D'après Léon de Villette, rédacteur en chef de L'Industriel de St Germain, 10 et 17 août 1861 [1]

L'ancien Vésinet

En août 1861, alors que plus d'une centaine de maisons étaient déjà construites et qu'approchait une nouvelle série d'adjudications (la 19e aura lieu le 29 septembre), l'Industriel de St-Germain-en-Laye, principal journal local, publiait sous la plume de son rédacteur en chef Léon de Villette, quelques extraits d'une notice de 1852 [2] sur l'histoire de St-Germain et sa région : l'article en deux parties parues à une semaine d'intervalle, était intitulé L'Ancien Vésinet. La toute jeune « colonie » éprouvait-elle déjà un besoin d'Histoire ?

    [...]

    On y trouvera entre autres ce document curieux que, vers 1664, il y eut déjà dans cette forêt une colonie de cultivateurs, et qu'une chapelle fut construite au centre, où l'office divin fut célébré par un chapelain spécial, remplissant les fonctions de curé, jusqu'à l'époque où, en 1726, le cardinal de Noailles déclara que les habitants du Vésinet appartiendraient à l'avenir à la paroisse du Pecq. [3]

    Ce bois parait remonter à la plus haute antiquité, et si l'on en croit la Chronique, déjà du temps de Charlemagne, c'est-à-dire vers l'an 700 ou 800 de notre ère, il en a été mention. A cette époque reculée, une partie de bois contiguë s'appelait : forêt de Cornillon, et plus tard de la Trahison ainsi qu'on l'a vu dans les titres énoncés ci-devant. Sans doute ce qui lui a valu ce dernier nom est une légende qui peut être diversement appréciée sur le degré de véracité qu'on peut lui accorder.

    Vis-à-vis le château de Saint-Germain, sur la lisière du bois du Vésinet, existait en 1632, sous le ministère du cardinal de Richelieu, une petite maison couverte de chaume, un jardin clos de grandes aubépines s'étendait devant la maison, et, au-delà, il y avait une prairie qui descendait jusqu'au bord de la Seine. Non loin delà, dans le bois du Vésinet, il y avait un lieu appelé : le Chêne de Roland. Alors, il ne restait plus que la souche de cet arbre qui avait porté le nom du neveu de Charlemagne. Elle formait, presque à fleur de terre, comme une table circulaire, dans les fissures de laquelle croissaient des mousses et des joubarbes ; à l'entour s'étendait une petite clairière toute semée de thym et d'argentine. Une vieille tradition s'attachait à ce lieu, près duquel on montrait encore, dans un fourré, une grosse pierre appelée : Table de la Trahison. Là, disaient quelques historiens, fut méditée la trahison de Ganelon de Hauteville et de ses complices contre Roland, le grand paladin, et contre les douze pairs de France ; c'est là qu'on prépara la défaite de Roncevaux ; ce fut sur la table de pierre que les conjurés signèrent leur pacte et prêtèrent leurs serments. C'est encore en ce lieu, disait la tradition, que Charlemagne fit mourir les traîtres sur un bûcher.

    Le Chêne de Roland était encore, sous Richelieu, le but de tous ceux qui venaient faire leur promenade dans la forêt ; le layon de Chatou y aboutissait directement. Les mêmes traditions ajoutent, qu'en mémoire et pour châtiment du crime, Dieu voulut qu'une branche d'arbre, coupée d'un côté de la route, et jetée dans l'eau, y surnageât, et qu'une branche coupée de l'autre côté de la route, et pareillement jetée dans l'eau, coulât à fond comme une pierre. André Duchêne et d'autres auteurs racontent très sérieusement cette particularité, mais aucun d'eux ne dit s'il l'a vérifiée.

    Voici encore, sur l'histoire de ce bois, ce qu'on trouve dans la Notice de Saint-Germain, déjà citée : « Henri IV paraît être le premier de nos rois qui se soit occupé du bois du Vésinet, mais s'il y a donné quelque attention, c'est qu'il avait l'avantage de se trouver en face de Saint-Germain et sous les fenêtres du château neuf. Ce fut probablement ce prince qui y fit ouvrir les principales routes qui, toutes, aboutissent à une très belle place circulaire au midi de la Seine.

