Vogue (Paris) vol. 8, n°9, 1er septembre 1927

Le Palais Rose en fête

Dans les jardins décorés et éclairés suivant la tradition vénitienne au XVIIIe siècle, la Marquise Casati vient d'évoquer pour nous, avec une poésie infinie, le personnage étrange et magique de Cagliostro. Habillé d'or et d'argent, botté d'or, un masque d'or sur les yeux, la main droite posée sur sa longue épée, ce personnage fantastique, qu'il nous fut donné d'admirer dans cette soirée magique au Palais Rose, est évoqué par Drian [voir plus loin].
Nous ne vîmes rien de plus évocateur et poétique à la fois que la fête Cagliostro donnée par la Marquise Casati dans son Palais Rose, au Vésinet. C'était tout le faste des fêtes vénitiennes du XVIIIe siècle. La décoration des jardins, la livrée nombreuse, l'art savant des lumières, tout cela organisé et voulu, comme à la grande époque, nous valut une inoubliable soirée. Sous un arbre immense, Cagliostro (la Marquise Casati), en un merveilleux costume d'or et d'argent, entouré du Cardinal de Rohan et de la Camargo, saluait au passage les Ombres du Passé que le « Squelette » (Mister A. Stopfford) appelait du fond du jardin. Un jet de lumière les inondant au sortir de l'antre obscur nous permit de voir Cléopâtre, Diane de Poitiers, Béatrice d'Este, Lord Byron, etc. défiler en des costumes merveilleux.

Il y eut aussi un défilé en carrosse, de la Reine Marie-Antoinette (la Vicomtesse Jean de Segonzac) et du Comte d'Artois (Pierre Meyer), puis l'arrivée tardive du serpent que quatre Egyptiens apportèrent, roulé au fond d'un sarcophage, — mais quand, pour le souper, on rentra dans les salons, on put crier son admiration au serpent de jais noir qu'était la Duchesse de Gramont, née Ruspoli ; on put voir et féliciter le Doge Mocenigo, en habit (le Comte de Beaumont) promenant sa robe de Doge.

La Comtesse Thérèse d'Hinnisdal fut une Diane de Poitiers un peu mystique, ce qui lui valut à nos yeux un attrait nouveau. Casanova (The honourable Mrs Reginald Fellowes) si mince et si frêle, nous présenta le grand conquérant presque enfant, mais qu'importe, puisqu'il était, en elle, idéal de grâce. Le Comte Gautier-Vignal fut un Hamlet impressionnant, Lady Colebrooke un Pierre Le Grand plein de force et de grandeur. La Marquise de Lubersac, très belle en Béatrice d'Este. Puis nous vîmes le Cardinal de Richelieu, Ninon de Lenclos, etc. etc.


La Marquise de Chabannes en Cléopâtre. Lamés d'or, broderies et bijoux admirables, le tout composé par Caramba. Cliché Scaioni.

Créer un personnage et le faire revivre à nos yeux n'est pas chose aisée, mais reconstituer une atmosphère de plusieurs siècles passés, vous donner la sensation que vous êtes, vous spectateur, un personnage qui rêve parce que vous voyez se mouvoir autour de vous les corps de ceux qui, depuis de longs jours, sont passés dans un autre royaume, voilà un art supérieur et que possède comme aucun autre de nos contemporains, la belle Marquise Casati dont l'intelligence égale la fantaisie.


La Comtesse Thérèse d'Hinnisdal, [...] évoquait Diane de Poitiers.
Cliché Hoynigen-Huene, 1927


Cagliostro, la marquise Casati, dessinée par Drian (1927)

Lequel d'entre nous a oublié la fête donnée par elle sur la place Saint-Marc, à Venise, il y a quelques années ? Pas davantage nous ne pourrons effacer de notre esprit la fête magique Cagliostro à laquelle nous avons été conviés cette année dans le merveilleux décor du Vésinet. Ce Palais Rose reste pour nous l'expression d'une âme comblée, qu'un désir constant d'harmonie rend indifférente au monde extérieur, pour ne s'orienter que vers les sphères plus hautes où l'être supérieur veut se réaliser.
Lady Colebrooke, évoquant Pierre Le Grand, merveilleusement maquillée, donnait une impression de grandeur remarquable. La Comtesse Thérèse d'Hinnisdal, dans un admirable costume du grand artiste italien Caramba, évoquait Diane de Poitiers. On ne pouvait avoir plus de distinction et d'allure. La Marquise de Chabannes, née Béthune, en Cléopâtre, portait un costume seyant à merveille à son type : lamés d'or, broderies et bijoux admirables, le tout composé par Caramba.


Le Palais Rose, cette demeure qui appartenait jadis au Comte Robert de Montesquiou, est aujourd'hui la propriété de la Marquise Casati.


La grande salle à manger du Palais Rose, entièrement renouvelée par la Marquise Casati. Tous les marbres ont été apportés de Rome.


Au bout du Tapis vert, où fut donnée la fête Cagliostro, abritée par ce Temple repose la vasque qui appartint à la Montespan.


Société d'Histoire du Vésinet, 2015 - www.histoire-vesinet.org