Les habitants célèbres du Vésinet > Dr Jean Darricarrère > Au pays des Fièvres (Récit 1904) Au pays des fièvres Ancien médecin-major récemment revenu à la vie civile, le docteur Jean Darricarrère installe au Vésinet, au 30 rue de l'Eglise, son domicile et son cabinet dans un bel immeuble récent (construit par l'architecte Jean). Le jeune médecin (il n'a pas quarante ans) vient de passer 18 ans dans les colonies, principalement en Afrique du Nord, et il a malheureusement hérité de son séjour de huit mois à Madagascar, les séquelles d'un paludisme qui l'ont obligé à abandonner la carrière militaire. Au moment même de son installation au Vésinet, parait son premier ouvrage : Au pays de la Fièvre – impressions de la campagne de Madagascar P.V. Stock, Paris, 1904. [Réédité par HACHETTE LIVRE et la BNF, août 2015. Voir www.hachettebnf.fr] L'épigraphe que l'on peut lire sur la couverture de 1904 donne un avant-goût de ce dont il sera question : « 14 tués, 97 blessés, 8000 morts au moins, tel est le prix de l'expédition de 1895 ». Reproduction de notes écrites au jour le jour durant la campagne de 1895, ces pages n'auraient pas encore été livrées au public, si leur auteur n'avait contracté « au Pays de la Fièvre» des lésions graves, devenues, par un séjour ultérieur dans les régions sahariennes, à jamais définitives, et l'ayant mis en demeure, tout récemment, de quitter l'Armée par une retraite anticipée. Ces longs chapitres, éloignés de toute valeur et de toute ambition littéraires, ne prétendent pas faire un historique de l'expédition de Madagascar. Nul ne l'a encore tenté, muni des garanties de renseignements et d'impartialité qui seuls font le véritable historien. Et pourtant son exposé serait des plus simples, si l'on voulait consulter les manuscrits précieux, marqués au coin de la plus juste exposition des faits, tenus par certains officiers du corps expéditionnaire. Mais ces documents ne sortent de leur cachette que pour redire et repleurer à leurs auteurs les fautes d'une campagne coloniale des plus douloureuses et des plus lamentables qui se puissent imaginer ...[Jean Darricarrère, Pau, 10 juillet 1903] Madagascar – Hopital militaire de Fianarantsoa vers 1895 Carte postale (détail) collection particulière, tous droits réservés. Le livre aura un certain succès et fera l'objet de nombreux commentaires dont sont tirés les deux extraits suivants. Le premier, anonyme, paru dans le Polybiblion, la revue bibliographique « universelle » bien connue paraissant tous les mois : C'est un livre bien intéressant, mais bien triste que celui dans lequel le major Jean Darricarrère a réuni ses impressions de la campagne de Madagascar de 1895 ; on y trouvera, sur la manière dont furent fauchés par la fièvre et par la dyssenterie un trop grand nombre de nos pauvres soldats, les détails les plus cruels et les plus navrants. Et, cependant, il faut avoir le courage de lire Au Pays de la fièvre, et il faut féliciter son auteur d'avoir eu le courage, beaucoup plus grand encore, de l'écrire, car on peut y puiser d'utiles renseignements. Jamais, peut-être, on ne comprendra mieux qu'en lisant ce volume, pourquoi, dans une guerre coloniale à tout le moins, ce n'est pas à Paris que doit étre établi le plan des opérations, et aussi pourquoi il est absolument indispensable, daus ce cas, de tenir un très grand compte des notions relatives à la géographie étau climat d'un point précis, de ne pas se contenter des notions trop générales, et partant inexactes et incomplètes. Outre ces enseignements, on pourra dégager du livre du major Darricarrôre des indications intéres santes sur le régime climatique da pays compris entre Majunga et Suberbieville, d'où la maladie a obligé l'auteur à revenir en arrière, sans accompagner la colonne volante conduite par le général Duchesne à