Le personnel de la Mairie était représenté par M. Delaty, secrétaire général adjoint M. Bonfils, architecte-voyer adjoint Mme Bonaventure, MM. Valdois et Plantin la subdivision des sapeurs-pompiers, par le lieutenant Gigarel et quatre hommes. Pendant la cérémonie, M. le pasteur Shakleton évoqua avec une très grande simplicité pleine d’émotion la figure du disparu, modeste malgré sa culture et ses origines, toujours généreux et préférant s’être trompé que de laisser une misère non secourue.
A l'issue de la cérémonie religieuse, M. Clavery, premier adjoint, président de la section de la Croix-Rouge Française du Vésinet et de la Société de secours mutuels des Sapeurs-pompiers, tint à apporter à M. Galliard un hommage reconnaissant en prononçant l'allocution suivante :

    Parmi les multiples preuves d'attachement, de dévouement que celui que nous pleurons a données à la commune, les services par lui prêtés, depuis plus de quinze ans, comme conseiller à ce Comité de la Croix-Rouge resteront comme méritant une spéciale reconnaissance. Puisque l'honneur de la présidence m'est encore échu, je manquerais au plus élémentaire de mes devoirs si je ne rendais à cet égard, à mon ami disparu, un témoignage modeste mais sincère et ému. Depuis 1923, avec une fidélité exemplaire, il a régulièrement assisté à nos réunions nous apportant le concours de sa sympathie, de son bon sens, de son expérience, de sa générosité.

    L'œuvre de la Croix-Rouge a toujours été chère à son cœur largement humain. Il savait qu’elle était née de l'article inoubliable donné par Henri Dunant le 26 juin 1859 au Journal de Genève, un soir de bataille. Le collaborateur du grand organe du Léman décrivait, sans rhétorique, la plaine de Solferino jonchée de blessés, la plupart abandonnés, souffrants, périssant faute de secours. De là est née la belle institution internationale travaillant de son mieux à faire passer dans la réalité sa devise bien connue : inter arma caritas. qui trouvait si pleinement écho dans l'âme de M. Galliard, persuadé qu'il était, que la charité est indispensable au monde entre les armes et aussi en dehors des armes.

    La bonté naturelle, le caractère profondément épris de justice et d'humanité qui distinguaient mon regretté ami se sont manifestés encore par sa collaboration à l'Union, Société de Secours mutuels des sapeurs-pompiers, qu'il a présidée avec tant de zèle et de compétence, pendant plus de dix ans. Il l'a en quelque sorte reconstitué après la Grande Guerre. Il n'a jamais épargné les démarches, soit à la préfecture à Versailles, soit aux administrations à Paris, pour résoudre les difficultés pouvant se présenter, assurer la marche régulière de la société malgré les complexités, les complications, nées des circonstances anormales qui ont surgi au cours de la période récente, provenant aussi de la multiplicité des lois depuis 1879, année de la fondation.

    En plus d'un cas, il a eu à remplir, seul, les divers emplois du bureau, soit pour la comptabilité, soit pour le secrétariat. Ainsi l' exigeait en un sens une œuvre qui préludait en vérité à celle du Secours National, de l'Entr'aide, dominées l'une et l’autre par une idée qui s'imposa de plus en plus : entre ce que l'on appelle les classes de la société il n'existe pas en réalité de frontières positives, si ce n'est au point de vue du fisc : elles se doivent entr'aider afin de concourir au bien commun. Quand l'honneur inattendu m'est advenu d'occuper sa place, ce fut sur son désir, je n'ai eu qu'à suivre ses errements. Ses conseils d'une expérience si avertie, m'ont été précieux. Je suis certain d'être l'interprète de tous en manifestant publiquement aux siens, à sa famille, à ses enfants et petits enfants les regrets profonds que nous inspire la disparition de M. Louis Gaillard, l'un des patrons et protecteurs du Vésinet depuis cinquante ans, le souvenir durable et reconnaissant que nous laissera sa mémoire respectée.

Puis. M. Thiébaut, maire, retraça fidèlement en ces termes la vie de cet homme de bien :

    Mesdames. Messieurs,

    J'ai le très pénible devoir de venir apporter, au nom du Conseil municipal du Vésinet, à notre cher doyen M. Louis Galliard, l’hommage de notre sympathie et des profonds regrets que nous cause sa perte si soudaine. Il avait, ces dernières années, supporté si vaillamment plusieurs graves maladies que nous pensions le voir continuer à vivre longtemps encore.

