D'après l'étude de F. Bourtayre, Le Vésinet 1856-1880, mémoire de Maîtrise, Paris X - Nanterre, 1987

Vente des terrains, les premières adjudications (1858-1864)

Les ventes de terrains essentiellement par adjudications, au nombre de 56 s'étalent sur 6 années du 10 octobre 1858 au 11 septembre 1864. L'année 1860 qui vit se réaliser d'importants travaux d'aménagement, notamment l'appovisionnement en eau du parc, ne compta pas d'adjudication. Les ventes reprirent en été 1861, après l'aménagement du centre, le futur Village, et l'ouverture de la nouvelle gare.
Les adjudications sont effectuées par MM. Pallu & Cie sur les lieux mêmes, et sauf pendant les mois d'hiver, elles ont lieu un dimanche sur deux. Des ventes à l'amiable ont, elles lieu toute l'année et se concluent soit au siège de la société au Vésinet soit au siège social, à Paris, ou encore en l'étude de maître Moisson notaire à St-Germain-en-Laye qui préside aussi aux adjudications. Maître Moisson est un des plus importants notaires de la région, et les archives de son étude, consultées pour les années 1858-1865, laissent apparaître que les ventes du Vésinet représentèrent le tiers des affaires qu'il eut à traiter.

Lots, surfaces et prix

Les grands travaux exécutés par la société Pallu & Cie pour rendre le parc propice à la vente se sont déroulés entre 1857 et le milieu de l'année 1858. Le 10 octobre 1858, la société Pallu & Cie est en mettre aux enchères une vingtaine de lots sur les quelque 2 000 parcelles réparties en une vingtaine d'îlots de tailles très inégales. Cette première adjudication concerne des lots situés au voisinage du Rond Point du Pecq. 21 lots dont la contenance va de 1334 m² à 2159 m². Le tracé sinueux des voies, la forme irrégulière des îlots font que la taille et la forme des parcelles sont très irrégulières et ne répondent à aucune logique. Sur les 56 adjudications et les diverses ventes à l'amiable étudiées ici, les lots vont de 300 m² à 5000 m², et cela d'une façon tout à fait désordonnée. Chaque adjudication concerne des lots dont l'emplacement et la contenance varient sans logique apparente. Les lots du "Village" où le commerce est autorisé sont en général plus petits (entre 200 et 500 m²) que les lots du reste du Vésinet (de 1000 à 5000 m²); les plus nombreux faisant entre 1000 et 3000 m² (1).
Les lots sont adjugés ou vendus de gré à gré sans aucun aménagement. A partir de 1861, ils sont reliés au réseau d'eau qui alimente tout le Vésinet et une partie des communes avoisinantes grâce aux 50 km de canalisations qui parcourent déjà le parc. Les lots construits mis en vente par la Compagnie du Vésinet (autre nom de la Société Pallu) sont plutôt rares et ces affaires se concluent au cours de ventes à l'amiable.
Dans la presse parisienne et locale, des articles paraissent, annonçant les adjudications ou rappelant que les ventes à l'amiable sont possibles toute l'année. Elles indiquent sommairement la contenance des lots et signalent les activités commerciales autorisées sur les lots situés dans le Village, au Rond-Point ou plus tard, en 1863, dans le Hameau du Petit-Montesson. Les cahiers des charges des adjudications sont plus précis quant à ces activités autorisées; ainsi pour le lot 23 de l'îlot 10 proposé au cours de la 19ème adjudication, le 26 septembre 1861, d'une contenance de 2351 m², il est dit que "il sera facultatif à l'acquéreur de cet îlot d'y établir et d'y exploiter ou d'y faire exploiter un commerce, mais seulement pour un café ou un restaurant élégant avec ou sans appartement meublé, mais avec exclusion formelle de bal...(2) et pour le lot 74, il est précisé: "... avec exclusion formelle de bal, comptoir, débit de vin ou liqueur pouvant donner à l'établissement le caractère d'une guinguette, d'un cabaret ou café chantant....(2)". Certaines ventes sont assorties d'astreintes particulières, sans qu'apparaisse leur justification: ainsi l'acquéreur du lot 34 îlot 9 de la 20ème adjudication sera "expressément tenu de bâtir d'ici la fin de juillet prochain sur ce lot
[l'adjudication a lieu en octobre] une maison d'habitation d'une valeur de 10 000 frs au moins [~24 000 €], d'en commencer les travaux d'ici au 1er avril prochain, et de faire en même temps des clôtures dans les termes du cahier des charges" (3).

