La Revue Illustrée du Calvados, janvier 1910 (Extraits)
Georges Moteley
La Revue illustrée du Calvados est coquette comme toutes les jeunes filles qui ne demandent qu'à plaire et à s'émanciper, aussi, a-t-elle exigé une autre parure pour ses étrennes de 1910. Afin de satisfaire cet élégant caprice sans risquer aucun reproche, son directeur s'est adressé à un grand faiseur pour l'exécution de la robe nouvelle. La Revue illustrée a des relations nombreuses dans le monde artistique; il nous a été facile dès lors de trouver l'homme précieux qui devait la parer; inutile d'ajouter que cet ami est un coin-patriote, normand de pure race, calvadosien et caennais de vieille souche: c'est M. Georges Moteley. On peut dire de lui que "son astre en naissant l'a créé poète et peintre". A quinze ans il se préparait à l'Ecole des Beaux-Arts où il entrait bientôt. Elève de G. Guay, de Jules Lefebvre et de Guillemet, il obtenait de rapides succès et se faisait remarquer comme un paysagiste d'avenir. Un prix au concours Jouvin d'Allainville, une mention au concours Troyon, une médaille d'or à l'Exposition de Rouen et des tableaux reçus au Salon composaient pour lui, à vingt-cinq ans, une gerbe de lauriers tout-à-fait enviable. En 1892, M. Moteley exposa sa première toile importante: Vieux Lavoir à Clécy, qui lui valut au Salon une mention honorable et le prix Brigard. Elle fut acquise par la ville de Caen. C'est un des meilleurs paysages de son musée moderne. A partir de ce moment, chaque année valut un succès à l'artiste: en 1894, une troisième médaille; en 1900, une mention honorable à l'Exposition Universelle; en 1902, une seconde médaille qui le mettait hors concours. Entre temps, l'Etat achetait ses tableaux qui figurent en bonne place dans les musées, notamment dans les célèbres galeries de Dijon et de Rouen. Tout jeune encore, M. Moteley a conquis la notoriété. C'est un passionné d'art doublé d'un laborieux. Son oeuvre est marquée de l'empreinte puissante d'un coloriste magnifique et d'un dessinateur impeccable; ces qualités qu'il a trouvées dans sa nature généreuse et dans un sentiment inné de probité artistique ont été développées à l'école de ses deux maîtres Guillemet et Jules Lefebvre, mais surtout à l'école de la nature devant laquelle Moteley a toujours vécu en observateur et en amoureux. L'automne normand et les bords de l'Orne à la saison dorée l'ont inspiré passionnément. Comme il a traduit cette atmosphère enveloppante et diffuse qui semble baigner, suivant les heures du jour, l'horizon et les premiers plans eux-mêmes dans des ondes impalpables d'or, de cobalt ou d'opale! Et les indescriptibles éclats de nos bois vers octobre ou novembre, comme il les a fixés en d'étincelantes coulées de pourpre ou de cuivre. Ses arbres fougueusement échevelés, ses eaux puissantes et profondes, les vieux toits normands, les chaumes violacés et si riches, les prairies d'un vert largement et grassement étalé, comme il les a traités, en vrai fils de la bonne terre normande dont le portrait est savoureux à peindre et joyeux à contempler! Pour quelque temps il semble avoir abandonné les vallons qui l'ont si longtemps épris. Il s'est laissé entraîner vers la mer, et là, il a développé peut-être sa fougue de coloriste et de compositeur. Il peint les coups de vent, les tempêtes, les ciels orageux comme il peignait les mers de verdure et la tourmente des forêts. Il semble que c'est en matelot qu'il lutte contre le mauvais temps et, pour peindre ses vagues écumantes, il a dû amarrer son chevalet aussi vigoureusement que les pêqueux de la Hague amarrent leurs bateaux.
Soir d'Orage (1902) Georges Jules Moteley (1865-1923) Huile sur toile
[...] Nous le verrons revenir bientôt à des études moins mouvementées et moins dramatiques. Les bords de l'Orne ont encore d'exquises matinées ou de splendides soirs à peindre; M. Moteley s'en est rappelé en brossant pour notre Revue un coin des environs de sa ville natale que nos abonnés admireront sans hésiter. Dans cette oeuvre rapide et charmante il a mis ce qui séduira toujours eu lui: la sincérité et les trésors de sa riche palette. Nous espérons que La Revue Illustrée du Calvados, si joliment revêtue, suivra la brillante carrière de l'Artiste, et sous son patronage, comme sous celui de tous les artistes calvadosiens auxquels nous nous proposons de faire appel tour à tour, notre Revue ira mettre sous les yeux de nos compatriotes les souvenirs des jours de joies. Nous souhaitons à nos lecteurs pour ce premier janvier de 1910 qu'ils n'en connaissent pas d'autres.
L'Orne à Clécy Panneau décoratif de G. Moteley
Notre compatriote et ami Georges Moteley a envoyé au Salon des Artistes Français, pour qu'elle y reçoive la consécration du public, une grande toile décorative commandée par l'Etat pour la Préfecture de Caen. La faveur qu'elle y a rencontrée égale celle qui accueillit l'an dernier la belle Gentilhommière Normande. Le sujet, fort simple, est familier à tous ceux qui connaissent quelque peu la Suisse Normande. C'est un des tournants les plus typiques de l'Orne à Clécy, le même qui a déjà inspiré au peintre l'Automne sur l'Orne, qui est au Musée de Caen. Seule la composition diffère et aussi l'exécution, G. Moteley ayant traité son sujet dans le sens décoratif. Notre photographie ne peut donner qu'une vague idée du charme qui se dégage de cette toile claire blonde, éclatante d'ors sur des verts, et tout imprégnée d'une lumière douce et mélancolique. Sur un ciel ouaté de nuages qui s'élèvent en grandes pièces jusqu'en haut du cadre, les fonds du Pain de sucre s'estompent en gris violacés. A droite, le pont et le moulin du Vey se détachent dans la lumière. Les feuilles mortes des grands peupliers couvrent de leurs taches dorées l'eau tranquille de la rivière. Cette toile toute de sincérité et de fraîche poésie ajoute une unité remarquable à l'oeuvre si particulièrement attachante de G. Moteley.