    Au décès de Henri IV, le bois du Vésinet ne contenait que 284 arpens 24 perches. En 1612 [4], les seigneurs de Chatou et de la Borde cédèrent à Louis XIII 335 arpents 92 perches de forêts attenants. En 1634, le seigneur de Croissy fit pareillement cession de 363 arpens 43 perches. Louis XIV réunit, pendant son séjour à Saint-Germain, différents cantons voisins ; il acquit de l'importance et de l'étendue, et selon un arrêt du Conseil d'Etat du 5 avril 1751 qui en ordonna la fixation, la délimitation et le bornage, il fut reconnu de la contenance de 1294 arpents 63 perches ¾. Il fut transformé en garenne et entouré en partie de murs qui enfermèrent beaucoup de terrains vagues généralement d'une médiocre valeur [5]. Il y fut construit une faisanderie, et il devint un domaine.

    Par arrêt du Conseil, en date du 26 janvier 1664, le bois du Vésinet fut visité par le grand-maître des eaux et forêts, et sur son rapport, quoiqu'il fût affermé 6.000 livres, et qu'on n'eut pas le droit de troubler le locataire dans la jouissance de la chasse louée, il fut décidé que les lapins qui le peuplaient, et qui s'étaient multipliés à l'infini, seraient détruits, que les arbres seraient recepés et replantés. Cet arrêt ne fut jamais exécuté : les bois et le domaine du Vésinet furent affermés au maréchal de Noailles pour la même somme. Le gibier y fut conservé par son ordre, au préjudice des végétaux du sol et des terrains environnants. Le maréchal de Noailles, non content de ne tenir aucun compte de l'arrêt du Conseil qui ordonnait la destruction des lapins, agit en propriétaire du Vésinet. Sans doute, valablement autorisé, il fit défricher 300 arpents de la Garenne, bâtit des habitations pour les cultivateurs, et la population de cette colonie s'éleva bientôt à quatre-vingts personnes. Du consentement des curés de Chatou et du Pecq, il fit construire au centre de ses défrichements une chapelle avec un logement pour le chapelain, afin que l'on put célébrer, sur les lieux mêmes, la messe et les autres offices, et consacrer les espèces sacrées et les saintes huiles.

    Cette fondation semblait nécessaire, parce que Chatou, distant d'une lieue, était bien éloigné pour que les habitants du Vésinet allassent y remplir régulièrement leurs devoirs religieux, et que le pont du Pecq, paroisse la plus voisine, pouvait à tout moment être emporté par les eaux. L'archevêque de Paris commit un chapelain pour remplir les fonctions curiales, à condition qu'on ferait transcrire les baptêmes et les sépultures sur les registres de la paroisse de laquelle la nouvelle chapelle serait déclarée une dépendance. En 1726, le 8 août, le cardinal de Noailles, nonobstant quelques baptêmes administrés à Chatou, déclara que les habitants du Vésinet appartiendraient à l'avenir à la paroisse du Pecq.

     

    Plan de la Garenne de Vézinet bornée par arrest du 6 février 1753...

    Levée de l'ordre de M. de Vendières, directeur et ordonnateur général des bâtiments, jardins, Arts & Manufactures de sa Majesté.

    Par Matis, géographe arpenteur ordinaire des Bâtiments du Roy. 1754.

     

    Henri IV et ses successeurs prenaient le plaisir de la chasse dans le bois du Vésinet. Louis XIV même, lorsqu'il eût fixé sa cour à Versailles, venait se récréer dans les environs de Chatou, où il avait pris naissance. Voici ce qu'on lit dans les Mémoires de Dangeau, du 24 avril 1698 : Le roi alla à la volerie (chasse au vol) dans la plaine du Vésinet. Le roi d Angleterre et le prince de Galles y étaient, mais la reine d'Angleterre n'y vint point ; elle était assez incommodée depuis quelques jours ; Madame et Madame la Duchesse y étaient à cheval. On prit un milan noir, et le roi fit expédier une ordonnance de 600 livres pour le chef du vol. Il en donne autant tous les ans au premier milan noir qu'on prend devant lui ; autrefois il donnait le cheval sur lequel il était monté et sa robe de chambre.

    On raconte encore que le 6 janvier 1689 après midi, Louis XIV partit de Marly avec Monseigneur et Monsieur et alla sur le chemin de Chatou, où il attendit le roi d'Angleterre qui arriva un quart d'heure après. Dès qu'on vit approcher les carrosses qui l'amenaient, le roi et sa suite mirent pied à terre. Louis fit arrêter la première voiture où était le prince de Galles, qu'il embrassa tendrement. Alors la reine descendit de voiture et vint faire au monarque un compliment plein de reconnaissance pour les bontés qu'il lui prodiguait ainsi qu'à son époux [7]. Louis XIV lui répondit : «Je vous rends aujourd'hui, Madame, un triste service, mais j'espère vous en rendre bientôt de plus grands et de plus heureux. Le cortège se mit ensuite en route pour Saint-Germain.

