Jean-Paul Debeaupuis, SHV, janvier 2025

Les Cycles Larippe : une usine au Vésinet ?

Question à la SHV : Que sait-on des Cycles LARIPPE dont l'usine de production de vélocipèdes se trouvait au Vésinet ?

Sur une affiche, prisée des collectionneurs [1], qui fait la promotion des Cycles l'Etoile, on peut voir la mention du constructeur Larippe situé à « Le Vésinet (S-&-O) près Paris ». Le Vésinet apparaît aussi dans un autre élément décoratif de l'affiche : une marque déposée en forme d'étoile.
Cette nouvelle mention d'une activité industrielle au Vésinet a suscité les mêmes interrogations (et les mêmes doutes) que d'autres cas déjà traités.

L'affiche de Trichon et les détails qui évoquent le Vésinet

Nos recherches nous ont permis de relever de nombreuses mentions, dans la presse, d'un fabricant de cycles du nom de LARIPPE au Vésinet. En voici quelques exemples publiés dans des journaux et magazines très variés.

    … L'usine Larippe au Vésinet (route de Sartrouville), reçoit chaque jour un grande nombre de visiteurs qui viennent admirer l'important outillage pour la construction des bicyclettes grand cadre nouveau modèle. Nous apprenons que M. Larippe vient d'annexer à sa fabrique des ateliers spéciaux de réparations, de nickelage et d'émaillage. [2]

     

    …Suivant conventions verbales en date du 14 avril 1892: M. Philippe-Aristide LARIPPE, fabricant de vélocipèdes, demeurant à Paris, avenue de la Grande Armée n°2 4 , a vendu à M. Émile -Etienne-Denis FOREST, employé de commerce, demeurant à Paris, même avenue et numéro, la maison de vente en détail de vélocipèdes pour toute la France, qu'il exploite à Paris, avenue de la Grande Armée, n°24, avec succursale d'exposition et de vente, à Paris, rue Royale n°23, comprenant le fonds de commerce proprement dit, le matériel et le droit aux baux et les marchandises. M. Larippe s'est réservé la fabrique et la maison de vente en gros de vélocipèdes qu'il exploite au Vésinet (Seine-et-Oise). L'entrée en jouissance a été fixée au 15 avril 1892.[3]

     

    … On a fait courir le bruit que l'usine Larippe avait arrêté sa fabrication. Nous avons voulu voir par nous-même ce qu'il y avait de fondé dans ce racontar, et nous avons pu constater avec plaisir qu'au contraire jamais la fabrication, dans l'usine du Vésinet, n'avait été aussi active, et que les bicyclettes Étoile , construites en ce moment, seront les plus jolis modèles de l'année 1893. [4]

     

    … Une regrettable nouvelle nous parvient : La maison Larippe, bien connue et on peut dire avantageusement connue sur la place de Paris, vient de déposer son bilan au greffe du tribunal civil de Versailles. Le siège social de la maison Larippe est au Vésinet (Seine-et-Oise). [5]

     

    ... Dans une visite que nous avons faite, dernièrement, à l'usine Larippe, du Vésinet, nous avons pu nous convaincre que le travail y était très actif et que, nuit et jour, la fabrication des célèbres bicyclettes « Étoile » était activement poussée. La bicyclette « Étoile » sera le plus joli modèle de l'année 1893 et fera le plus grand honneur à la maison Larippe. [6]

     

    ... Nous croyons savoir que M. Larippe, le constructeur du Vésinet, va mettre en fabrication de mignonnes bicyclettes de dames qui feront certainement les délices de beaucoup de nos mondaines. [7]

     

    A notre avis, un des plus jolis modèles de bicyclette est l' Étoile , la nouvelle machine de route de Larippe, dont l'usine modèle est située au Vésinet (près la gare du Pecq). Cette Maison fait sa bicyclette demi-course sur commande … [8]

     

    … etc.

En dehors de tels articles, nous avons aussi pu trouver des encarts publicitaires, parfois illustrés, faisant la promotion des cycles Larippe et faisant état d'une USINE LARIPPE au VESINET, précisant parfois qu'il s'agissait d'une « Usine à Vapeur ». Nous retiendrons de ces documents les éléments permettant un début de localisation : « route de Sartrouville » et « près de la gare du Pecq ».

