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Pontcarral

Le roman

Pontcarral, c'est d'abord un roman d'Alberic Cahuet paru chez Fasquelle en 1937. Il a pour héros le colonel-baron Pierre Pontcarral, hussard au Premier Empire, lors de la Première Restauration, des Cent-Jours, de la Seconde Restauration, de la monarchie de Juillet jusqu'à sa mort à la bataille de la Macta le 28 juin 1835. Qualifié d'œuvre régionaliste à sa parution tant le Périgord noir qui lui sert de cadre était omniprésent, le roman fut bien accueilli.

    Pontcarral, en patois périgourdin, veut dire pont aux charrettes. On avait donné ce nom de village à un enfant trouvé qui, plus tard, gagnant sa vie comme colporteur, mit un peu d'argent de côté, acheta un petit bien et eut un fils auquel il fit donner de l'instruction dans un petit collège de Sarlat et qui prit du service en 1805. Pierre Pontcarral, deuxième du nom, était colonel à Waterloo, avec un titre de baron et une illusoire dotation de deux cent mille francs. Après un inutile essai de révolte contre les Bourbons, il résolut de s'enfermer dans Fondaumier, la maison qu'il avait héritée du colporteur son père, et d'y vivre solitaire avec une servante maîtresse du nom de Gaulette. C'est là, c'est à ce stade de sa vie, que le prend le narrateur pour le mettre en scène et nous le présenter dans tout son rude relief de sabreur désaffecté. Ai-je dit que Pontcarral était colonel de houzards ? [1]
    Or, un jour, au cours d'une promenade à cheval, il rencontra Sibylle de Ransac, jeune châtelaine des environs, dont il remarqua du premier coup d'œil que la monture était mal sellée. Juste à ce moment, la selle de la jeune fille tourna. Ainsi se lièrent d'amitié la petite Sibylle et le farouche Pontcarral. Il lui donna des leçons d'équitation, il fut reçu au château. Et que croyez-vous qu'il arriva? Qu'il devint amoureux d'elle ? Non, mais elle de lui, tandis que, de son côté, il se toquait de Mme de Bessanges, sa sœur.

    Alberic Cahuet (1877-1942)

    Or, Mme de Bessanges, de son prénom Garlone, était d'une tout autre humeur que Sibylle. Elle détestait tout ce qui incarnait la Révolution et l'Empire. Elle avait trop souffert durant l'émigration. Et puis, son frère avait été fusillé par Napoléon. Aujourd'hui veuve, elle était la maîtresse d'un noble décavé, M. de Rozans, dont elle se ruinait peu à peu à payer les dettes et qui, pour la récompenser de ses bienfaits, se disposait à épouser la plus riche héritière du pays. Cela n'arrangeait rien dans le caractère ombrageux de Garlone. D'où le désir dont Pontcarral fut pris pour elle. Instinct de cavalier né qu'attirent les chevaux difficiles...
    Nous attendons que se déclare le conflit entre les deux sœurs, mais les choses prennent un cours un peu différent. Tandis que Garlone, ruinée, épouse par désespoir Pontcarral, Sibylle, qui ne semble pas avoir conscience de la vraie nature de son sentiment, accepte loyalement de jouer auprès de Pontcarral son chaste rôle de belle-sœur. Sur ces entrefaites, les fiançailles de Rozans avec la riche héritière sont rompues et Garlone fait la suprême folie de vendre, pour tirer son ancien amant d'embarras, un magnifique diamant de famille dont Pontcarral n'a pas de mal à constater la disparition. Il provoque Rozans en duel et le tue. A ce moment éclate la Révolution de 1830.
    Louis-Philippe rend un régiment de houzards à Pontcarral qui vient avec sa femme et sa belle-sœur habiter Paris. C'est la fortune. Mais Garlone n'a pas changé, elle reste indomptable et insatisfaite. Sensuelle et coquette en outre. Etrange et malheureuse femme dont les traits ont été dessinés par Cahuet avec un visible amour. Il y a mis tout son cœur, tout son art. Cette figure de Garlone suffit à donner au livre son attrait. Cependant, et tandis que la baronne Pontcarral mène de sqn côté une existence frivole et scabreuse, Sibylle et lé' colonel se rapprochent de plus en plus, au point qu'un jour, ou plutôt une nuit, voilà la jeune fille dans les bras de son beau-frère. Dans ses bras, mais endormie. Cahuet n'a pas voulu toucher à la vertu de Sibylle. Cette délicatesse honore un romancier. Elle surprend davantage chez un houzard.
    Que se serait-il passé pourtant, après l'aveu que Sibylle fait à sa sœur de son amour pour Pontcarral si celui-ci n'avait été, sur sa demande, envoyé en Algérie avec son régiment et, promu général, n'y avait été tué deux ans après ?
    Si Sibylle l'oublia vite pour se marier avec un autre, hélas ! Garlone, au contraire, vieillit et mourut dans son second veuvage. Pontcarral mort, elle lui fut fidèle. Cette déconcertante Garlone me plaît beaucoup. Je me promets bien d'aller relire « Pontcarral » en Périgord.
    [2]

