Compilation de Pierre Heudier, vice-président de l'Association des Amis d'Alain [1] La « maisonnette » d'Alain au Vésinet ... Une petite porte de fer, du lierre, une plaque de marbre un peu effacée : la Maisonnette [vers 1950] 15 février 1951, 14h30,
Une petite table, perpendiculaire à la fenêtre, au soleil. Un journal : le Figaro, un livre relié avec une marque en carton : Plutarque. Yvette Formery, « Visite à Alain » *** Socrate n'est pas mort ; il est assis à sa table dans une petite maison de banlieue ; radical aux cheveux blancs, et fier de l'être. André Maurois, « Alain » *** Quant à sa vie personnelle, elle demeure partagée entre les histoires de peu de temps que l'on devine et la permanence de la présence de Marie-Monique et de Gabrielle, à qui il fait visiter dès 1918 la Chartreuse (cf Guimond « Alain, la femme, les femmes, une femme »). Les choses n'en évoluent pas moins. Marie-Monique prend la place qu'elle avait entrevue auprès d'Alain, celle de secrétaire de son œuvre. Elle devient aussi progressivement la gouvernante de sa vie dans la petite maison du Vésinet. […] MM intervient aussi dans la vie privée d'Alain, beaucoup plus qu'avant la guerre où elle procédait par touches, ajoutant quelque confort à sa vie de célibataire. Rien n'indique mieux les changements dans l'existence d'Alain que le soin perpétuel dont elle l'entoure progressivement, et qui s'accentue après qu'en 1937 il est tombé gravement malade et presque impotent à certains moments. Peu à peu, il revient à MM de filtrer l'entourage d'Alain. C'est par elle qu'on doit passer pour le voir au Vésinet, c'est elle qui dépouille le courrier à la Chartreuse ... Thierry Leterre, « Alain » *** « Mon objet pour cette fin de vie, qui par rapport à août 1914 est un supplément, c'est de faire du jardinage et d'échapper aux pouvoirs. L'enseignement ne serait qu'une transition à cet état heureux, d'où naîtront encore quelques volumes. » André Sernin, Alain — in Bulletin AAA 3, p 23 *** « Disciples aux cheveux blanchis nous nous plaisions à venir, dans la maison du Vésinet qui était pour nous un des hauts lieux de l'esprit, nous asseoir en face du sage. […] Dimanche dernier, lorsque nous entrâmes dans la petite chambre » André Maurois cité par André Sernin — Ibid, p 451 *** « Le dernier jour les yeux restèrent fermés, mais les signes de présence ne manquèrent pas, à travers un immense apaisement du visage qui à aucun moment ne fut traversé d'une crispation quelconque. Le souffle difficile seul témoignait de ce dernier combat qui n'eut jamais l'allure d'une agonie (aucun râle). Nous étions là, avec Mme Chartier, Cancouët, Savin, Buffard, Bost, Barbier et moi. Canguilhem s'est joint à nous vers le soir, et ce fut lui qui, à 23 h 35, recueillit son dernier soupir (qui fut vraiment le soupir par où l'âme se rend). Michel Alexandre cité par André Sernin — Ibid. *** « Mardi 29 mai. Le train, la route qui borde la voie ; combien de fois le grand diable, au grand pas vif, l'a parcouru vers la retraite ignorée de la maisonnette ! » Notes de Jeanne Alexandre, citée par André Sernin — Ibid. *** Le 30 mars 1940. Le départ approche. Il faut mettre à jour ce journal. Je veux d'abord écrire sur Stéphane le Glorieux, roman de Schlumberger. Pourquoi ? Pour poser un problème littéraire qui sans doute n'intéresse que moi. Il m'est arrivé ces temps de relire Au bivouac de Schlumberger avec la plus vive admiration et un bonheur sans mesure. Car cette anecdote de guerre assez tragique m'a paru dépeindre au mieux les horreurs de 1914 et je me souviens que l'auteur, assis sur mon divan du Vésinet, comme je le louais de tout mon cœur, m'a fait remarquer que son expérience de la guerre avait tenu dans la nacelle de la Saucisse de Royaumeix. Aussi me dit-il que son Bivouac ne devait rien du tout à l'observation, que tout y était livresque : « J'ai dit-il depuis longtemps étudié la guerre et les armées, dans les anciens, dans Thucydide et Polybe. » Alain, Journal *** Ne reviendrez-vous pas