Extrait de Gazetiers et Gazettes - histoire critique et anecdotique de la presse parisienne, 1858-1859.

Les débuts de M. Paul Mahalin

Avant de rejoindre à Paris, la rédaction du Courrier des Théâtres et des Arts, une nouvelle feuille, fondée le 10 juillet 1859, par Louis Poirier, Paul Mahalin avait débuté une carrière de critique à Nancy. De cette période correspondant à ses tout-débuts journalistiques, on fit de lui un portrait plutôt décapant:

"Paul Mahalin est né à Épinal, patrie de Pellerin, de Rigolboche, de Pixérécourt, des cartes à jouer et des soldats de papier à 1 sou, il y a de cela trente-sept ans. En dépit de ses insurrections quotidiennes contre son acte de naissance, il passa sa première jeunesse à méditer les œuvres dramatiques de son compatriote, à boire du cassis, à culotter des pipes, à médire de Racine, à apprendre par cœur Molière dans les sentiers fleuris de l'école buissonnière. Il préférait cette école-là à celle des Frères.
Enfourchant un wagon de 3e classe, il débarqua, un beau matin, à Nancy, la ville cléricale et aristocratique, qu'il étonna longtemps par l'excentricité de son fez algérien, les crocs vainqueurs de ses moustaches, le fouillis de sa chevelure, l'ampleur de ses chausses et l'exiguïté de ses pourpoints. Le jeune Paul rêvait alors de moyen âge, de poulaines, d'archers, de châtelaines et de damoiselles, de damoiselles surtout ! Aujourd'hui, il en rêve-encore, mais ne les appelle plus que des bébés de marbre.
Il écrivit, à cette époque, la Biographie de Pierre Gringoire, qu'il publia tour à tour dans trois ou quatre journaux de province et de Paris. Il compilait alors à la solde d'une compagnie d'antiquaires lorrains. Mais tout s'use en ce bas monde, même le métier de compilateur. Le jour arriva où Mahalin dut dire adieu aux archives et à l'antiquité, pour se réfugier dans la Bohême. Le célèbre livre de Murger venait de paraître. Mahalin crut à une régénération sociale ! Il remplaça avec enthousiasme ses bretelles par des ficelles, la réalité par des songes, ses déjeuners par des calembours, ses diners par des mots. Correspondant, pour le théâtre de Nancy, du Messager des Théâtres, il adressait à MM. Hiltbrunner et Achille Denis des articles empanachés de phrases comme celles-ci: — " Il pleut de l'ennui, et je suis sous la gouttière. — Pour que je comprenne, il me faut allumer un bec de gaz dans mon intérieur. — A propos du Cheval de Bronze, opéra dont l'action se passe en Chine,— il y a cette différence entre la mère Moreau et M. Auber, que la mère Moreau se sert d'une recette pour faire des chinois, et que M. Auber se sert des Chinois pour faire une recette." — Il a incrusté cette dernière plaisanterie dans près de deux cents comptes rendus.
A cette époque, il fit paraître un roman, le Capitaine Fabrice, dans l'Europe artiste. De Nancy, il s'élançait, de temps à autre, sur Strasbourg, passait le Rhin en compagnie de son camarade E. Mathieu de Monter, et se livrait, avec ce dernier, jeune, romanesque et croyant comme lui, amoureux de toutes les femmes, à une incroyable consommation de chopes, de calembours, de vin du Rhin, pendant que les bandes d'Eckerr et de Robert Blum combattaient pour la liberté dans les gorges de la Schwarzwald. Plus tard, il racontera cette période étonnante de l'histoire de la Souabe, où les dés des femmes servaient de moules à balles, et où la mousqueterie des dragons ducaux scandait, parfois dans les villages, les lieders patrioti.
A la mort de Pommereux, Achille Denis quittant le Messager des Théâtres pour la rédaction en chef de la Revue et Gazette, Mahalin lui succède, et sa critique ravive un moment cette feuille. Mais toujours entraîné par ce que Montaigne nomme si justement: " L'envie de paroistre," il tombe dans l'exagération, et détériore, sans s'en douter, les qualités littéraires de son esprit. Incapable de modération, amoureux des couleurs vives, des excentricités, des rodomontades, il proclame Théophile Gautier son maître, l'appelle tout comme Arsène Houssaye, Théo, jalouse les gilets et le passé de Roger de Beauvoir, met sa gloire à tutoyer les comédiens.
A sa sortie du Messager, il a fondé, avec M. Poirier, le Courrier (quatre numéros); — a travaillé à la Causerie avec M. Cochinat qu'il nomme un ramoneur de lettres; — au Gaulois, au Rabelais; a passé au Diogène, au Mousquetaire. L'entrevue de Villafranca a interrompu, au Cirque-Billion, les répétitions générales des Martyrs de l'Autriche, drame de commande, fait avec Carjat et la collaboration imposée de Labrousse, l'homme qui a gagné toutes les batailles de l'Empire... au Cirque.
Essentiellement bohème, M. Paul Mahalin ne se fera jamais un nom sérieux ; il manque de jugement, de tact, de logique et d'esprit d'ordre. On a dit de lui que ses articles sentaient la femme, les soupers fins et les londrès. Cette odeur-là n'est pas plus mauvaise qu'une autre quand on sait en user, mais autrement elle énerve. M. Paul Mahalin est une incarnation frappante du Lousteau de Balzac; il est et restera articlier. Au physique, c'est une moustache rutilante et un nez de travers juchés sur une anatomie mobile comme une girouette.
Au moral... ah ! diable ! qu'est-ce que M. Paul Mahalin peut être au moral ?... Permettez-moi de glisser sur ce mystère. J'ai peur de la loi qui va protéger les morts !

    J.-F. Vaudin
    Paris, 5 septembre 1860


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