D'après André Bloc. - Des maisons voire des immeubles bâtis en paille. La Science et la vie, 1er juin 1925 (extraits).

Une maison en paille au Vésinet (1925)

Lorsque nous avons vu s'édifier, à l'Exposition des Arts Décoratifs, de nombreux pavillons construits ou doublés de paille, d'après le procédé de M. Tchayeff, nous ne supposions pas qu’un article paru, il y a quatre ans, dans La Science et la Vie avait servi de base aux travaux de ce chercheur. C’est bien pourtant, ainsi que nous l'a déclaré M. Tchayeff lui-même, en partant du procédé Feuillette, alors décrit dans cette revue [1], que ce mode original de construction a pu être perfectionné comme il l'est aujourd'hui.
M. Feuillette employait, nous le rappelons, pour la construction des murs extérieurs, des blocs de paille légèrement compressés et de forme parallélépipédique. Les blocs étaient entassés les uns sur les autres et servaient de matériau de remplissage entre des lignes de résistance constituées par des poutres ou des pylônes de bois. Si les avantages du procédé étaient nombreux, les difficultés d'application limitaient beaucoup son emploi. Les blocs de paille étaient fabriqués sur place et atteignaient de fortes dimensions, en raison de la pression insuffisante que l’on faisait subir à la paille. La manière même dont ils étaient assemblés laissait un peu à désirer pour la rigidité de la construction. L’épaisseur des blocs de paille interdisait leur emploi pour les cloisons de séparation.
[…] En perfectionnant le procédé, M. Tchayeff a mis à la disposition des architectes et entrepreneurs un nouveau matériau à base de paille ou de roseau, qu'il a baptisé le solomite et dont l’utilisation est infiniment plus aisée que celle des blocs de paille du procédé Feuillette. Cette matière se présente sous forme de panneaux rectangulaires de grandes dimensions (2,80m x 1,50m) et dont l'épaisseur atteint seulement 5 centimètres. Le poids par mètre carré est de 13 à 15 kilogrammes. Le panneau, qui mesure environ 4 mètres carrés, pèse 60 kilogrammes et peut être transporté au besoin par un seul homme.
Le sodomite est compos é de faisceaux de paille ou de roseau maintenus fortement serrés par du fil de fer de 2,2 mm d’épaisseur, ce qui lui assure une grande rigidité et le rend parfaitement incompressible, comme il a pu être vérifié au cours d’un incendie dans un grand immeuble du boulevard Raspail. Outre les qualités inhérentes à son mode de fabrication, le solomite conserve, bien entendu, les avantages ordinaires de la paille, c’est-à-dire qu’il est très mauvais conducteur de la chaleur et des sons. Les maisons de paille sont chaudes l’hiver et fraîches l’été, comme l’indiquait M. Gustave Lamache dans son article sur le procédé Feuillette. Les cloisons en paille arrêtent parfaitement le son, avantage précieux pour les immeubles de rapport, dont certains locataires ont si souvent à souffrir de la mégalomanie de leurs voisins. L’insonorité du solomite a, d’ailleurs, trouvé son application dans les salles d'audition de la maison Pleyel, où il a donné les meilleurs résultats.
L’analyse chimique de la paille indique qu’elle est constituée par 48% de cellulose et, pour le surplus, par des matières minérales de différentes origines ; c’est ce qui explique la longue résistance de la paille à l’humidité et à la putréfaction. Chacun sait que les toits de chaume résistent plusieurs dizaines d’années et que, pour une épaisseur totale de 30 à 40 centimètres, seule une couche superficielle de 5 à 10 centimètres doit être renouvelée tous les quinze ou vingt ans. La paille à l’abri de l’humidité a une longévité très grande et pratiquement indéfinie ; c’est ainsi qu’on a pu trouver dans les sépultures des Pharaons des gerbes entières de paille, qui, après des milliers d’années, ont conservé leur aspect primitif.
Les objections qui ont été présentées quant à la pullulation des insectes et de la vermine dans la paille ne sont nullement fondées. Elles ont, d’ailleurs, été faites exclusivement par des citadins qui n’ont vu employer la paille que sur les tas de fumiers des campagnes. Mais, dans ce cas, ce n'est pas la paille qui fournit l’élément putrescible, ce sont toutes les autres matières qu’on a coutume de déposer sur le fumier.
Néanmoins, si l’on exige une garantie absolue à l’égard des insectes, il est facile d'imprégner la paille d'un désinfectant, tel que la créolignite ou le phénol.

