D'après Kevin Brownlow, The Independent, décembre 1995

Simone Genevois et la Merveilleuse vie de Jeanne d'Arc

Entrepris en 1927, au même moment que le chef d'œuvre de Carl Dreyer avec Falconetti dans le rôle titre, la Merveuilleuse vie de Jeanne d'Arc dirigé par Marco de Gastyne, mettait en vedette Simone Genevois, une gamine de 15 ans à peine – mais avec une expérience de l'écran de 10 ans. Sa prestation dans le film de Gastyne a été l'une des merveilles du cinéma muet.

Simone Genevois est née à Paris en 1912, dans le quartier populaire de Ménilmontant.
À l'âge de quatre ans [1], elle pose pour des cartes postales et cette même année elle interprète un orphelin dans un film à épisode en six parties, produit par Eclair, intitulé Protea ou Les Mystères de Malmort (1917). Presque immédiatement, elle se voit proposer sa propre série de films, produits par Eclipse et tournées dans le sud de la France, à Cannes. Elle est devenue l'un des premiers enfants stars français de la période de l'après-guerre.
Selon l'historien Lenny Borger elle s'est spécialisée dans les mélodrames, dans lesquels elle a été souvent orpheline, enlevée ou abandonnée. Elle a fait beaucoup pleurer, elle a beaucoup pleuré ce qui explique pourquoi elle dit : « Je ne pleure plus du tout ! »
Son premier film important était une monumentale série de huit heures de Henri Pouctal, Travail (1919), basée sur l'œuvre de Zola et filmée dans les aciéries du Creusot. Elle a joué la fille d'Ivan Mosjoukine, la star russe (blanche) du cinéma français, dans La Maison du Mystère d'Alexandre Volkoff (1921-1922), une série en 10 épisodes qui a été récemment restaurée par Renée Lichtig pour la Cinémathèque française – une restauration qui, en dépit de sa remarquable qualité, n'a jamais été montrée publiquement nulle part, même pas à l'exposition des cinéastes russes en France à Montreuil, qui a fermé le 21 décembre dernier
[1995].
Au moment où elle interprétait une des sœurs de Bonaparte dans le Napoléon d'Abel Gance – en 1925 – Simone Genevois était déjà un vétéran avec une expérience de huit ans derrière elle. A son regret, cependant, une scène dans laquelle elle pleure aux pieds de Salicetti (Philippe Hériat) a été coupée par Gance au montage final du film. Cependant, c'est Hériat (acteur et romancier récompensé par un prix Goncourt) qui lui obtiendra le rôle de Jeanne d'Arc.
Elle ne correspondait pas aux exigences imposées dans la compétition nationale de casting pour Jeanne d'Arc : « Je n'ai pas une constitution de paysanne solide, ni les cheveux noirs – j'étais blonde comme les blés – et je ne savais pas monter un cheval. » 
Mais Hériat sut convaincre Gastyne que cette jeune fille qui avait travaillé dans l'entreprise pendant des années avait le bon âge pour le rôle.

Hélas, il a fallu près de deux ans pour faire le film, un des plus ambitieux pour l'époque. Et même s'il a bénéficié d'une première à l'Opéra [2] – comme le Napoléon de Gance deux ans plus tôt –, au moment de sa sortie, tout le monde ne jurait plus que par le cinéma parlant. Comme tant de grands films de l'époque de la fin du muet, il a été aussitôt submergé par la vague du parlant. [3]
Le film a été perdu pendant de nombreuses années et quand il a été restauré il n'a été montré qu'une seule fois en Angleterre au National Film Theatre (dans une session organisée par John Gillett). Ceux qui l'ont vu ont été étonnés par l'ampleur de la production, en particulier les scènes de bataille, où Simone Genevois conduit 8 000 figurants de l'armée française contre les remparts de Carcassonne (choisis avec Aigues-Mortes pour représenter les fortifications d'Orléans).
« Au début », a raconté Genevois, « j'avais 15 ans et ils ont prévu pour moi un costume très léger, mais je me suis retrouvée avec une armure réelle. Lors de la bataille d'Orléans je devais porter un ensemble de 22 kg ! Dès qu'une scène était achevée, je m'écroulais, je dormais à même le sol ; et je ne pouvais pas prendre du poids. »
Les scènes d'intérieur ont été filmées dans l'abbaye médiévale du Mont St-Michel. L'exécution, la seule scène qui sera tournée au studio de Joinville, était tout aussi réaliste, peut-être trop. "Au moment où le bois a pris feu, j'ai crié « Il brûle !» Marco était si sûr que je ne risquais rien qu'il ne fit rien du tout. Tout d'un coup le caméraman, Gaston Brun, s'écria « Elle brûle ! » et tout le monde a couru vers moi, parce que j'étais attachée et que je ne pouvais pas bouger. J'ai eu très peur ».

Simone a fait quelques films parlants – y compris deux pour Marco de Gastyne – mais ils ont été des échecs et elle a abandonné le cinéma après Quand les feuilles tombent en 1935. Elle avait travaillé 18 ans dans l'industrie du cinéma. Elle n'avait encore que 23 ans.

***

    Notes :

    [1] En 1913, âgée d un an, elle apparaît dans Le Collier de Kali de Victorin Jasset.

     

    [2] Mariée en 1931 à Jacques Pathé dont elle divorcera en 1935, Simone Genevois épousera en secondes noces André Conti en 1936. Elle avait fait sa connaissance en 1929, lors de la première du film La Merveilleuse vie de Jeanne d'Arc, à l'Opéra. Ironie de l'histoire, Conti avait contribué au financement du film concurrent, le Jeanne d'Arc de Dreyer.

     

    [3] La Merveilleuse vie de Jeanne d'Arc a été rééditée dans les années 1930 sur 17,5mm, un format qui est rapidement devenu obsolète. Les propriétaires de projecteurs de cinéma à domicile (type Pathé Baby en 9,5 mm) pouvaient voir quelques-unes des scènes spectaculaires dans un condensé de deux bobines appelé Ste Jeanne-la-Pucelle. Il fallut attendre 1982, lorsque Simone Genevois et son mari André Conti financèrent personnellement la restauration de la version 35 mm – réalisée par Renée Lichtig, doyenne des restaurateurs de films – pour que les spectateurs puissent voir le film dans son intégralité.


Société d'Histoire du Vésinet, 2016 - www.histoire-vesinet.org