Lot 23 de l'îlot 10, 2351 m²,
"...
il sera facultatif à l'acquéreur de cet îlot d'y établir et d'y exploiter ou d'y faire exploiter un commerce, mais seulement pour un café ou un restaurant élégant avec ou sans appartement meublé, mais avec exclusion formelle de bal..." . En 1866, ce lot deviendra l'Agence Voytot-Chardin (en face de la gare du Centre)
Archives Moisson: Cahier des charges de la 19ème adjudication, le 26 septembre 1861

Ces annonces, avec une mise à prix unique, sont formulées ainsi: "21 lots de terrains boisés situés dans plusieurs endroits du Vésinet et pour une mise à prix unique de 1,50 frs le mètre carré (21ème adjudication du 27 novembre 1861) ou "21 lots de terrains boisés pour une mise à prix de 0,50 frs le mètre carré" (46ème adjudication du 03 avril 1864). On remarque la chute de la mise à prix. Pour certaines adjudications on put voir les enchères s'ouvrir jusqu'à 2 frs et même 4 frs /m². Mais en six ans, la mise à prix du mètre carré passera de 2 frs aux premiers jours à 50 centimes au début de 1864 (voir figure 1). Les fluctuations étant souvent liées à la mise sur le marché de lots plus petits, ouverts aux activités commerciales, ou à de nouveaux sites (lac de Croissy, Grand-Lac). La petite remontée pour les dernières adjudications de 0,75 frs à 1,50 frs, à la fin de l'été 1864 ne dément pas le constat : L'opération immobilière ne fut pas une aussi bonne affaire qu'il y paraît.
Autres chiffres révélateurs: Si la totalité des lots proposés en 1858 sur 4 adjudications se sont vendus, seulement 57% des lots proposés en 1859 trouvent acquéreur, la mise à prix restant sensiblement la même de 2 à 1,50 frs. 92% des lots proposés en 1861 se vendent avec une mise à prix de 1,50 frs, mais il n'y a cette année-là que quatre adjudications. En 1862 avec une mise à prix égale, on propose 216 lots dont 69 seulement (31%) trouvent acquéreur! Une adjudication, la même, où aucun des lots proposés (1,50 frs) n'est vendu laisse penser que les mises à prix sont trop élevées. L'année suivante, les 230 lots, mis à prix à 0,50 frs le m² sont tous adjugés. De 1858 à 1864, 697 lots seront adjugés sur les 2000 prévus.
Les ventes à l'amiable représentent pour la même période 1858-1864 près du tiers des affaires conclues (environ un millier) par la société Pallu & Cie et sont donc loin d'être négligeables. Elles se négocient évidemment à des prix au m² largement supérieurs aux mises à prix des ventes par adjudication, mais même supérieurs à bien des adjudications. En fait, les prix de ventes à l'amiable restèrent stables tandis que les prix des ventes aux enchères ne cessèrent de baisser. Par exemple, au cours d'une vente à l'amiable, le couple Birmann paye 5,50 frs le mètre carré pour un lot de 579 m² dans le "Village". Les prix aux enchères oscillent entre 2 et 10 frs, mais la majorité des ventes à l'amiable se négocient entre 4 et 8 francs. A la même époque, dans les banlieues de Paris, Lyon et Marseille les prix passent en quelques mois
[1860] de 1 frs le mètre à cinq ou dix fois ce prix (4).


Evolution des prix de vente et des mises à prix des terrains du Vésinet (1858-1864)

La courbe du rapport lots proposés/lots vendus permet d'observer une tendance générale. Mais pour mieux se convaincre que ces fluctuations sont à mettre en rapport avec la tendance des mises prix, il faut observer les courbes obtenues à partir de chaque adjudication. On peut remarquer qu'au cours des deux ou trois premières adjudications de chaque année, exception faite de l'année 1862 et cela quelle que soit la mise à prix, tout les lots sont vendus. Ensuite la courbe des ventes s'éloigne de plus en plus de celle des lots proposés, sauf pour l'année 1863, où la baisse substantielle des prix à 0,50 frs dynamise les ventes. Mais il faut aussi remarquer que ce changement coincide avec la mise sur le marché des lots plus petits et destinés à un usage professionnel du Petit Montesson. Nouveau produit, nouvelle clientele.
La baisse brutale de mise à prix découle des résultats déplorables de 1862 que la fin de 1861 annonçait. Les ventes baissent, s'effondrent même d'une façon constante au cours des 12 adjudications de novembre 1861 à octobre 1862. La reprise ne viendra qu'avec une baisse sensible des mises à prix en 1863. Ceci explique pourquoi les travaux d'aménagement du parc cessèrent après 1865 et que le sixième lac et son réseau de petites rivières qui devaient le relier au lac Supérieur et au Grand Lac ne furent jamais creusés. Plutôt que de brader ses terrains, la Compagnie préféra attendre des jours meilleurs. Les prix bas semblent avoir attiré les spéculateurs.


