Extrait de la Notice historique sur Chatou et ses environs, par L. Bornot (ancien notaire), 1852.

La chasse au Vésinet sous l'ancien régime

Nous avons cru devoir écrire un chapitre spécial sur ce sujet et faire connaître le régime des chasses d'autrefois et ce qu'un amateur de chasse peut trouver de gibier aujourd'hui sur le territoire de cette commune et celles environnantes. La forêt du Vésinet, qui dépend du domaine de la couronne, est peuplée de lièvres, lapins, faisans et perdrix grises. La chasse en a été affermée depuis 1848, à divers particuliers.
Au temps d'Henri IV la forêt du Vésinet s'étendait sur la plaine entre Chatou et Croissy, jusqu'à la rivière ; on voit encore sur l'avenue de Croissy une petite maisonnette qui servait de rendez-vous de chasse à ce prince. Elle a appartenu depuis au marquis d'Aligre qui l'avait fait restaurer. La faisanderie dont nous avons parlé et dont le nom indique suffisamment la destination, servait aussi de repos de chasse à nos anciens rois.

A cette époque les lois qui régissaient la chasse étaient d'une excessive sévérité pour ne rien dire de plus. On peut en juger par les extraits qui vont suivre. L'ordonnance de 1601 quoique signée par le « bon roi Henri IV » et modifiée plus tard par celle de 1669 contenait des dispositions dont on ne peut comprendre aujourd'hui la rigueur.

Art. XII. — Ceux qui auront chassé aux cerfs, biches ou faons seront punis de 83 écus un tiers d'amende ; et aux sangliers et chevreuils de 41 deux tiers, s'ils ont de quoi payer ; sinon et en défaut de ce, seront battus de verges sous la custode [1] jusqu'à effusion de sang.

Art. XIV. — S'ils y retournent pour la tierce fois seront envoyés aux galères ou battus de verges et bannis perpétuellement de notre royaume et leurs biens confisqués, et s'ils étaient incorrigibles, obstinés et récidivants, seront punis du dernier supplice, s'il est ainsi trouvé raisonnable par les juges qui feront le procès, à la conscience desquels nous avons permis d'en ordonner suivant l'exigence du cas.

Art. XVII. Ceux qui auront chassé aux menues bêtes et gibier seront condamnés pour la première fois en six écus deux tiers d'amende s'ils ont de quoi payer, sinon et en défaut demeureront un mois en prison au pain et à l'eau ; la seconde au double de ladite amende et en défaut de payer, seront battus de verges sous la custode et mis au carcan trois heures à jour et heures de marché ; à la tierce fois, outre les amendes, battus de verges autour des garennes, bois, buissons et autres lieux où ils auraient délinqués et bannis à 15 lieues [2] à l'entour.

Louis XIV, par l'art. 2 du titre 30 de l'ordonnance de 1669, a supprimé l'application de la peine de mort. Puis, la loi du 30 avril 1790 a fait disparaître toutes les peines afflictives et infamantes prononcées par l'ordonnance de 1669. Enfin, la loi du 3 mai 1844 qui nous régit [en 1852] prononce des amendes, la confiscation des armes et engins, et même la peine de l'emprisonnement. On ne doit pas oublier que sous l'ancien régime il y avait une grande quantité de gibier et surtout dans l'étendue des domaines de nos rois qui étaient gardés avec le plus grand soin par les capitaines des chasses. Conséquemment les délits étaient l'objet d'une répression très sévère.