voir la petite chartreuse que mon mari aimait tant […] La maison est un peu plus grande mais elle n'a pas beaucoup changé depuis 1918 quand j'y suis venue. […] Vous connaissez le chemin, vous y serez accueilli de tout cœur et tout vous le rappellera et nous parlerons de lui qui est toute ma vie depuis mon enfance. Lettre de Gabrielle à Gontier, 1953, in Bulletin de Mortagne, 2001 *** Cela va faire bientôt sept ans qu'Émile Chartier s'est éteint dans cette villa du Vésinet où il vivait « avec les fleurs et les oiseaux » et qu'il appelait son monastère. Jean Mistler, L'Aurore, 8 avril1958 — in Bulletin AAA 7-8, p 36. *** C'est avec joie et émotion qu'en un jour, de printemps 1958, j'ai pris le train à la gare Saint-Lazare pour Le Vésinet, localité de la banlieue parisienne : mon but était la maison où, « de 1917 à 1951 a vécu le philosophe Alain ». Il n'y a pas loin de la gare à la maison, et en parcourant la route paisible qui y mène, je pensais aux réflexions d'Alain rentrant chez lui. Bientôt la porte s'ouvrit pour moi sur le beau jardin qui entoure la petite maison, et Madame Alain-Chartier m'accueillit d'une manière charmante et cordiale. J'avais attendu son retour de Morgat pendant quelques semaines, et avec l'impatience qui convient pour les choses qu'on désire vraiment. Enfin nous pouvions nous entretenir d'Alain ! Ronald F. Hoxell,
*** Une petite maison au Vésinet, en bordure de la voie de chemin de fer. D'interminables dahlias de banlieue érigent leurs joues et leurs cheveux ébouriffés dans le jardin. Une bonne me fait monter au premier. Paul Guth, La Gazette des lettres, 13 novembre 1948. in Bulletin AAA 21, p 32 *** Le premier samedi de novembre dernier, quelques habitants du Vésinet sont allés faire une sorte de pèlerinage à Mortagne-au-Perche où naquit, en 1868, Emile Chartier, le philosophe Alain. […] Lucien Clarenson: « Une plaque sur un mur », Bulletin municipal du Vésinet, avril 1969 — in Bulletin AAA 28, p 68.
*** C'était en 1917[...] Je l'imagine volontiers, à cette époque déjà lointaine, prenant à la gare Saint-Lazare, un de ces vieux trains à impériales aux locomotives poussives et frappé par le décor des frondaisons automnales, par les vastes espaces libres, par le calme et le silence du Vésinet, découvrant cette petite maison près de la voie ferrée, à proximité de la gare, ce qui lui évitait une trop longue marche. Certes, la maison n'était pas telle que nous la voyons. Sa façade actuelle sur la rue n'existait pas et il y avait à sa place un appentis où Alain rangeait ses outils de jardinage. Car il aimait son jardin et il aimait jardiner. Il taillait lui-même ses rosiers, ratissait ses allées, sarclait, émondait et, tout comme dans ses Propos, séparait le bon grain de l'ivraie. Gaston Jonemann, président du Syndicat d'Initiatives du Vésinet
*** A l'occasion d'une visite que je lui rendis au Vésinet, je devais prendre conscience de cette force de pénétration. Lui ayant exprimé mon admiration à ce sujet, il me fit part de son désir de tenter d'accéder au premier étage de sa maison, ce qui, me dit-il, ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Il me pria de l'accompagner. Son visage heureux reflétait la malice, je sentis qu'il guettait ma surprise au moment où, ouvrant la porte d'une chambre toute tapissée de petits panneaux, serrés les uns contre les autres, et représentant des paysages des environs de sa demeure, je compris qu'il sacrifiait à la peinture. Le couteau en main (ces petites études étaient peintes au couteau), le philosophe fait peintre, disséquant de près les choses et les sensations par l'expérience vécue, me donnait à entendre combien la réalité de ses investigations poussées jusque dans l'acte était en accord avec les vérités de sa philosophie vivante. Henry de Waroquier, in Hommage NRF, 1952 *** Voici une dizaine d'années que nous nous rendîmes, Jean Miquel et moi, dans la petite maison du Vésinet, encore toute pleine de la présence du Maître, mais dont l'ordonnance se