Quelques exemples de publicités A. Larippe mentionnant Le Vésinet (1892-1895) [9]

 

Autres exemples d'affiches pour la production de l'Etoile, produit phare de la marque (à gauche) et pour la Maison de Vente

dans le quartier de la place de l'Etoile à Paris où toutes les marques de cycles se devaient de figurer.

 

La famille Larippe

Malgré tous nos efforts, nous n'avons trouvé aucun signe de la présence d'une famille Larippe au Vésinet, ni dans les documents d'état civil, ni dans les listes de recensement, ni dans les annuaires (1882 à 1908), ni au cadastre. La recherche fut tout aussi infructueuse à Chatou, à Croissy ou au Pecq. Enfin, sur les listes de recensement de 1896, une famille Larippe fut localisée au Hameau des Terres neuves , sur la commune de Montesson. [10] Il s'agissait de Philippe Larippe (43 ans, représentant de commerce, chef de ménage) de Carmen Piot (36 ans, son épouse) deux de leurs enfants, Jean (né en 1890) et Fernand (né en 1883) et du grand-père de ceux-ci, Jean Marie Larippe. Une fille, Valentine Marie, née en 1883 sera identifiée plus tard.
Philippe Aristide Larippe est né à Aubigny-ville (Cher) le 16 novembre 1852. Fils et petit-fils de bijoutier, il exerce la profession d'horloger-bijoutier à son mariage, en 1876 au Creusot (Saône-et-Loire) avec Carmen Piot, fille d'un ancien capitaine d'Artillerie. En 1879 et en 1883, à Gray (Haute-Saône) à la naissance de ses deux aînés, Aristide (c'est son prénom d'usage) exerce encore comme horloger-bijoutier. Mais en 1890, à la naissance de son fils Jean, à Paris (17e), il se dit fabricant de vélocipèdes. Il est alors domicilié à Paris, 24 avenue de la Grande Armée. Cette adresse (24 et 26) est depuis quelque temps le siège social de l'entreprise A. Larippe et le domicile de M. Forest, responsable de la vente au détail des machines Larippe (et de quelques autres marques).
La Manufacture française de Vélocipèdes A. Larippe, présentée sur les réclames comme fondée en 1886, est déjà connue dans le monde de la bicyclette et des tricycles pour lesquels elle a été plusieurs fois primée (bicycles, tricycles, tandems, sociablers). Il semble que l'entreprise Larippe & Boulanger ait commencé à produire des machines dans la région du Creusot avant de s'installer à Paris. Aristide Larippe est détenteur de brevets qui font la réputation des machines Larippe.
C'est en août 1892 que l'Usine Larippe au Vésinet est évoquée pour la première fois. [11]

Le Hameau des Terres Neuves

Le secteur des Terres Neuves à Montesson correspond à une portion de la Garenne du Vésinet (donc incluse dans le périmètre borné à la demande de Louis XV en 1751-1753), qui furent défrichées à la demande du comte d'Artois à partir de 1780. Devenues terres agricoles, elles furent attribuées à Montesson au moment de la Révolution. De ce moment date leur dénomination de Terres-neuves et elles ne furent pas réintégrées au domaine de la couronne comme le reste de la Garenne du Vésinet mais vendues comme biens nationaux en 1793. [12]
Devenues la propriété du marquis d'Aligre avec toutes les terres exploitées par la Ferme du Vésinet, puis de son successeur et lointain héritier Robert de Pomereu, elles furent peu à peu converties en terres à bâtir.
Au recensement de 1891, un Hameau des Terres Neuves apparait pour la première fois dans le tableau de la population de Montesson. On y dénombre 3 maisons et 5 foyers. La famille Larippe n'y figure pas. Pas encore.
Elle occupe en 1896, une des 5 maisons (et 7 foyers) qui composent alors le Hameau. Celui-ci est desservi pratiquement par une voie que l'on appelle improprement route de Sartrouville. C'est le nom de la voie qui alors part du rond-point du Pecq, au Vésinet, traverse Le Vésinet puis sépare Le Vésinet du Pecq puis traverse Le Pecq où elle conserve son nom de route de Sartrouville. Enfin, elle arrive à Montesson où, en 1890, elle n'a pas d'autre nom que Chemin de Grande communication n°121. Il n'y a pas alors de riverains. Elle longe le secteur de terres agricoles dit Les Terres neuves. Elle ne deviendra la rue Gabriel-Péri qu'en 1945.
Les historiens de Montesson ont rassemblé d'intéressantes données sur le développement de se secteur.
Au n°1 de ce qui deviendra la rue Gabriel Péri, un ingénieur du Vésinet ayant constitué une « Compagnie française de la métallurgie de l’or », achetait en 1889 à M. de Pomereu, un terrain de 68 ares en limite du Pecq. Il construisit sur ce terrain un bâtiment comportant logement et atelier avec « une machine à vapeur locomotive et autres outillages ». Mais, l’expérience dura peu et en avril 1890, la société fut liquidée. La « Société vinicole et de distillation » qui lui succéda eut une existence plus brève encore, se trouvant six mois plus tard, en liquidation judiciaire! [13] C'est alors, vers le début de 1891, qu'Aristide Larippe en fit l'acquisition pour loger sa famille, exploiter l'usine à vapeur et y produire ses fameuses machines.
Nous n'avons trouvé qu'un seul article situant l'usine Larippe à Montesson. [14] Et encore ! il était entaché d'une « coquille » qui le rendait erroné : ...l'usine à vapeur à Montenon (Seine-et-Oise)....