Il y avait alors dans nos environs, des espèces de gibier qu'on n'y trouve plus et qui ont fui dans des endroits plus éloignés. Les sangliers, les biches, les chevreuils sont encore renfermés dans les parcs et les forêts entourées de murs, mais on n'en voit plus dans les bois ouverts. On a dit que du temps de Louis XIV il y avait des milans noirs. Le milan proprement dit ou le milan royal est un oiseau de proie ; sa longueur est de 2 pieds 3 pouces [~ 69 cm] y compris la queue, qui a presque un pied de long [~ 30 cm] ; ses ailes étendues présentent une envergure de 5 pieds [~ 1,5 m]. Il a le bec d'un pouce et demi de long, droit depuis sa base jusqu'au milieu, très crochu à sa pointe, qui est noire, d'un brun clair sur le reste et armé d'un croc un peu recourbé. Cet oiseau poltron n'a reçu le surnom de royal que parce que les princes se faisaient un plaisir de le faire poursuivre et combattre par des oiseaux plus courageux, tels que le faucon et l'épervier.

 On voyait encore il y a 60 ans des courlis [3] dans les bruyères à l'entrée du Vésinet. C'est un oiseau de la grosseur d'un chapon, qui se reconnaît facilement à son plumage qui est un mélange de gris et de blanc, comme celui de l'alouette, et à son bec un peu recourbé. Sa grosseur est celle d'un petit coq domestique et il pèse une livre un quart. Il a deux pieds de longueur et trois pieds et demie d'envergure, le bec d'au moins cinq pouces de long, grêle, arrondi, sillonné de rainures également courbées dans toute sa longueur, les jambes de trois pouces et demi de haut, le reste et le croupion d'un blanc pur ; la chair de cet oiseau était autrefois assez recherché ; elle a autant de fumet que la perdrix.
Aujourd'hui on ne trouve plus que des lièvres, lapins, faisans, perdrix, cailles, grives, canards et autres oiseaux aquatiques.

Courlis (Numenius tenuirostris)

Les environs de la forêt du Vésinet, à l'ouverture de la chasse, sont peuplés de quelques lièvres, lapins et perdrix ; on en trouve sur le terroir de Chatou, aux Landes, aux Champagnes et aux Larris, à Montesson, aux Terres-Neuves, à la Borde, au-dessus de Saint-Veulard et dans les remises de la Borde dont on a détruit une partie. Enfin un habile chasseur peut encore agréablement passer son temps dans le premier mois de la chasse.
Avant la révolution le comte d'Artois, futur Charles X, venait très souvent prendre le plaisir de la chasse dans nos environs [4].
Des rabatteurs étendus en ligne, depuis le pont de Bezons jusqu'à la ferme de la Borde, battaient la plaine et les buissons et en rabattaient le gibier jusqu'au bois du Vésinet où le prince et ses amis en abattaient en quantité considérable.
Pendant l'hiver on peut chasser aux canards sur la Seine en longeant la rivière, notamment depuis le pont de Chatou jusqu'au pertuis de la Morue près de Bezons [5]. Les canards arrivent dans nos contrées à la fin de l'automne, aux premières gelées, et peuplent pendant l'hiver nos étangs et nos rivières. Il en reste des individus de quelques espèces que l'on peut chasser pendant toute l'année.
Dans les commencements de la gelée on peut se promener pendant toute la journée, mais surtout le matin et le soir dans la grande île de Chatou en ayant soin, lorsqu'on aperçoit les canards, de s'éloigner assez du bord de la rivière pour ensuite revenir sur eux à la faveur des berges, et les tirer d'assez près. On les trouve principalement au milieu de l'eau et le long des berges ; lorsqu'ils volent il faut se coucher à terre, car ces oiseaux font en l'air plusieurs circonvolutions pour voir s'il n'y a pas de danger, avant de s'abattre dans l'eau. On marche alors à pas de loups jusqu'au bord de la Seine pour les tirer.
Voici quelques règles à observer pour cette chasse.

    1° Comme les oiseaux aquatiques sont fournis de plumes nombreuses et élastiques, qui les garantissent mieux que ne le sont ordinairement les oiseaux de plaine, on ne doit pas les tirer à une aussi grande distance : ainsi la grande portée étant en plaine de quarante-cinq pas, elle doit être réduite dans la rivière à trente-cinq, et il faut de plus employer du plomb plus fort que celui dont on fait usage en plaine pour les oiseaux de même grosseur. La charge de poudre doit être aussi de 70 à 80 grains.

