D'après Michel Pauliex pour L'Intermédiaire des chercheurs et des curieux, Vol. LXI, n°1253 p.587-589 (20 avril 1910)

Céleste Mogador

Mogador au Théatre des VariétésDe son vrai nom Céleste Vénard, elle naquit à Paris le 27 décembre 1824 [1]. Négligée par sa mère, brutalisée par son beau-père, elle était tombée au ruisseau quand une prostituée de la cité la recueillit et l'hébergea. C'est dans la soirée du 26 septembre 1844, qu'elle reçut, en l'honneur du bombardement de Mogador, le nom sous lequel elle fut longtemps célèbre à Mabille et au Prado.

Céleste Mogador
au Théatre des Variétés
dans le costume de Cabriole

Dix ans plus tard, en 1854, Lionel de Moreton, comte de Chabrillan, petit fils du duc de Choiseul, l'épousait, au grand dam de toute sa famille, et l'emmenait à Melbourne, où il était consul. Mais la triste réputation de Céleste Mogador y avait précédé le couple ; les salons de la ville australienne lui furent fermés. Le comte de Chabrillan y mourut en 1856, [le 29 décembre 1858] miné par le chagrin peut-être.
Rentrée en France, sa veuve sut, par un effort qui eût dû lui mériter le pardon, rester digne, dès lors, du grand nom qu'elle portait. Elle compléta courageusement une instruction rudimentaire et, menacée par la pauvreté, elle se mit à écrire pour se créer honnêtement des ressources. Elle publia des romans : les Voleurs d'or (1857)
[2]; Sapho (1858) ; Miss Powel (1859) ; Est-il fou? (1860); Un miracle à Vichy (1861).
Elle prit en 1865, la direction d'un théâtre, les Folies-Marigny, aux Champs-Elysées ; au bout d'un an, elle fut contrainte de renoncer à son exploitation, et ce fut un syndic de faillite qui liquida l'entreprise.
Reprenant la plume, elle donna, en 1865, les Mémoires d'une honnête fille.
Elle écrivit pour le théâtre de nombreuses pièces — vaudevilles, drames, comédies et opérettes — qui eurent des fortunes diverses, et dont l'énumération serait trop longue et fastidieuse; citons les principales ; Les voleurs d'or, drame en cinq actes (1866); Les Crimes de la mer, drame en cinq actes (1869); Les Revers de l'Amour, comédie en cinq actes (1870); l'Américaine, comédie en cinq actes (1870); Pierre Pascal, drame en cinq actes, sur la scène de l'Ambigu, en 1885.
Entre temps, elle avait encore écrit plusieurs romans : Les deux soeurs (1876); Ies forçats de l'Amour (1881). Ses souvenirs avaient paru en 1854 sous le titre Adieu au monde, Mémoires de Céleste Mogador. Saisis, ils furent réimprimés en 1858. L'auteur leur donna une suite en 1877:
Un deuil au bout du monde [3], où elle raconte son séjour en Australie et la mort de son mari.

Après la représentation de son drame Pierre Pascal, à l'Ambigu, en 1885, elle cessa de produire et se retira dans une petite propriété d'Asnières, où elle vécut modestement d'abord, pauvrement ensuite, presque misérablement à la fin.
Malgré l'âge, les chagrins et les privations, son visage avait conservé les vestiges d'une beauté qui fut célèbre : Les traits étaient restés réguliers, les yeux expressifs ; elle avait de la dignité dans Ia démarche. Elle ne parlait jamais d'un passé qui lui avait valu une réputation jamais infamante et que 45 ans d'une vie sans reproche ne purent faire oublier.

La comtesse de Chabrillan en 1896

Combien de pêcheresses dont le repentir est venu avec la fortune et la sagesse avec la maturité et qui jouissent sur leurs vieux jours d'une considération qu'elles ont moins mérité !
La Comtesse de Chabrillan venait d'entrer dans sa soixante-quinzième
[plutôt quatre-vingt-cinquième !] année quand elle mourut le 17 février 1909 à l'Asile de la Providence rue des Martyrs à Paris où elle avait été recueillie.

 

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    Notes additionnelles

    [1] L'origine de Céleste est désormais connue. Anne Victoire Vénard, sa mère, ayant tenté de se suicider fut transportée à l’hôpital et dans la Maison de santé municipale dite Maison Dubois, mit au monde une fille. Le lendemain, le curé de St-Denis-du-Marais écrivit sur le registre paroissial: «Aujourd’hui, 28e jour de décembre 1824, a été baptisée Elisabeth Céleste Vénard, fille d’Anne-Victoire, demeurant numéro 7, rue du Pont-aux-Choux... Le père est « non dénommé ». Il est connu cependant comme artisan chapelier installé rue du Puits où il travaille avec Anne-Victoire et quelques employés. La rue du Puits est aujourd’hui la rue Aubriot (4e) qui doit son nom au constructeur de la Bastille.

     

    [2] De ce premier roman fut tiré un drame en cinq actes, joué en 1864, qui compta pour beaucoup dans la renommée et la fortune de Céleste. Divers auteurs y ont reconnu la "patte" d'Alexandre Dumas, ami de Céleste, qui l'aurait encouragée à écrire et lui aurait prodigué quelques conseils. En 1996, dans sa biographie de Céleste Mogador, Pierre Robert Leclercq allait plus loin, évoquant une collaboration entre Dumas et la Mogador, pour une adaptation du roman Les Voleurs d'Or, pour le théâtre. La pièce aurait été montée avec difficulté à cause des intrigues de la famille Chabrillan.
    Enfin, en 2002, un chercheur québécois, Réginald Hamel, découvrit "Les voleurs d'or, un drame en cinq actes d'Alexandre Dumas, qui raconte l'exploit d'un groupe de brigands anglais en Australie".
    C'est au cours de ses recherches dans les archives de la Bibliothèque nationale, à Paris, que le spécialiste a mis la main sur cette oeuvre inédite. "Il s'agit d'une pièce inspirée par le roman qu'avait écrit une de ses maîtresses, Céleste Mogador, comtesse de Chabrillan, en 1857. On reconnaît dans chaque phrase, dans chaque scène, dans chaque acte la manière dumasienne de découper un texte en prose et d'en faire un texte théâtral", explique M. Hamel. Cette pièce, désormais attribuée à Dumas, a été publiée.

     

    [3] Les Mémoires de Céleste de Chabrillan [ The french Consul's Wife ] sont régulièrement réédités en Australie et constituent un exemple édifant de la littérature française. Longtemps, une version expurgée de Un deuil au bout du Monde a servi aux étudiants australiens à apprendre le français. L'Université de Melbourne en proposait une étude interactive en ligne.

 

 


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