Texte extrait de St-Germain
par le Chemin de fer, Promenade philosophique, historique et littéraire - Auguste Vallet, Bohaire Editeur, Paris, 1838.
Le voyage inaugural comme si vous y étiez !
A la gare du Pecq au pied de Saint-Germain,
munissez-vous d'un bulletin, jetez les yeux sur le chemin de fer, et attendez
patiemment le moment du départ: ce ne sera pas long.
Bon Dieu! que nous sommes loin de cette époque où Henri IV, sequestré
par le mauvais temps dans je ne sais plus quelle demeure royale (à Saint-Germain
peut-être où nous allons), écrivait à Sully qui, comme vous savez, logeait
à l'Arsenal :
"Excuse-moi, mon cher Rosny, si je ne te vay pas voir moy-mesme ;
mais ma femme se sert de mon coche aujourd'hui !
Ainsi un seul coche pour le roi et la
reine de France ! et obligation d'alterner entre eux les jours de s'en
servir !
Quelle distance de là aux omnibus, ces villes roulantes, dont la population
se renouvelle sans cesse et où tous les rangs sont confondus ! Mais quelle
distance surtout de l'omnibus à la locomotive lancée sur le chemin
de fer ! Quelle distance du coursier délicat, dont la santé est si frêle,
au rude cheval qui se nourrit de houille, au cheval, tout de bois et de
fer, cheval plus merveilleux et surtout plus agile que celui de Troie
! Entendez-le ronger son frein en mugissant; voyez l'haleine de ses poumons
ardents qui s'élève dans les airs.
Essai de restitution du voyage inaugural du chemin de fer en 1837 - Michel Lamarche, 1951.
Collection Société d'Histoire du Vésinet.
Le 26 août 1837,
le chemin de fer de Paris à Saint-Germain, concédé par une loi du 9 juillet
1837, fut ouvert sur une seule voie. Ce jour-là même, la reine accompagnée
de Leurs Altesses Royales, daigna en faire l'inauguration. L'exemple donné
par Sa Majesté et par sa famille a prévenu les craintes que pouvait faire
naître un mode de transport si nouveau parmi nous. Il a inspiré à la population
une juste confiance.
La fanfare a retenti; la machine s'ébranle; le train tout entier, avec
sa série de wagons, précédés de la locomotive, semble ne former qu'un
seul corps, un animal gigantesque, aux proportions effrayantes. Chaque
wagon est comme un anneau du prodigieux reptile. La locomotive, voilà
sa tête, à la mâchoire de fonte, au crâne de fer, surmontée d'un panache
de vapeur qui s'exhale de ses naseaux brûlants.
Sentez d'abord ce mouvement modéré qui se concentre cette allure hardie,
mais captive, puis cette force terrible, fougueuse qui s'élance tout en
subissant le frein de la volonté humaine qui la maîtrise. Le monstre esclave
frémit de rage et rugit sourdement sous la main qui le bâillonne. Mais
l'étreinte qui l'oppresse est devenue moins tyrannique; chaque pas accroît
sa vitesse. Le mouvement qui l'anime part de sa tête en feu, et circule
d'anneaux en anneaux jusqu'à ses extrémités. L'agitation gagne ses vastes
flancs qui engloutissent une population entière. Des pulsations accélérées
se manifestent par des battements plus actifs. D'ardentes expirations
accusent une périodicité plus fréquente. Le souffle du monstre, qui jaillit
encore en jets tumultueux, commence pourtant à s'échapper plus à l'aise.
Hourra! hourra! le voilà qui a rompu son dernier lien, le voilà qui s'abandonne
à toute sa vitesse. L'espace lui est livré; il l'envahit, il le dévore:
plus de heurts! plus de cahots ! L'équilibre est parfait; tous les mouvements
de détail sont confondus et absorbés par la grande force motrice. C'est
à peine si un léger frémissement, semblable au courant galvanique, circule
dans ses replis et se communique au voyageur. On n'entend que le craquement
du terrain qui fuit sous le monstre vainqueur, et le râle brûlant et saccadé
qui s'échappe de sa gueule haletante.
Hourra ! hourra! quelle émotion saisissante! Comme l'homme est électrisé!
comme tout son être s'identifie au fantastique coursier qui l'emporte!
Comme des deux côtés le rivage file et disparaît à ses yeux éblouis! Les
brins d'herbe qui bordent la grande route passent moins vite aux regards
du cavalier qui galope que les arbres du paysage aux yeux du voyageur
qu'entraîne le wagon. Passez, vallons! Passez, collines! Plaines, chaumières,
buissons, prairies, terre, fuyez, fuyez!
Hourra! hourra! Rien n'arrête, rien ne ralentit sa marche impétueuse.
Ici une rivière se présente. Un pont léger, jeté tout exprès pour lui,
est franchi en un bond, les deux rives se rejoignent... Là c'est
une montagne... pour lui, elle a été percée de part en part... il s'engouffre
avec fracas dans l'ombre du souterrain, noircit de son souffle les parois
cintrées qui l'enveloppent, glisse à travers les entrailles de la terre
et presque aussitôt reparaît de l'autre côté, à ciel ouvert, pour poursuivre
sa course infatigable.
Rampe encore, gigantesque serpent, rampe sur le sol que tu sillonnes avec
la rapidité de la foudre! Mais hâte-toi! Bientôt, comme un coursier qui
flaire le terme du voyage, il te faudra modérer ton ardeur au seuil de
ta destination.... Allons! allons! nous n'en sommes qu'à quelques secondes...
nous en approchons de plus en plus... tu ralentis ta course... nous touchons
au terme du voyage.., tu t'arrêtes au débarcadère de la rue Saint-Lazare,
120, localisé à proximité de tous les riches quartiers de la capitale,
et où s'élèvera incessamment une somptueuse galerie qui aboutira aux salles
d'attente. Nous avons fait cinq lieues en vingt-cinq minutes !
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