Le film

En 1942, Jean Delannoy entreprend d'en faire un film Pontcarral, colonel d'Empire avec Pierre Blanchar. Très libre adaptation de Bernard Zimmer où la romance le dispute à l'Histoire revisitée. Mais le film connaît un succès considérable. La censure s'exerce et coupe quelques phrases telles que : « Il est temps de sortir la France de ses humiliations, de rendre à son drapeau, notre drapeau, un peu de gloire » et « Sous un tel régime, c'est un honneur que d'être condamné » mais n'en dénature pas la valeur artistique. La critique est élogieuse :

    Si la trop grande, majorité de nos producteurs français a pu ressentir un moment de découragement en mesurant le gouffre qui séparait leurs pauvres productions des Visiteurs du soir, le film de Jean Delannoy jette un pont hardi et solide sur ce gouffre. On souhaiterait que nos cinéastes s'engagent à la suite de Pontcarral, colonel d'empire sur ce chemin qui mène tout droit à la qualité et au succès.
    Le film de Jean Delannoy est nerveux, adroit, intelligent et mâle ; les images de Christian Matras sont d'une perfection étonnante, les décors de Pimenoff d'un goût très sûr et la musique de Louis Beydts de tout premier ordre.
    [...] L'interprétation est dominée par la composition de grande classe de Pierre Blanchar qui est un Pontcarral plus que parfait : inoubliable. La petite Susy Carrier, dont ce sont pratiquement les débuts à l'écran, est délicieuse et pleine de talent. Simone Valère est charmante et Annie Ducaux est trop belle pour qu'on ait la présence d'esprit de discuter son talent. Enfin, Marcel Delaître est magnifique dans son rôle de « Flambeau-Austerlitz »; Jean Marchat, Lucien Nat et Charles Granval sont parfaits.[3]

Susy Carrier (1922-1999)

Sorti en pleine occupation, le film sera l'un des premiers à l'affiche à la réouverture des cinémas en octobre 1944. L'accueil est toujours enthousiaste, pour de nouvelles raisons.

    On va revoir « Pontcarral »

    La réouverture des cinémas va consacrer à l'Impérial-Pathé, le triomphe de « Pontcarral », réalisé et présente sous l'occupation. Les applaudissements qui, malgré les consignes, crépitaient lorsque le régiment de Pontcarral défilait sur l'écran, témoignaient des sentiments de tout un peuple. La censure allemande crut,-en supprimant quelques passages — rétablis depuis — retirer au film de Jean Delannoy le souffle de l'insurrection, qui traverse tout le film. Peine perdue ! Tout Paris, et toute la France l'ont reconnu avec cet instinct infaillible, d'un peuple uni par le malheur. On reverra avec joie dans ce film la silhouette de Pierre Blanchar, qui a tant fait pour la résistance du cinéma français. [4]

On pourra noter au passage que plusieurs personnalités de la Résistance ont choisi comme nom de guerre « Pontcarral », en particulier le Général Pierre Dejussieu-Pontcarral (1898-1984) Compagnon de la Libération.