trouvait alors fâcheusement détruite par des visites… inopportunes. Avec l'accord et l'aide d'un représentant du Maire du Vésinet nous avons alors recueilli ces livres, ces lettres, ces objets familiers, épars ici et là dans un désordre affligeant ! Et Jean Miquel de me confier : « Je suis heureux en pensant que « tout cela » sera conservé à Mortagne. Il faut un lieu pour exister. Mortagne, la ville natale, est toute désignée pour devenir ce lieu. » Antoinette Guerrini, « Je me souviens » in Bulletin AAA 61, p 7. *** […] fidèle auditeur de ses concerts, il assista aussi à des récitals privés, qu'elle donna pour lui et pour ses proches, parfois dans son atelier de l'impasse Ronsin, parfois aussi dans la maison du Vésinet. « Yvonne Lefébure et Alain » in Bulletin AAA 62, p 1 ***
De mon côté, je me rendis quelquefois au Vésinet, près de la voie ferrée, dans cette petite maison, qui n'est pas sensiblement différente, à première vue, de celle d'un garde-barrière, et où le piano et les toiles, au murs, instruisaient de deux délassements, dont l'un parut quelquefois, à Alain, sa véritable vocation. Près du minuscule jardin, où chantaient des oiseaux devenus familiers, c'est là que tant de pages ont été méditées, puis, sans une reprise ou une rature, vite écrites, par une main et une approbation aussi résolues que la pensée qui les avait déjà exactement formulées. En ce modeste logis ont été construites l'une des plus viriles et secourables morales qui aient paru et les œuvres puissantes d'un esthéticien et d'un philosophe sans peur, sans reproche et sans autre ambition que celle d'écrire librement. Henri Mondor, Alain, 1963, P 15-17 (+ Bulletin AAA 73, p 9) *** Le 10 septembre 1940 Alain est dans la maison de Blanche Teste, sœur de Marie-Monique Morre-Lambelin, au 6, allée de la gare, Le Vésinet. In Bulletin AAA 73, p 23 *** Aujourd'hui, s'il était encore là-haut, à sa petite table, devant sa fenêtre, s'il demandait : « Pourquoi cet attroupement devant la maison ? Pourquoi ces bavards ? », je lui dirais encore : « Ne vous mettez pas en peine, ce ne sont que vos amis : ceux de toujours, qui poussaient la porte sans avertir. Les autres aussi, qui n'auraient osé sonner. Car vous étiez du Vésinet depuis si longtemps qu'on avait fini par le savoir. On se disait, en passant, que c'était là. Une petite maison fleurie, un jardin plein de roses ; un lieu qui était unique parce que vous étiez là. Aussi discret que ce nom que vous aviez choisi pour signer tant de livres qui auront encore l'éclat de vos fleurs quand cette maison n'existera plus. » Quelques-uns de ceux qui n'osaient pas pousser la porte ont voulu que la passant se souvienne. Alain, j'en suis sûr, aurait souri à ce regard tout simple de celui qui passe. Il avait fui le vide des honneurs, parce qu'ils sont vides, parce qu'il ne voyait pas de bonheur, peu d'humanité, une vérité toute fardée de ce côté-là. Mais il avait un pacte d'amitié avec tous ceux qui aiment quelque chose ; et , par exemple, il aimait ces grands arbres d'ici, ces pelouses, ces innombrables jardins – vos rossignols. Il était sans le dire (à quoi bon le dire !) de cette société secrète des amateurs de fleurs et d'oiseaux, qui est presque tout Le Vésinet. Maurice Savin, 24 octobre 1953 in Bulletin AAA 73, p 36. ***
*** Le 12 janvier 1937 Alain, Correspondance avec Elie et Florence Halévy, Gallimard, p 315. *** Notes: [1] La maison d'Alain au Vésinet et ses visiteurs : témoignages recueillis dans les bulletins de l'Association des Amis d'Alain (AAA) et ailleurs (Bulletin de Mortagne, Bulletin municipal du Vésinet, Correspondance avec Halévy, Hommage NRF, etc...) [2] Cette partie de l'avenue Maurice-Berteaux a été dédiée à Emile Thiébaut, maire du Vésinet en 1949, après la mort de celui-ci. La numérotation n'a pas changé. L'adresse en 1951 était "75, avenue Emile-Thiébaut". [3] Il s'agit d'Alain Jonemann, maire de 1965 à 1995. Le texte date de 1969.
Société d'Histoire du Vésinet, 2013 - www.histoire-vesinet.org |