    Le domaine fut donné au comte d'Artois, depuis Charles X, et devint propriété nationale par son émigration. »

    Lorsque Louis XIV enleva aux communes riveraines de la forêt de Saint-Germain le droit de pâturage qu'elles y possédaient, il acheta, pour les dédommager, des prairies qui furent partagées, mais on ne dit pas qu'il en fut de même pour le droit de pacage dans Le Vésinet.

    La délimitation de 1751 donne le résultat suivant :

     

     

    La Chasse

     

    Nous avons cru devoir écrire un chapitre spécial sur ce sujet et faire connaître le régime des chasses d'autrefois, et ce qu'un amateur de chasse peut trouver de gibier aujourd'hui sur le territoire de cette commune et celles environnantes. La forêt du Vésinet, qui dépend du Domaine de la Couronne, est peuplée de lièvres, lapins, faisans et perdrix grises, la chasse en a été affermée, depuis 1848, à divers particuliers.

    Au temps d'Henri IV, la forêt du Vésinet s'étendait sur la plaine entre Chatou et Croissy jusqu'à la rivière. On voit encore sur l'avenue de Croissy une petite maisonnette qui servait de rendez-vous de chasse à ce prince [5]. Elle a appartenu depuis au marquis d'Aligre qui l'avait fait restaurer. La Faisanderie dont nous avons parlé, et dont le nom indique suffisamment la destination, servait aussi de repos de chasse à nos anciens rois. A cette époque, les lois qui régissaient la chasse étaient d'une excessive sévérité pour ne rien dire de plus. On peut en juger par les extraits suivants : L'ordonnance de 1601, quoique signée par le bon Henri IV et modifiée plus tard par celle de 1669, contenait des dispositions dont on ne peut comprendre aujourd'hui la rigueur.

      Art. XII. Ceux qui auront chassé aux cerfs, biches ou paons, seront punis de 83 écus un tiers d'amende, et aux sangliers et chevreuils de 41 écus deux tiers, s'ils ont de quoi payer ; sinon, et en défaut de ce, seront battus de verges sous la custode jusqu'à effusion de sang.

      Art. XIV. S'ils y retournent pour la tierce fois, seront envoyés aux galères ou battus de verges et bannis perpétuellement de notre royaume et leurs biens confisqués, et s'ils étaient incorrigibles, obstinés et récidivants, seront punis du dernier supplice, s'il est ainsi trouvé raisonnable par les juges qui feront le procès, à la conscience desquels nous avons permis d'en ordonner suivant l'exigence du cas.

      Art. XVII. Ceux qui auront chassé aux menues bêtes et gibier seront condamnés, pour la première fois, en six écus deux tiers d'amende s'ils ont de quoi payer, sinon et en défaut demeureront un mois en prison au pain et à l'eau ; la seconde au double de ladite amende, et en défaut de payer, seront battus de verges sous la custode et mis au carcan trois heures à jours et heures de marché ; à la tierce fois, outre les amendes, battus de verges autour des garennes, bois, buissons et autres lieux où ils auraient délinqué et bannis à quinze lieues à l'entour.

    Louis XIV par l'art. 2 du titre XXX de l'ordonnance de 1669 a supprimé l'application de la peine de mort. La loi du 30 avril 1790 a fait disparaître toutes les peines afflictives et infamantes prononcées par l'ordonnance de 1669. La loi du 3 mai 1844, qui nous régit, prononce des amendes, la confiscation des armes et engins, et même la peine de l'emprisonnement. On ne doit pas oublier que sous l'ancien régime il y avait une grande quantité de gibier et surtout dans l'étendue des domaines de nos rois, qui étaient gardés avec le plus grand soin par les capitaines des chasses, conséquemment les délits étaient l'objet d'une répression très sévère. Il y avaient alors dans nos environs des espèces de gibier qu'on n'y trouve plus et qui ont fui dans des endroits plus éloignés, des sangliers, les biches, les chevreuils sont encore renfermés dans les parcs et les forêts entourées de murs, mais on n'en voit plus dans les bois ouverts.

     

    Milan noir (Milvus migrans). Lithographie de J.G. Keulemans (1842-1912).