La Villa Pontcarral

La propriété qui correspondait au 60 boulevard de l'Est (actuel 96 bd des Etats-Unis) comptait près d'un demi hectare et s'étandait pour un quart sur la commune de Chatou quand elle fut achetée en 1877 par Emile Goinbault qui fit bâtir la villa. Le séjour de la famille Goinbaut ne fut pas très heureux au Vésinet. Emile Goinbaut à peine installé vit mourir sa jeune femme âgée de 25 ans (1879), sa tante Louise (1885) puis deux de ses enfants nés à Paris, Marie-Louise, 16 ans (1890) et sa sœur Augustine à 18 ans (1894).
En 1881, M. Goinbaut s'était remarié avec la sœur de son avocat, Blanche Hérard. Négociant de métaux non ferreux, il était, en 1889, à la tête d'une société en commandite E. Goinbaut & Cie, à la suite de son père.
Après le décès d'Emile Goinbaut (1909), la villa fut habitée par sa veuve, le fils (du premier lit) Paul étant le propriétaire (cadastre). La maison fut mise en vente au retour de Paul (mobilisé de 1914 à 1919). Paul Goinbaut avait été, avant la guerre, dirigeant d'un des premiers grands clubs sportifs, le Rudge-Whitwhorth Sporting Club. Après la guerre, il reprendra des fonctions officielles à la fédération nationale de football. Il sera président de la commission centrale des arbitres de la fédération et recevra la Légion d'Honneur (1932).
En 1922, Marcel Benjamin Weyl (banquier) acquiert la propriété. M. Weyl (1878-1958) directeur de banque impliqué dans des trafics illicites d'or et de dollars, aura par la suite des démélés avec la justice mais bien après avoir revendu la propriété, en 1932, à un certain Albert Piel. La villa portait alors le nom de Le Paradou. [5]
Albert Piel (1885-1970) est industriel. Il fonde en 1935 avec son beau-frère, Henri Esclassan, une société à Boulogne-sur-Seine, La Société de Tôlerie de Boulogne, H. Esclassan apportant l'expérience commerciale et Albert Piel, technicien et inventeur, apportant des brevets et un savoir faire industriel. Albert Piel est surtout connu par ailleurs comme maire de Courville-sur-Eure et président de la fédération MRP du département d'Eure-et-Loir au début des années 1950 [6]. Il revend la propriété en 1945 à un autre industriel et négociant, Louis Trentesaux.
Albert Louis Trentesaux (1869-1951) était administrateur unique d'une société Trentesaux-Leconte ayant pour objet le commerce de charbons et plus spécialement des anthracites, leur importation et leur traitement mécanique. Marié en 1894 avec Marie Gabrielle Van Eslande (1873-1938) ils auront dix enfants dont certains profiteront de la propriété du Vésinet qui sera revendue en 1950 à une Compagnie d’assurances « L’Alliance Terrestre et Maritime » ou (CARR SA) dont le dirigeant, Raymond Léopold Schmit (1915-1983) épousera l'année suivante Susy Carrier [7].
Devenue en trois films une valeur sûre du cinéma français et remariée à Raymond Schmit, Suzy Carrier habite au Vésinet cette belle propriété de d'un demi hectare (3700 m² sur le Vésinet, le reste à Chatou) à laquelle elle donne le nom de son film fétiche. Elle n'occupera la villa que de 1952 à 1955 mais y laissera le souvenir d'une voisine discrète, souvenir désormais estompé.

 

Villa Poncarral dans son aspect actuel (2017).
Le bâtiment d'origine, néo classique, construit vers 1870 a été plusieurs fois agrandi

et s'est affranchi de ses caractéristiques architecturales au profit d'aménagements de confort.

 

Le parc, malgré un morcellement, a conservé en partie son plan d'origine.

La villa a conservé son nom jusqu'au début du XXIe siècle, les nouveaux occupants n'ayant sans doute plus la nostalgie des barons d'Empire [8].

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    Notes et sources :

    [1] Ancienne forme du mot hussard, d'origine hongroise.

    [2] Critique de André Billy, La Femme de France, n°14 octobre 1937.

    [3] Critique de Jeander, La Vie parisienne, 25 décembre 1942.

    [4] Ce soir : grand quotidien d'information indépendant (directeur Louis Aragon), 15 octobre 1944.

    [5] Ce nom, qui ne figure pas sur la liste Bénard, a dû n'apparaitre qu'au XXe siècle. Une autre maison vésigondine porte le même nom, au 63 avenue Georges Clemenceau.

    [6]Chevalier de la Légion d'Honneur en juillet 1951.

    [7] Mariée une première fois avec un médecin parisien, Georges Loublié (1943), Susy (c'est l'orthographe exact de son prénom pour l'état-civil) divorce et se remarie (1952) avec un assureur Raymond Léopold Schmit dont la compagnie (C.A.A.R. sa) est propriétaire de la villa du Vésinet. Elle épousera en troisièmes noces après son accident en 1957 et un autre divorce, un prince italien, Alexandre Borgia, à Antibes en 1958.

    [8] Selon un témoignage, la plaque fixée sur le pilier du portail aurait été volée au début du XXIe siècle. La propriété aurait porté le non Le Paradou au XIXe.


Société d'Histoire du Vésinet, 2017- www.histoire-vesinet.org