    2° Lorsqu'on tire un oiseau sur l'eau, il faut ajuster de manière à ce que le dessous du corps de l'oiseau soit au niveau du point de mire ; ainsi, pour un canard sauvage, on ajuste à environ deux ligues au-dessous de la partie du corps qui surnage. Pour les oiseaux dont le corps entre plus profondément, on se règle d'après leur conformation, en partant du principe ci-dessus ; quant aux oiseaux plongeurs, on doit tirer sur l'eau à 3 ou 4 pouces en avant du corps. Il arrive le plus souvent qu'on les manque, surtout si l'on tire en tête, parce que l'oiseau plonge sur le coup ; mais comme il doit bientôt reparaître à peu de distance pour prendre haleine, on se tient prêt, on saisit l'instant où sa tête se montre au-dessus de l'eau; et si l'on est bon tireur, on l'atteint plus sûrement de ce second coup que du premier.

    3° Si l'on chasse plusieurs ensemble, il ne faut pas perdre de vue que le plomb qui touche à fleur d'eau ricoche, ce qui devient dangereux si l'on tire précipitamment et sans calculer l'effet que peut produire le ricochet.

    4° Pour plus de chance de tuer les canards, il faut des chasseurs qui soient placés sur les deux bords opposés de la rivière, l'un sert d'indicateur et lorsqu'il est vis-à-vis du canard, il s'arrête et fait signe à son camarade d'approcher, ce qui permet à celui-ci de se mettre en face et de tirer plus sûrement.

    5° Il vaut mieux faire lever les canards et les tirer au vol, on est plus sur de les tuer raide, parce que le plomb les atteint lorsque les ailes sont déployées, tandis que sur l'eau, les plumes amortissent le coup et ils ne sont que blessés, plongent et on a beaucoup de peine à les achever.

    6° Il faut un chien bon nageur pour avoir un canard tué sur l'eau ; quand il n'est que blessé il faut bien se garder d'envoyer son chien, car alors le canard plonge, et ne reparaît qu'au bord opposé où il est difficile de l'atteindre ; alors on se cache, le canard revient toujours au bord où'il y a des arbustes et roseaux, et c'est le moment de l'achever.

    7° Les canards sont extrêmement défiants et ce n'est qu'avec les plus grandes précautions qu'on peut les approcher ; s'ils aperçoivent la moindre chose, ils s'envolent et vous manquez l'occasion de les tirer. Quand les rivières sont gelées entièrement, ils disparaissent jusqu'au dégel.

On peut encore s'amuser à tirer les alouettes en hiver, lorsqu'il y a un peu de neige sur la terre. Alors elles volent par grandes bandes, vont se remettre assez près lorsqu'on les fait partir, et, si on les poursuit, elles se laissent plus aisément approcher qu'en tout autre temps. On peut en tuer plusieurs d'un seul coup.

Aux termes de la dernière loi du 3 mai 1844, la chasse est défendue pendant la neige ; cependant il n'est pas inutile de rapporter l'arrêté du préfet de Seine-et-Oise, relatif à la chasse des oiseaux aquatiques ; on y trouvera des renseignements utiles pour éviter les contraventions.

ARRÊTÉ

du Préfet de Seine-et-Oise, 1844

 

Article 1er. — La chasse des oiseaux de passage, sur terre, ne sera permise, dans l'étendue du département de Seine-et-Oise, que pendant le temps où la chasse est ouverte ; elle ne pourra avoir lieu que pendant le jour et au moyen du fusil.

Art. 2. — Les oiseaux de passage aquatiques pourront seuls être chassés en tout temps sur les étangs, fleuves et rivières, mais au fusil et en batelet seulement ; tout fait de chasse sur les berges est expressément interdit.