    M. le Pasteur vient de retracer avec autant d'éloquence que d’émotion la vie de famille de M. Galliard. Je me bornerai simplement à ajouter que nous aussi, comme collègue, nous le tenions pour un homme de relations extrêmement agréables, toujours aimable, toujours courtois. Sa mise, qui sans être trop recherchée, était toujours impeccable, indiquait son caractère régulier, il était plein de bon sens, il savait s'adapter à toutes les circonstances, s'intéresser à tous les cas et se mettre au diapason des humbles et des modestes. Il était encore un des représentants d’une génération qui avant les cruels événements récents, tendait hélas à disparaître, celle des hommes courtois, aimables et polis.

    M. Louis Gaillard était né le 4 août 1857 à Lausanne, cette charmante ville suisse à laquelle il avait gardé une grande affection, il était issu d une famille française originaire de l'Ardèche, obligée de quitter la France lors de la révocation de l'Edit de Nantes. Lorsqu'il vint à Paris vers 1880, il fut reconnu français comme descendant de famille française.

    Il fut immédiatement attiré par la Bourse et la Banque et devint rapidement directeur du service de la Bourse et de la Banque de Paris, puis fondé de pouvoir d'un coulissier, M. Fisch, dont il reprit pour son propre compte la maison en 1890. Entre temps, il fut nommé secrétaire du Syndicat des banquiers en valeur à terme de la place de Paris. [3]

     

    Il se retira des affaires en 1914, mais dès 1891, il était venu s'installer au Vésinet, en location d'abord [4], puis en 1899 dans la belle propriété de Beau Soleil [5] qu'il affectionnait si particulièrement et qui lui donna tant de joies. Car M. Galliard, au caractère doux et mesuré, était un ami des arbres et des plantes, et c'est en voulant les soigner trop longuement mercredi, il y a trois jours, qu'il ressentit le soir même une faiblesse du cœur qui devait l'emporter dans la nuit. Il avait heureusement ressenti la joie de rentrer dans sa maison momentanément occupée et il était venu il y a peu de jours jusque chez moi me remercier avec émotion d'avoir pu obtenir qu'elle lui fut rendue.

     

    Beau Soleil au début du XXe siècle.

    Elle sera démolie en 1976 et le terrain loti.

     

    M Galliard avait été élu conseiller municipal pour la première fois le 30 novembre 1919 et depuis il fut toujours réélu. Lors des élections de 1929, il fut parmi ceux qui obtinrent le plus grand nombre de voix de tous les candidats présentés.

    M. Louis Galliard, qui était depuis de longues années le doyen du Conseil municipal exerça donc sa fonction de conseiller pendant près de 22 ans et durant cette longue période il y tint une place extrêmement importante, car il fit partie de presque toutes les commissions dans lesquelles ses conseils de sagesse et de bon sens étaient toujours écoutés et suivis. [6]

    Mais il fut surtout jusqu'à ces dernières années le rapporteur de la commission des finances où il avait su donner de si importantes directives que la situation financière de notre ville est, actuellement, malgré les événements et les difficultés, dans un état si satisfaisant que beaucoup de communes pourraient le lui envier.

    M. Galliard fut en outre, pendant 15 ans, président de la Société de Secours mutuel des sapeurs-pompiers et là aussi il donna toute la mesure de son dévouement à cette phalange d'hommes modestes toujours prêts à accomplir leur devoir. M. Galliard faisait partie de presque toutes nos sociétés locales [7] où son influence heureuse s'exerça pendant de longues années. Il était membre du Comité de la section de la Croix-Rouge française du Vésinet. Pendant la guerre de 1914-1018, il s'occupa avec une très grande activité de la question du ravitaillement.

    Mon cher Galliard, au moment de vous adresser l'adieu de cette terre et en priant votre famille d’accepter nos condoléances sympathiques et émues, je suis certain de pouvoir vous dire non seulement au nom du Conseil municipal, mais aussi au nom de tous ceux qui m'entourent. amis et relations, que notre petite ville est fière d'avoir abrité pendant cinquante ans un homme tel que vous, à la vie droite, au caractère loyal, à la conscience pure et que c'est ce souvenir que mous conserverons pieusement dans nos cœurs.[8]

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    Notes et sources.

    [1] Le journal qui précise en tête de Une " Trente-et-unième numéro pendant l'occupation" a son adresse au 9, rue des Chênes au Vésinet.

