Article publié sur le site du Comité National Olympique, 2008

Bruno Marie-Rose : retour aux sources

Du Bruno Marie-Rose médaillé de bronze du relais 4x100m aux Jeux de Séoul (et deux ans plus tard, recordman du monde de la distance) au directeur associé d'une entreprise de conseil en informatique, 20 ans se sont écoulés. Un temps éloigné de son sport, l'athlétisme, il s'est pleinement réinvesti dedans afin de le faire progresser dans la voie de la professionnalisation. Il raconte son histoire.

    Je suis né le 20 mai 1965 à Bordeaux. L'université bordelaise était à l'époque le rendez-vous des étudiants martiniquais. C'est là que mes parents se sont rencontrés. Au départ, j'étais basketteur. Je suis allé jusqu'à l'équipe de France juniors. J'ai démarré l'athlétisme à 16 ans, tout de suite en sprint, j'ai eu des bons résultats, j'ai bénéficié de la détection scolaire et j'ai fini par prendre une licence pour aller plus loin. L'athlé n'était pas spécialement une vocation au départ, mais je me suis pris au jeu. J'ai basculé progressivement pour ne plus faire que ce sport. J'ai remporté le titre national sur 100m en cadets, j'ai continué à progresser et en 1984, je suis devenu champion de France alors que j'étais encore junior.

     

    Les Jeux à 19 ans

    Du coup, je me suis retrouvé sélectionné pour les Jeux de Los Angeles 1984. J'étais vraiment très jeune. Ce fut pour moi l'apprentissage du haut niveau. J'étais un peu là en spectateur, à observer des stars comme Carl Lewis que je n'avais vu que dans les magazines. Et puis ces séries, à 10h du matin, dans un Coliseum rempli par 80.000 spectateurs ! Je crois que j'ai signé le plus mauvais temps de réaction au départ des quarts de finale ! Mais avec l'équipe de France, nous sommes allés jusqu'en finale du relais 4x100m. Ce fut une belle expérience et un constat nouveau: ne penser au résultat et à rien d'autre quel que soit l'environnement.

     

    Une génération dorée

    J'ai continué à progresser, à remporter des titres nationaux sur 100m et 200m, puis, en 1987, Je suis devenu recordman du monde du 200m en salle, en signant 20'36 à Liévin. L'année suivante, je me suis retrouvé en finale sur cette distance aux Jeux de Séoul. Et surtout, avec Gilles Quénéhervé, Max Morinière et Daniel Sangouma nous sommes montés sur le podium du relais 4x100m. Avec cette médaille de bronze, nous rentrions dans le cercle fermé des médaillés olympiques français. Avec mes coéquipiers et Jean-Charles Trouabal, nous formions une belle génération de sprinters de haut niveau. Nous avions tous le même âge. Il y avait entre nous une grosse concurrence, une belle émulation. Celui qui était devant au niveau national était forcément bon sur un plan international. Il régnait entre nous une super ambiance, un vrai respect. 20 ans plus tard, nous nous voyons toujours, nous sommes restés amis.

     

    L'équipe française du relais 4x200 m aux championnats d'Europe à Split (1990)

    Bruno Marie-Rose avec Max Morinière, Daniel Sangouma et Jean-Charles Trouabal (Cliché France-Antilles)

     