Après 1897, leur fabrication sera transférée à Pantin et la famille Larippe quittera Montesson. En novembre 1899, la faillite de l'entreprise A. Larippe sera déclarée et la marque ne survivra pas à la fin du siècle. [15]
Monsieur et Madame Larippe iront avec leurs enfants s'installer à Nice ...

En exhumant de vieilles données historiques, on peut assurément trouver un lien entre cette portion de terre montessonnaise, livrée à l'industrie à l'orée du XXe siècle, et son lointain passé vésigondin. Mais le vocable utilisé et renouvelé de Manufacture ou d'Usine du Vésinet est une fois encore un abus de langage.

Série Environs de Paris – Rueil (n°14) ; service géographique de l'Armée (surcharges de 1887).

La marque bleue situe l'emplacement de l'Usine Larippe, route dite de Sartrouville au Hameau des Terres Neuve, commune de Montesson,

à environ 500m de la gare du Pecq, au Vésinet (le point le plus proche de la Commune du Vésinet étant à 200 m environ).

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    Notes et sources:

    [1] L'affiche dont un exemplaire est conservé au musée Carnavalet (Histoire de Paris) est due à François Auguste Trichon (1814-1898) graveur et illustrateur. C'est une lithographie de l'Imprimerie Kossuth & Cie, Paris datée de 1895 (Paris musées).

    [2] Le Petit Parisien, 4 septembre 1892 .

    [3] Le Droit, journal des Tribunaux , mai 1892.

    [4] La Libre Parole, 16 décembre 1892.

    [5] Le Journal, 20 décembre 1892.

    [6] La Libre Parole, 7 décembre 1892.

    [7] Le Vélo, janvier 1893.

    [8] Le Journal 23 mars 1893 .

    [9] L'Indépendant (1892), Le Figaro (1892-93), Le Petit Journal (1892-93), Le Petit Parisien (1892), Le Radical algérien (1892), La revue mondaine illustrée (1892, 1895), ... Cette liste n'est pas exhaustive !

    [10] Archives Départementales des Yvelines. Montesson, recensements 1896 (9MP 724-2)

    [11] Elle figure dans l'Annuaire Général de la vélocipédie et des Industries qui s’y rattachent, (éd. 1892 et 1893) par F. Thévin et Ch. Houry.

    [12] Des Terres neuves aux Rabaux. Chemins et rues de Montesson au cours du temps, MHM, 2010.

    [13] Achat de la Cie Fse de la métallurgie de l'or, avril 1890. Archives départementale des Yvelines (3E38 588)

    [14] Le Radical algérien, 4 mars 1892 (Le journal publiait un scoop, la Maison Larippe n'ayant pas encore défini la forme et les éléments de langage pour la promotion de sa toute nouvelle unité de production !

    [15] La Liberté, 28 novembre 1899.


Société d'Histoire du Vésinet, 2025 • www.histoire-vesinet.org