Le comte Robert de Montesquiou
Fezensac est mort à Menton, le 12 de ce mois, dans sa
soixante-sixième année. Cet homme rare et charmant,
inaccessible au commun, n'aimait que certains êtres et certaines
choses. Il avait, infiniment de goût, mais broché de
bizarrerie. Poète-gentilhomme et amateur de beautés,
même audacieuses, il tenait de sa Gascogne ancestrale un brin du
panache de d'Artagnan. M. de Montesquiou se flattait de descendre de ce
brillant soldat du grand siècle; il fut mousquetaire des
lettres. Dumas père ne l'aurait pas compris. Dumas fils l'aurait
apprécié.
Il commença de se faire
connaître, en 1895, par un premier volume qu'il confia à
un imprimeur du Marais. Trois mois de soins enfantèrent un
luxueux in-quarto bourré de vers d'un romantisme coloré
d'impressionnisme où de fiers envols s'associaient à
d'humbles terre à terre. Cela s'appelait Les Chauves-souris, et
c'était situé plus près du sol que du ciel et du
jour que de la nuit. L'oeuvre littéraire de M. de Montesquiou se
trouva ainsi préfacée. Elle devait toujours participer du
crépuscule plus que de l'ombre, de ce qui meurt plus que de ce
qui naît. Il fut davantage de Byzance que de Lutèce.
Il contait délicieusement, bien qu'avec
préciosité. Il excellait au jeu des épigrammes. On
sait de lui des vers sur ses confrères et des
personnalités mondaines qu'on ne publiera sans doute jamais.
C'est dommage. Nous aurions un beau tumulte.
Ces fantaisies lui valurent des inimitiés de marque. M. Edmond
Rostand pensa à lui dans Chantecler...
Le labeur d'écrivain du parfait galant homme que fut M. de
Montesquiou a été considérable. Tous les genres le
tentèrent et dans tous il se montra épris du
délicat et du singulier. Son culte pour Mme Desbordes-Valmore
témoigne de sa chevalerie. Le siècle ne connut
guère de lui que son élégante silhouette, son fin
profil, son port de tête hardi. Presque tout, de son œuvre et de
sa personne échappait à une société
démocratique sur laquelle tranchaient ses attitudes et ses
recherches qui, du moins, auront servi à le signaler à la
curiosité de l'avenir.