    En 1990, lors des championnats d'Europe à Split, nous avons connu l'apothéose. En nous imposant en 37''79, nous avons établi un nouveau record du monde. Je terminais ce relais où figuraient Max Morinière, Daniel Sangouma et Jean-Charles Trouabal. Encore plus sublimant qu'un record individuel. Là, nous pouvions partager. Au-delà de la performance sur le terrain, il y a eu une superbe aventure humaine. Un moment très fort qui nous lie encore.
    Enfin, l'année suivante aux championnats du monde de Tokyo, nous nous sommes classés deuxièmes derrière le relais américain. Nous venions d'ouvrir une ère nouvelle dans l'athlé français, celle de la professionnalisation. Nous avons tout découvert à la fois. La pression, les médias, les sollicitations hors du terrain. Pendant toute la préparation, nous avons été confrontés à des américains très provocateurs. Nous étions novices par rapport à cette situation. L'ambiance était électrique sur place. Sur le terrain d'échauffement, Dennis Mitchell et Jean-Charles ont même failli en venir aux mains. Les américains étaient meilleurs individuellement, et nous, plus fort techniquement. Mais je pense que nous avions mis la barre très (trop?) haut et n'avons pas supporté qu'ils nous prennent… de haut. Nous étions écœurés d'avoir perdu, écœurés par leur attitude, j'ai oublié que nous étions sur un podium mondial, j'étais dans ma bulle de déception, de vieilles douleurs aux tendons et voilà… J'ai posé le pied sur la marche où stationnait l'équipe US. Je ne me suis pas rendu compte de la portée de ce geste, du pataquès qu'il avait fait en France. Nous avons été sanctionnés pour cela.

     

    Les Jeux perdus

    En 1992, toujours mes soucis de tendons, j'ai dû être opéré au mois d'avril et j'ai donc dû courir après les minima olympiques. J'ai fini par les réaliser, mais très tard, quelques jours seulement avant la clôture des inscriptions. J'étais donc sélectionné pour les Jeux de Barcelone. Sur place, la veille de la course, le DTN de l'époque est venu me voir pour me dire " nous avons un souci. Tu n'es pas sur la liste des inscrits ". Un fax s'était apparemment égaré quelque part, je n'ai pas pu m'aligner dans ces Jeux et cela a déstabilisé toute l'équipe. Ce qui a suivi fut encore plus difficile. Je suis entré en conflit avec ma fédération, le ministère a diligenté une enquête administrative dont je n'ai jamais connu le résultat, et j'ai évalué le préjudice financier que j'avais subi. Comme à l'époque, l'argent était plutôt tabou, et qu'en termes de communication, je n'ai pas forcément été bien conseillé, je me suis un peu retrouvé au ban de ma communauté sportive. Il devenait difficile de revenir sur le terrain. J'ai très mal vécu cette période. Et comme la performance n'était plus là, j'ai raccroché les crampons, même si à 28-29 ans, il me restait encore des choses à faire sur un terrain de sport...

     

    Et pendant ce temps là... les études

    J'ai toujours voulu pouvoir jouer d'une deuxième corde. J'ai donc poussé aussi au niveau scolaire et universitaire. J'ai passé un bac scientifique, je suis entré en classe préparatoire à Lille en math sup et math spé au même moment que les Jeux de 1984. J'ai pu mener de front ma carrière sportive et mes études grâce à des professeurs très compréhensifs. En 1986 j'ai intégré l'école d'ingénieurs de l'INSA à Lyon. J'y ai préparé un diplôme d'ingénieur en informatique en continuant à progresser sportivement. Aujourd'hui, l'INSA est une des meilleures écoles pour mener de front études de haut niveau et sport de haut niveau. En tant que précurseur, j'ai apporté ma modeste contribution à cette évolution. J'ai eu mon diplôme en 1988, puis je suis parti au Bataillon de Joinville, à l'époque où le service militaire était encore obligatoire. Ensuite, je suis devenu ingénieur à mi-temps chez Hewlett-Packard (HP). La grosse difficulté, puisque j'étais parallèlement à l'apogée de ma carrière sportive, c'était le temps de récupération. Avoir une double activité m'a donné une capacité de réaction supplémentaire. Et puis je pouvais m'aérer la tête. Tous les sportifs devraient pouvoir trouver le temps de prendre du recul. La professionnalisation ne veut pas dire mono-activité !