    [2] Son père, le pasteur Jean-Louis Galliard, fondateur d'un prestigieux collège de Lausanne, fut un illustre pédagogue. Une rue lui est dédiée dans la capitale vaudoise.

    [3] En 1903, Louis Galliard avait eu les honneurs de la presse. Un portrait lui avait été consacré dans le journal Le Public, sous la plume de H. Arnaud-Moulin dans sa rubrique Profil du jour : De belle stature, toujours impeccablement mis, sans recherche comme sans négligence, le haut de forme scintillant, et la bottine miroitante, le front vaste, la moustache crâne, les cheveux légèrement frottés de gris vers les tempes, Louis Galliard donne l'impression d’un mondain laborieux, d'un intellectuel élégant. Les facultés dont il est doué, il les a, dès la fin de ses éludes, dirigées vers la science financière et tout de suite s’y était révélé d’une aptitude peu commune. Il a débuté d’ailleurs à bonne et sérieuse école : à la Banque de Paris et des Pays-Bas, toutes ses qualités innées s’étant développées supérieurement, par la pratique et l’expérience. Les Delatour et les Fisch en firent leur dimidium animæ. Aujourd’hui il est une puissance par lui-même, puissance distinguée et discrète vers qui l’on vient et qui ne sollicite personne. Il n’est point, en effet, de, ceux qui circonviennent le public par des circulaires alléchantes. Lui puise toute sa force en sa probité, en sa connaissance subtile du marché, des marchés devrait-on dire, et en la scrupuleuse conscience qu’il met à l’accomplissement des ordres. Très documenté sur la parité et l’arbitrage, opérations pour lesquelles, il trouve en son associé un collaborateur d'initiative et un puissant auxiliaire. Ce qui le distingue de la, plupart de ses confrères, c'est la prévision presque dominatrice des fluctuations des cours. Il faut être plus qu’un praticien pour en arriver là : il faut avoir une conception assez précise et assez délicate pour définir les aléas et déterminer les certitudes de succès, d’après les enseignements de histoire et de l’évolution des valeurs qu'il connaît du reste ad onguent. Louis Galliard est d'ailleurs inscrit à la feuille, du terme et du comptant.

    Ce financier, aux heures de repos, sait goûter les joies calmes de l’intérieur et les divertissements qu’offrent l’Art et la Littérature. Il est un causeur charmant, plein d’idées et d'anecdotes, que recherche la meilleure société. Il porte sur nos auteurs et nos célébrités artistiques des jugements précis et justes, ne sentant pas l’influence des petites chapelles. Il est affable aussi et d’une urbanité exquise, ne démentant pas ainsi l’opinion qu’on se fait de lui à la, seule vue de sa personne. Louis Galliard est d'origine suisse mais ceux qui connaissent son esprit soutiennent qu'il est éminemment Parisien. Le Public, 19 mars 1903.

    [4] Il résidait alors au n°1 de l'avenue du Grand-Veneur, dans une location. Il acheta ensuite, une maison au 35 boulevard de l'Est. C'était une résidence secondaire, son domicile se trouvant à Paris, 8 rue de Hanovre (2e).

    [5] La vaste propriété avait alors son entrée principale au 7 route de la Faisanderie. Un portail monumental, à l'angle de la rue Henri Cloppet et du boulevard de l'Est, desservait le parc.

    [6] Dans une lettre du commissaire de police du Vésinet, datée du 20 janvier 1941 (conservée aux archives départementales) adressée au Préfet pour compléter le dossier du futur conseil municipal avant qu'il soit agréé par Vichy « en appliquation de la loi du 16 novembre 1940 relative à la réorganisation des corps municipaux », le commentaire concernant Louis Galliard indique « Sénilité très avancée ». L'intéressé, agé de 89 ans, sera mort lorsque trois mois plus tard, les choix seront à faire.

    [7] Parmi ces sociétés, le Syndicat d'Initiative dont Louis Galliard fut le premier président, depuis sa fondation en 1911 jusqu'à son élection au Conseil municipal en 1919. Malgré ce mandat électif, Louis Galliard restera trésorier du ESSI de 1920 à 1930.

    [8] Louis Galliard est inhumé au cimetière municipal du Vésinet. L'extrême modestie de sa " dernière demeure" pour un homme qui a habité durant près d'un demi-siècle une des plus belles propriétés du Vésinet, est frappante.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2021 •  www.histoire-vesinet.org