D'après Fred Robida, Chronique du groupe d'histoire du Vésinet, Bulletin municipal n°8, p. 22 Décembre 1967

Un scandale au champ de courses

De ce scandale, survenu au cours de l'été 1869, il est fort possible que les 679 habitants que comptait alors notre ville n'aient pas eu connaissance, car ils n'étaient certainement pas tous intéressés par les courses de chevaux. C'est bien par hasard (le hasard n'est-il pas, pour les chercheurs, l'équivalent de la Providence ?) que j'en ai moi-même recueilli l'écho? Feuilletant au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale la collection, récemment reprise et non encore cataloguée, des années 1868-69 et 70, de la revue mensuelle Paris-Caprice, je tombais en arrêt, alors que je cherchais tout autre chose, sur le sous-titre d'une chronique sportive où figurait le nom du Vésinet. C'est avec l'intérêt que l'on devine que je lus ceci :

    « Les grandes journées de province vont commencer; avant de courir à Amiens, Abbeville, Nancy, Le Havre, Caen, nous irons récréer dimanche prochain au Vésinet, ce parc de bonnes maisons, qui veut bien nous offrir une journée supplémentaire émaillée de quatre épreuves. Nous ne parlerons pas de la première, amusante course plate de 800 mètres, qui nous fait toujours rire. Mais la seconde (le Prix du Lac), vaut bien une mention spéciale ».

Et encore, quelques pages plus loin :

    «Nous irons dimanche prochain nous rafraîchir et nous reposer avec bonheur sous les ombrages du Vésinet. Quel dommage que ce charmant hippodrome n'ait pas quelques centaines de mètres de longueur de plus et que ses tournants soient si courts...» 

Je n'ignore certes pas qu'il y avait eu un champ de courses au Vésinet, dans ma prime jeunesse, le lac désigné actuellement sous le nom de lac des Ibis s'appelait lac du Champ de Courses. D'autre part, lorsqu'il y a aujourd'hui quarante ans je m'installais avenue des Courses, existaient encore, au n°1, les écuries qui sont à un hippodrome ce que sont les coulisses au théâtre ou les cuisines à un restaurant (ces écuries ont cédé la place à des garages). Si l'on se reporte à l'excellent ouvrage de Jean Delcour, Le Vésinet Historique, on peut lire qu'un hippodrome avait été tracé en 1866 autour de l'île aujourd'hui dénommée les Ibis et que les réunions y battirent leur plein vers 1878-79. La rubrique hippique de la revue Paris-Caprice nous fait remonter dix ans en arrière et c'est à ce titre que ses informations peuvent nous intéresser aujourd'hui. Poursuivant ma lecture, je tombais sur le compte rendu que voici :

    "Deux incidents fâcheux ont malheureusement signalé les courses du Vésinet. Le premier relatif au Prix des Réservoirs, qui ouvrait la séance. BLAISON, le vieux Blaison, devait courir seul, parait-il, mais comme, aux termes des règlements, la course ne pouvait avoir lieu qu'avec deux chevaux partants, M. d'Evry y lança MEIDELBERG, en ayant soin de dire que ce vieil invalide ne courait que pour la forme et uniquement pour faire nombre. Cette résolution fut vite annoncée et affichée au pesage; mais, sur la pelouse, que se passait-il? Nul ne connaissait cette combinaison et les malheureux donneurs de chevaux (les parieurs), qui n'ont pas leurs entrées au parc réservé, lâchaient du BLAISON à égalité tant qu'on leur en demandait. Or, ceux qui le demandaient savaient précisément à quoi s'en tenir puisqu'ils sortaient du pesage et ils jouaient ainsi à coup sûr, avec des dés pipés.Donc, les deux chevaux partent, MEIDELBERG faisant à BLAISON les honneurs de 50 mètres d'avance. Mais, il arriva ce que personne n'avait prévu: BLAISON se dérobe deux ou trois fois! Voyez-vous d'ici MEIDELBERG arrêté court à chaque obstacle pour laisser à son complice le temps de se décider à passer. Car, si BLAISON n'était pas décidé à gagner, c'était l'autre, c'est-à-dire celui qui ne courait pas, qui était forcément le vainqueur. Comprend-on une pareille arlequinade et, dans ces conditions, les courses ne dégénèrent-elles pas en mauvaise plaisanterie, pour ne pas dire plus? Nous nous hâtons de dire que M. de Chazelles, le propriétaire de BLAISON, a demandé lui- même, et tout de suite, que la course fût annulée. Mais n'eut-il pas mieux valu qu'il renonçât à faire courir son cheval dans des conditions aussi fâcheuses? La réputation des steeple-chases, en général, n'est pas merveilleuse: il ne faudrait qu'un second incident du même genre pour compromettre sérieusement, peut-être, l'avenir des courses au Vésinet. CAVEANT CONSULES !... »

Le Champ de course du Vésinet (1889).
Ce dessin de Henry Johnson, professeur de dessin à l'école communale du Vésinet,
était tenu pour la seule représentation de l'hippodrome et de ses tribunes jusqu'à leur identification sur des toiles d'Edgar Degas
[1].

Ne parlons pas du second "incident fâcheux": ce fut la mort d'un cheval, un accident n'ayant rien de scandaleux. Ainsi donc, grâce à une revue parisienne dont le titre seul soulignerait le caractère, disons léger, ceux qui, aujourd'hui, au Syndicat d'Initiative, se préoccupent de reconstituer en détail l'histoire de notre "parc de bonnes maisons", pour reprendre l'expression du chroniqueur de 1869, ont, une fois de plus, la preuve que le moindre écrit, la moindre image oubliée peut former le point de départ d'une recherche fructueuse. Il ne semble pas douteux en particulier que la création, les succès, la décadence de l'hippodrome du Vésinet ont laissé des traces qu'il ne serait pas sans intérêt de retrouver. Ce n'est là d'ailleurs qu'un exemple des résultats que l'on peut attendre de la participation de toutes les bonnes volontés à l'effort entrepris par le Groupe d'Histoire du Vésinet constitué au Syndicat d'Initiative et qui a fait l'objet, dans le n° 7 (septembre 1967) du Bulletin Municipal d'un premier appel à quoi, en ma qualité de président du Groupe, j'invite cordialement ceux que le récit du scandale de 1869 a amusés à se reporter.

    [1] Malcolm Park, Degas at Le Vésinet, 2010.

     


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