Bulletin de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique générale de la France (Paris) n°54, avril-juin 1971 [1]

Sites et Monuments : Le Vésinet, Yvelines

Le Vésinet, petite cité verte et fleurie de la banlieue ouest de Paris, présente des particularités exceptionnelles qui méritent que nous les fassions connaître. [2]

Bien que sa création remonte à 1861, elle constitue un modèle d'urbanisme et d'environnement digne des conceptions actuelles en cette matière, dont les pouvoirs publics viennent récemment de prendre conscience. Peu connue des Français, sa réputation s'étend au monde entier qui délègue pour la prendre en exemple de nombreux urbanistes admiratifs, qui viennent de très loin, voire même du Japon et de l'Amérique du Sud.
Son créateur, Alphonse Pallu, rêvait d'établir, dans le voisinage immédiat de la capitale, à une époque où la « résidence secondaire » ne pouvait s'atteindre qu'en voitures à chevaux, un séjour de repos et de loisirs. Les transports rapides étant survenus, elle est devenue un lieu de résidence permanent agréable, dans un cadre de verdure et d'air pur.

Alphonse Pallu choisit et acheta dans ce but, sur le territoire des communes de Chatou, Croissy et Le Pecq : la forêt du Vésinet.
Afin de donner à sa création le maximum d'attraits, il fit appel pour en tracer le plan à un paysagiste de grand renom : le comte de Choulot. Ce choix fut très heureux, car il fit de cet ensemble projeté une œuvre érigée depuis en « commune du Vésinet », une cité-jardin qui se pare de lacs, de rivières, de coulées, de pelouses, de jardins, et même d'un « tapis vert » visible de la terrasse de Saint-Germain-en-Laye.
Pour parfaire son œuvre, et plus encore pour la perpétuer, Alphonse Pallu établit par-devant notaire un document intitulé « Parc du Vésinet - Cahier des charges » par lequel il imposait aux acheteurs de lots et à leurs successeurs des règles strictes d'urbanisme, dont voici quelques extraits :

    Clôtures. — Pour permettre, de l'extérieur, un regard sur les jardins et les parcs de propriétés particulières, « les acquéreurs, dans la partie de leurs lots bordant les coulées et pelouses, ne pourront se clore autrement que par des haies ou sauts de loup, des grilles et treillages en fer ou en bois posés sur le sol ou sur des murs d'appui. »

    Établissement de zones. — « Les acquéreurs ne pourront, dans aucun des lots, établir l'exploitation d 'usines, de manufactures, carrières, plâtrières, fours à chaux et à plâtre, briqueteries et sablières. » Ceci à l'exclusion toutefois des pépiniéristes et des jardiniers fleuristes.

    « Les commerces, métiers et industries utiles aux constructions ou aux besoins domestiques, pourront seuls s 'établir, mais encore sur des lots qui seront spécialement indiqués à cet effet par MM. Pallu et Cie. »

     

Ceci ouvrait la distinction entre les zones commerciales bien délimitées et les zones résidentielles. Et c'est ainsi que Le Vésinet prit l'aspect d'une ville d'eaux très soignée.
En 1934, pour sauver Le Vésinet menacé par la spéculation immobilière (déjà à l'époque !) la municipalité obtint l'inscription à l'inventaire des sites pittoresques, des rivières, coulées, lacs et pelouses, et fit approuver en 1937 par décret déclaratif d'utilité publique un plan d'aménagement, d'embellissement et d'extension de la commune, qui devait protéger l'œuvre de Pallu.
Malheureusement, dès les années 56-57, Le Vésinet fut envahi par des immeubles à forte densité saccageant le parc ; profitant de nouvelles règles officielles parues vers 1960, les Vésigondins soucieux de la protection et de la conservation de leur site, suscitèrent la création d'une Association pour la Sauvegarde du Vésinet, bien décidée à faire respecter l'héritage et les conceptions d'A. Pallu et à faire obstacle à toute atteinte à l'oasis de verdure et d'air pur que constituait Le Vésinet.

Le Lac Supérieur (L. Pierson)

Un nouveau plan d'urbanisme de détail du Vésinet fut établi, qui accroissait la protection du site, et qui fut approuvé le 8 juillet 1970 par un arrêté du préfet des Yvelines. En outre, le 10 juillet 1970, la municipalité obtenait du Ministre des Affaires Culturelles un arrêté d'inscription de l'ensemble du secteur résidentiel d'habitations individuelles de la commune à l'inventaire des sites pittoresques.

Ainsi, la population du Vésinet, grâce à la municipalité agissante qu'elle a choisie, et grâce à l action de ses associations locales, a pu mener à bien une double possibilité de protection du site qu'elle entend conserver. Elle n'est pas la seule à en profiter, car ses visiteurs du week-end sont nombreux à apprécier la vaste étendue de ses pelouses, le cadre agréable d'eau et de verdure qui leur est offert, et l'air vif et salubre qu'on y respire, régénéré par les arbres très nombreux.

Petites rivières vers la route de Croissy (L. Pierson)

Qu'il nous soit permis pour terminer de manifester la gratitude des Vésigondins aux personnalités de l'extérieur qui les ont aidés de leur influence ; en particulier M. le duc de Luynes, président de la Demeure Historique, et M. Mougin, conservateur des monuments historiques.
Mais des menaces continuent à peser sur sa destinée, avec le développement de la région parisienne, et il est nécessaire que tous les amis de la nature lui apportent leur appui. On rappelle que chaque jour des menaces se précisent contre les espaces verts de la région parisienne. Jamais on a tant abattu d'arbres que depuis qu'on parle d'environnement...

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    Notes et sources:

    [1] Société déclarée d'utilité publique, présidée alors par Jean-Paul Palewski, député des Yvelines.

    [2] Le texte sur le Vésinet, anonyme, est illustré par les photographies ( dont une des vues apparaît en couverture) du Vésigondin Léon Pierson décédé peu après, le 5 novembre 1971.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2018- www.histoire-vesinet.org