    Applications du solomite

Prenons le cas le plus simple : les systèmes de construction communément employés pour l’étage supérieur des immeubles ne permettent pas d'obtenir à cet étage une température supportable, pas plus l'été que l’hiver. De faux planchers en sodomie, c’est-à-dire la simple pose des déchets ou chutes de panneaux de cette matière sur le plancher d'un grenier a permis de faire passer la température de 6 à 12 degrés.
Au moment où beaucoup de propriétaires songent à faire surélever leurs immeubles, il est bon de leur signaler qu'ils trouveront dans le solomite un matériau facilitant énormément ce travail par sa grande légèreté et son prix inférieur aux autres matériaux habituellement employés.

Une villa en paille au Vésinet [2]

« Rien dans l'aspect extérieur de cette villa ne révèle que ses murs et terrasses sont en solomite,

car ce matériau a été recouvert de ciment projeté sur lui par un pistolet à air comprimé. »

© La Science et la vie, 1er juin 1925.

Certains architectes envisagent actuellement l’édification économique d'immeubles à sept ou huit étages. L'emploi du solomite permettrait de faire des constructions légères et suffisamment résistantes. La section des éléments d'appui pourrait être beaucoup diminuée et le prix de revient de la construction subirait une réduction presque proportionnelle. Parmi les autres applications déjà réalisées, citons encore :

  • L’édification des édifices provisoires, tels que les pavillons d’exposition ;
  • Les revêtements des installations frigorifiques ;
  • Les coffrages des travaux en béton armé, coffrages restant a demeure comme isolateurs du son et de la chaleur ;
  • Les faux plafonds ou les hourdis sonores et calorifuges, qui, lorsqu'ils sont exécutés en solomite, isolent parfaitement les différents étages les uns des autres. Le grand obstacle qui s'est opposé principalement au développement des constructions légères est précisément cette sonorité, qui rend la vie insupportable dans certains immeubles de rapport.
  • Procédés de construction

Le solomite, étant un matériau de remplissage, nécessite l'établissement préalable d’une ossature en bois, fer ou béton. Les procédés de construction ne présentent pour le bois ou le fer aucune particularité. Il en est tout autrement pour le béton, dont l’emploi se combine admirablement avec la paille. Au lieu du béton ordinaire, on emploie le béton projeté.
Un mélange de ciment et de sable sec arrive, sous la pression de l’air comprimé, par un tuyau de diamètre convenable, à une buse en bronze. A cette même buse parvient, par un autre tuyau, une quantité convenable d’eau sous pression.
Le mortier et l’eau sortant de la buse se mélangent à l’air et sont projetés à une vitesse considérable sur la surface à enduire : murs verticaux, plafonds, planchers, et servent, d’autre part, à former le corps de l’ossature ; dans ce cas, le coffrage devient très simple et peut être enlevé, une fois les enduits terminés.
Le mortier, projeté avec une grande force, forme une couche très résistante, aussi dense qu’après un damage énergique.
En un mot, les enduits confectionnés par le procédé de projection valent beaucoup mieux que les enduits exécutés selon la méthode habituelle, et procurent un revêtement rigoureusement imperméable, exempt de fissures et de crevasses.
Ce sont là des conditions précieuses pour la construction en solomite, car elles garantissent la mise à l’abri absolue de l’humidité.
En outre, le procédé des enduits projetés combiné à l’emploi du matériau en question permet d’exécuter les constructions a ossature en béton sans coffrage, sans main d’œuvre pour les enduits, et donne un béton de qualité supérieure.
Les grands panneaux de solomite, d’une longueur égale à la hauteur des étages, se posent sur l’alignement des murs et restent provisoirement étayés par des pièces de bois. Une autre série de panneaux se pose dans le plan du plafond sur des échafaudages provisoires. On place en même temps une armature en fer qui doit fermer l’ossature du bâtiment, c’est-à-dire les sablières, poteaux, écharpes, solives, etc. Cette armature se lie avec le solomite de façon convenable. Quand les contours du bâtiment sont ainsi formés, on commence la projection du béton à l’aide de l’appareil cement-gun (pistolet ou pulvérisateur de ciment).
Les parcelles de mortier adhèrent très bien en rencontrant la surface rugueuse de la paille et forment, soit un enduit de l’épaisseur voulue, soit un dallage en ciment. On établit de la même façon les «titres pièces de l'ossature. Un ouvrier habitué au maniement du cement-gun peut former le corps de l’ossature rapidement et, en outre, d’une façon très exacte en n’employant que le strict minimum de bois de coffrage.