Tananarive. Faut-il enfin constater que toute l'histoire de la campagne de 1895, celle de la première partie surtout, se trouve racontée dans Au Pays de la fièvre, et qu'à ce point de vue encore, ce volume mérite d'être lu. Il est très agréablement et vivement écrit, mordant méme parfois, — certains aumôniers militaires, coupables de n'être pas toujours des saints, pourront le constater à leurs dépens, — mais d'une réelle impartialité, à tous égards ; on peut dire qu'il est l'œuvre, sinon peut-être d'un croyant, du moins dun homme très respectueux des croyances profondes et des convictions sincères. [1]
Société de Géographie, SGE SG WE-493 (tous droits réservés) Le second, paru dans le journal La Pensée libre (un hebdomadaire « d'éducation sociale » paraissant le dimanche, édité à Alger), revenant sur la sortie du livre déjà annoncée, juge celui-ci « très touffu »; renonce à en faire une analyse au sens strict du mot, néanmoins choisit de citer « avec plaisir la préface dont certains passages sont fort touchants. ». De cette préface reproduite dans sa totalité [2] nous citons ici les dernières lignes. Ah ! le triste rôle de l'historien consciencieux documenté et impartial, de l'expédition de 1895 ! Puissent ces pauvres lignes, reproductrices fidèles de la vie de nos soldats et de leurs auxiliaires dans l'ile Meurtrière, intéresser les survivants, trop rares, qui en sont revenus – émouvoir les parents et les amis de ceux, trop nombreux, qui ont péri là-bas ou en sont morts depuis – éveiller l'attention des amis de la vérité, des organisateurs de nos futures campagnes coloniales, des parlementaires qui auront à les discuter, avant de leur donner une approbation ou une désaprobation! Des expéditions aussi meurtrières que celles de 1895, des hécatombes aussi lamentables que celles de Madagascar seront-elles encore possibles par le vote aveugle ou aveuglé des Chambres, par le dédain, l'oubli ou l'ignorance de l'histoire navrante de nos guerres coloniales ? Puisse enfin luire le jour où les gouvernements comprendront que toutes les nations, même les moins civilisées, les moins guerrières, les plus faibles, aspirent à la vie, au droit d'exister, au maintien de leurs frontières; que le sang ne lave pas l'outrage réel ou prétexté; que la guerre est un des grands obstacles au bonheur social déjà si difficile à conquérir! Le temps est-il encore loin où les différends entre nations se régleront pacifiquement par des tribunaux aussi impartiaux que possibles et non plus par des duels d'armées ou de peuples qui ne donnent pas la victoire toujours, bien s'en faut, aux plus justes, aux plus courageux, aux plus héroïques, où le succès est parfois plus chèrement et douloureusement payé par le vainqueur que la défaite par le vaincu ? Le dossier militaire au du médecin-major Darricarrère conservé au SHD précise qu'il est docteur en médecine de la Faculté de Paris, mais Eric Hello qui lui a consacré une partie de sa thèse [3] dit ne pas en avoir trouvé trace sur des listes de thèses soutenues à la Faculté de médecine de 1890 à 1893. [4] **** Notes et sources : [1] Polybiblion, Revue bibliographique universelle paraissant tous les mois (2e Série. T. 59) 1904. [2] La Pensée libre (Alger) 3 janvier 1904. [3] Hello, Eric. Les néomalthusiens français et les sciences biomédicales (1880-1940). Thèse de Doctorat de l'Université de Bordeaux (Sciences et Environnements : Épistémologie et histoire des sciences), soutenue le 9 décembre 2016. [4] Jean Darricarrère n'apparait sur la liste des docteurs en médecine du département de Seine-&-Oise qu'en 1916 et jusqu'en 1929 inclus. (Réception : Paris, 9 mars 1890). [5] Dossier Darricarrère, Archives du Service Historique de la Défense, Division de l'armée de terre SHD/GR 6 Yf 29713
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