Evolution du rapport acheteur / nombre de lots acquis entre 1858 et 1864

Si dans les premières ventes, les acheteurs se contentaient d'une parcelle, voire deux contiguës, la fin de 1862 puis 1863 et 1864 voient des acheteurs emporter trois, quatre lots, parfois beaucoup plus. A sa mort en 1864, Ernest André en détenait six. Le cadastre de 1876 révèle que 76% des propriétaires détiennent une parcelle, 14% en détiennent deux, 7% en possèdent 3 à 5, 1% en ont 6 à 10 tandis que 0,3 % en possèdent de 11 à 15. Un seul propriétaire (M. Mayeur), en détient plus de 15.

Facilités et avantages consentis aux acheteurs

La société Pallu & Cie ne se borne pas seulement à vendre. Elle propose aussi des facilités de paiement, et des crédits qui sont alloués, surtout pour permettre la construction des maisons, les facilités de payement l'emportant largement sur les crédits. La Compagnie favorise en fait l'occupation de la parcelle qui la valorise. "Pour accélérer le progrès des constructions dans le parc du Vésinet, MM. Pallu & Cie ont résolu d'accorder des facilités de crédit et de délais à ceux de leurs clients qui construiraient sur certains lots qui seraient désignés lors de chaque adjudication ..."(5) Elle facilite la construction de maisons qu'elle finance par le crédit à certains clients. Dans certains cas, plus rares, elle peut agir en tant qu'entrepreneur de construction comme nous le montre cette annonce de L'Industriel de St-Germain du 22 juin 1861: "La Compagnie [Pallu & Cie] vient de prendre des mesures qui lui permettent de construire sur devis arrêtés à l'avance et forfaits des propriétés payables terrains et constructions compris...(5)".
Que ce soit pour les adjudications ou pour les ventes à l'amiable, les facilités de paiement sont les mêmes: des paiement échelonnés sur 5, 10 ou 18 ans avec 5% d'intérêts annuels
[ce qui est cher en ce temps où l'inflation est insignifiante]. Le plus souvent, les ventes se font sur 5 ans avec paiement du premier cinquième au cours de la vente, les autres devant être payés en même temps que les intérêts chaque année chez le notaire à date fixe et "en espèces d'or ou d'argent ayant cours..." Lorsque la somme est importante, les annuités peuvent se transformer en loyer mensuel comme pour M. Joseph Lemercier qui achète en novembre 1863 un terrain pour 26 600 frs [~64 000 €] qu'il paye sur 5 ans par mensualités de 400 frs. Les facilités de paiement par cinquièmes (annuels) ou dixièmes (bisannuels) sur cinq ans semblent être adoptées par tous les acquéreurs. L'étude des ventes cas par cas sur les 7 ans d'ajudication n'a révélé que de rares cas de paiement comptant. Les crédits portent sur dix ans et produisent 6% d'intérêts. Les crédits accordés par MM. Pallu & Cie sont peu nombreux et sont concurrencés par ceux du Crédit foncier. Cela dit, la pratique du crédit est encore peu répandue.
On ne dispose pas des éléments permettant d'établir que l'opération immobilière du Vésinet fut profitable aux actionnaires de la Compagnie. Celle-ci n'avait pas écoulé la moitié des lots en 1865. Il faudra attendre le lendemain de la première guerre pour qu'une nouvelle opération de grande envergure, le "lotissement des Charmettes" permette d'écouler les derniers lots, parfois au prix d'un morcellement très dommageable.

    Notes:

    1 - Archives Moisson. archives départementales de Seine & Oise - cote 3E St-Germain

    2 - Ibid - Cahier des charges de la 19ème adjudication

    3 - Ibid - Cahier des charges de la 20ème adjudication

    4 - Histoire de la France urbaine, tome 4, p. 121 (Voir page 9 pour détails)

    5 - Bibliothèque Nationale à Versailles - Cote JO 27.23 (L'Industriel de St-Germain, 22/06/1861)

    8 - Archives Moisson. Cahier des charges de la 23ème adjudication

    9 - Ibid - Minutes pour les années 1858-1865

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2008 - www.histoire-vesinet.org