    Origines et compléments

Sergei Nicolajewitsch Tchayeff, ingénieur d'origine russe (né à Moscou en 1863, naturalisé français en 1934) a déposé différents brevets portant tant sur les matériaux que sur les procédés de construction.
Le matériau concerné par cet article fut produit et commercialisé à partir de 1923 par la Société Anonyme Solomite (inscrite au registre du commerce le 31 juillet 1923). Le brevet d'importation déposé le 9 novembre 1928, concernait le « Mécanisme servant à la mise en place des crochets pour former les panneaux et poutres en paille ou roseaux ».
Le (ou la) solomite se présentait sous forme de panneaux en fibres végétales comprimées (matelas de paille hachée et compressée dans une presse hydraulique) jointes à d'autres matériaux armés de fil d'aciers galvanisé et posés dans le sens des fibres puis couverts d'une couche de ciment, plâtre, staff ou de béton. Matériau à la fois isolant et « rigide, incombustible, et imputrescible » grâce à ce traitement spécial, il a pu être aussi utilisé pour gérer la réverbération du son.
Tchayeff fit construire avec la solomite l'église orthodoxe russe de la Résurrection à Meudon, rue des Bigots, la première pierre étant posée en 1928 pendant le Grand Carême. L'église devenue vétuste, dut être démontée et démolie à la fin des années 1970. Sur le même emplacement une nouvelle vraie église « en dur » fut reconstruite en 1980-1982.
Très employé dans l'industrie, le commerce, les locaux d'habitation, les glacières, ce matériau fut aussi utilisé par de grands architectes proches de l'Art nouveau comme Henri Sauvage pour le Pavillon du Printemps et Le Corbusier, par exemple pour réaliser le Pavillon de l'Esprit nouveau à l'Exposition internationale des Arts Décoratifs et industriels modernes (1925), l’ immeuble Clarté ou encore la villa Ruf (édifiée pour l'ingénieur Jean Ruf au Grand-Saconnex, en Suisse). La solomite fut utilisée dans d'autres pays comme l'Allemagne, l'Angleterre, l'Australie et la Russie.

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    Notes et sources

    [1] La Science et la vie n°56, avril-mai 1921 (page 481 et suivantes).

    [2] La villa en paille édifiée au Vésinet n'est pas localisée. Construite au début des années 1920, elle pourrait se trouver dans les grands lotissements de l'entre-deux-guerres. On ne peut donc pas juger de son état actuel (si elle existe encore). Propriétaires, résidents, voisins, promeneurs … merci de votre concours !

    [3] Serge Tchaïeff (France) Brevet n°624 776 du 17/11/1926, délivré le 26/07/1927. (Imprégnation des matériaux de construction). les matériaux, bois, paille pressée, éventuellement renforcée, etc. sont imprégnés de solutions de bichromates de sodium ou de potassium, de ferricyanure, de nitrophénols ou composés similaires. Les produits sont rendus « insensibles à la destruction par les champignons et autres agents nocifs ».


Société d'Histoire du Vésinet, 2025 • www.histoire-vesinet.org