     

    On a dit que du temps de Louis XIV il y avait des milans noirs. Le milan proprement dit, ou le milan royal, est un oiseau de proie, sa longueur est de deux pieds trois pouces y comprit la queue, qui a presque un pied de long ; ses ailes étendues présentent une envergure de cinq pieds. Il a le bec d'un pouce et demi de long, droit depuis sa base jusqu'au milieu, très crochu à sa pointe, qui est noire, d'un brun clair sur le reste, et armée d'un croc un peu recourbé. Cet oiseau poltron n'a reçu le surnom de royal que parce que les princes se faisaient un plaisir de le faire poursuivre et combattre par des oiseaux plus courageux, tels que le faucon et l'épervier.

    On voyait encore il y a soixante ans des courlis dans les bruyères à l'entrée du Vésinet. C'est un oiseau de la grosseur d'un chapon, qui se reconnaît facilement à son plumage qui est un mélange de gris et de blanc, comme celui de l'alouette, et à son bec un peu recourbé. Sa grosseur est celle d'un petit coq domestique, et il pèse une livre un quart. Il a deux pieds de longueur et trois pieds et demi d'envergure, le bec d'au moins cinq pouces de long, grêle, arrondi, sillonné de rainures également courbées dans toute sa longueur, les jambes de trois pouces et demi de haut, le reste et le croupion d'un blanc pur ; la chair de cet oiseau était autrefois assez recherchée; elle a autant de fumet que la perdrix.

     

    Courlis (Numenius phœopus) - Lithographie de J.G. Keulemans (1842-1912).

    Le courlis autrefois très répandu à aujourd'hui presque totalement disparu.

     

    Aujourd'hui on ne trouve plus que des lièvres, lapins, faisans, perdrix, cailles, grives, canards et autres oiseaux aquatiques. Les environs de la forêt du Vésinet, à l'ouverture de la chasse, sont peuplés de quelques lièvres, lapins et perdrix ; on en trouve sur le terroir de Chatou, aux Landes, aux Champagnes et aux Harris, à Montesson, aux Terres-Neuves, à la Borde, au-dessus de Saint-Veulard et dans les remises de La Borde, dont on a détruit une partie ; enfin, un habile chasseur peut encore agréablement passer son temps dans le premier mois de la chasse. Avant la révolution le comte d'Artois, depuis Charles X, venait très-souvent prendre le plaisir de la chasse dans nos environs. Des rabatteurs étendus en ligne, depuis le pont de Bezons jusqu'à la ferme de La Borde, battaient la plaine et les buissons et en rabattaient le gibier jusqu'au bois du Vésinet, où le prince et ses amis en abattaient en quantité considérable. [8]

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    [1] Fondé en 1851, L'Industriel de Saint-Germain-en-Laye était un hebdomadaire régional. Il parut jusqu'en 1896. Il est une des principales sources pour suivre la naissance et le développement de la colonie puis de la commune du Vésinet.

    [2] Il s'agit de la Notice historique sur Chatou et ses environs, par L. Bornot (ancien notaire), 1852. Cette notice fut reprise par de nombreux auteurs et divers extraits figurent déjà dans plusieurs pages de ce site consacrées à l'histoire de la forêt.

    [3] Entre 1664 et 1714, l'étude des Comptes des Bâtiments du Roy ne fait apparaître que des aménagements du bois. Le hameau est celui qui s'est développé autour de la Ferme du Vésinet, en particulier à partir des défrichements commandés par le Maréchal de Noailles (1721) jusqu'aux agrandissements du Comte d'Artois (1780).

    [4] Selon une note de Léon de Villette, cette maisonette pouvait être la maison du garde général du Vésinet. C'est plus probablement celle du Garde-Bois qui faisait face au Garde-Prés, côté Croissy.

    [5] Le 16 février 1606, selon une note de Léon de Villette. Albert Curmer, dans son Histoire de Chatou (1916-1922) cite la date du 7 avril 1607.

    [6] Ces murs furent construits sur les réclamations des habitants des communes riveraines, dont les récoltes étaient dévorées par la quantité de lapins qui peuplaient la forêt. [note de Léon de Villette].

    [7] Jacques II et Marie d'Este, sa femme [note de Léon de Villette] furent durant plusieurs années les hôtes de Louis XIV au château de Saint-Germain.

    [8] Le 5 août 1848, eut lieu l'adjudicalion du droit de chasse dans les forêts domaniales de l'arrondissement de Versailles, faisant précédemment partie du domaine de l'ancienne liste civile et, parmi elles au Vésinet, les pavillons du nord et du sud adjugés à M. Pied (François-Maximilien), moyennant 1,050 frs. La Concorde, 10 août 1848.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2020 • www.histoire-vesinet.org