Art. 3. — Il est permis en tout temps, au propriétaire, possesseur ou fermier, de tirer avec des armes à feu ou de prendre au piège sur ses terres ou récoltes seulement, les sangliers, loups, renards, fouines, blaireaux, chats sauvages, belettes et putois.

Art. 4. — Dans les conditions de l'article précédent, la destruction des moineaux, pies, geais, corbeaux, faucons et autres oiseaux de proie est autorisée à l'aide des pièges, même pendant le temps où la chasse est close.

Art. 5. — La destruction des lapins est également autorisée pendant le temps où la chasse est prohibée, et même en temps de neige, mais seulement à l'aide de furets et de bourses [6].

Art. 6. — Il est formellement interdit de faire usage de panneaux et filets de toute espèce, d' appeaux, appelants et chanterelles, de lacets, collets et autres engins analogues. Le miroir qu'on est dans l'habitude d'employer pour tirer les alouettes n'est pas considéré comme engin prohibé.

Art. 7. — La chasse est expressément interdite lorsque la terre est couverte de neige. Néanmoins, cette disposition n'est pas applicable à la chasse du gibier d'eau dans les marais, sur les étangs, canaux, fleuves et rivières, ni à la destruction des animaux malfaisants ou nuisibles.

Art. 8. — Nul ne pourra se livrer à la chasse des oiseaux de passage et du gibier d'eau sans être muni d'un permis de chasse tenu conformément aux prescriptions de la loi. Le propriétaire, possesseur ou fermier n'aura pas besoin de ce permis pour repousser et détruire sur ses terres, même avec des armes à feu, les bêtes fauves qui porteraient dommage à ses propriétés.

Art. 9. — Tout individu qui, sous prétexte de détruire des animaux nuisibles ou malfaisants, se livrerait à l'exercice de la chasse en temps prohibé ou sans être muni d'un permis de chasse, sera poursuivi conformément à la loi.

***

    Notes :

    [1] Recevoir le fouet ou les verges sous la custode c'est-à-dire derrière un rideau, en pratique de manière discrète dans les locaux de la prison, peine jugée moins infamante qu'infligée en public.

    [2] la lieue a souvent varié durant l'ancien régime. Pour ne considérer que la lieue de Paris, l'ancienne lieue (avant 1674) soit 10 000 pieds mesurait 3 248 m ; la nouvelle lieue de Paris (1674-1793) soit 2000 toises mesurait 3 898 m. Mais la lieue des Postes (1737-1793) de 2200 toises mesurait 4 288 m tandis que la lieue tarifaire de 2400 toises valait 4 678 m. Le bannissement équivalait à un éloignement d'environ 50 km.

    [3] Une Pointe des Courlis figurerait déjà sur d'anciennes cartes du Bois du Vésinet (1779) mais l'avenue des Courlis de nos jours, suit plutôt le tracé de l'ancienne route de la Mare-aux-Biches.

    [4] « Le comte d'Artois avait, en commun avec la reine, un vautrait (grand équipage de chasse entretenu pour le sanglier ou les bêtes noires) qui, en 1778, chassait tous les jeudis, soit à Saint-Germain, soit dans les bois du Vésinet, dont le Roi lui avait abandonné la chasse ». Histoire de la chasse en France depuis les temps les plus reculés jusqu'à la Révolution, par le baron Dunoyer de Noirmont. Tome 1, chez la Vve Bouchard-Huzard (Paris) 1867-1868.

    [5] En 1685, pour alimenter la machine hydraulique de Marly, le bras de navigation de la Seine est resserré par le pertuis de la Morue, ouvrage de cailloutis et de pieux de bois qui rend le passage périlleux pour les bateaux et nécessite de nombreux chevaux de renfort pour le halage. Le barrage construit en 1839 fera disparaître cet obstacle, terreur des mariniers.

    [6] Bourses : filets en lin se refermant autour du lapin.


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