    Partir... revenir

    Une fois que j'ai pris ma retraite sportive, je me suis complètement investi dans mon travail. J'ai totalement coupé avec mon milieu, suite au conflit de Barcelone. Je me suis marié, j'ai eu des enfants, j'ai dû reconstruire un projet de vie. Ce n'était pas évident, et j'étais tenaillé par le regret de ne pas avoir marqué le coup officiellement. Comme le jubilé que font les footballeurs lorsqu'ils arrêtent. Cela m'aurait empêché de me retourner quelquefois sur mes rêves. J'ai quitté HP en 1999 et je me suis tourné vers le conseil. Il fallait dès lors aller voir ailleurs, aller vers les gens, travailler le don d'empathie et connaître une autre forme de pression, celle du client. Un double effort, car je ne voulais pas décevoir en raison de mon passé de sportif de haut niveau. Il fallait même que je le fasse oublier, pour que l'on ne dise pas que si j'y arrivais, c'était grâce à ma notoriété. Et puis ça a commencé à me démanger. En 2001, j'ai été approché pour les Mondiaux 2003 à Paris. Je m'étais épanoui professionnellement, c'était donc le bon moment. La passion m'a rattrapé. Je suis entré dans le comité d'organisation des Mondiaux en tant que directeur de la technologie. A l'époque j'ai dit à mon équipe qu'il s'agit de mon sport passion, qu'il faut que tout soit mis en place et fonctionne parfaitement car je veux être dans les tribunes et profiter du spectacle. Mon bureau au Stade de France était placé près de l'entrée des athlètes. Je gardai la porte ouverte et je les voyais tous passer. C'était extra. On a pu alors s'atteler à en faire un évènement populaire exceptionnel. Parmi nos réalisations technologiques: les SMS d'encouragement relayés sur les écrans géants du stade, l'animation musicale, un foule de petits plus comme les serveurs vocaux qui permettaient d'entendre les commentaires en temps réel en plus des données chiffrées, les résultats et photos finish sur téléphone mobiles en temps réel...

     

    La création de la ligue professionnelle

    Après les Mondiaux, je suis entré comme directeur associé chez Talan, une entreprise de conseil informatique, je suis actuellement spécialisé dans la direction de projets et la qualité informatique dans le domaine de la finance et des télécommunications. Nous sommes aujourd'hui 200. Par ailleurs, j'ai aussi réalisé des missions pour la Coupe du Monde de Rugby, nous avons aidé l'organisation à développer son système de billetterie. Et puis le projet de ligue professionnelle pour l'athlétisme français est né. Je m'y suis investi, une bonne manière de tourner la page par rapport à une fin de carrière difficile. Un retour vers le monde fédéral pour développer une vision nouvelle. Stéphane Diagana est devenu président de la ligue, et moi, vice-président. L'idée est d'être le plus efficace possible, d'apporter ma connaissance de la gestion de projet, de l'évènementiel, du monde du privé et mon expérience de sportif.

     

    La commission du sport professionnel.

    Je participe aussi à la commission du sport professionnel du CNOSF, présidée par Bernard Lapasset. Nous travaillons avec toutes les ligues, nous cherchons à définir les meilleures propositions pour canaliser, structurer, voire contrer les dérives potentielles du sport professionnel. Je m'occupe de la partie " le contrat de travail unique ". Cela va de pair avec la structuration profonde du métier d'athlète. Ainsi, si je prends l'exemple de Salim Sdiri et de ce qui lui est arrivé en juillet dernier à Rome, le fait qu'il avait signé un contrat et avoir pu être pris en charge l'a libéré d'un poids pour se consacrer à sa convalescence et à son retour. Je me concentre pour que nos idées aboutissent en projet. Je suis heureux de pouvoir m'investir pour mon sport, de lui redonner ce qu'il m'a donné.

     

    La boucle se boucle

    Aujourd'hui, mon fils fait de l'athlétisme. Je me retrouve à ses cotés le week-end, sur le terrain, avec tous ces bénévoles, tout le travail qu'ils réalisent pour transmettre la passion de notre sport. C'est un véritable retour aux sources, je l'apprécie particulièrement. Pour le futur, j'aimerais aller plus loin, tout en restant multicartes. Il reste encore beaucoup de choses à faire. Je veux aussi m'impliquer plus pour le sport français.

    J'y pense pour le futur.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2019 • www.histoire-vesinet.org