Faits-divers au Vésinet (SHV, 2013)

La tragique bagarre du Rond-point, au Vésinet

Une rixe violente entre des camelots du roi (militants royalistes) et des ouvriers (militants communistes) se déroula le dimanche matin du 3 février 1935, au Vésinet aux alentours de la Place de la République, et un des protagonistes y fut mortellement blessé. Voici, d'après les recoupements de divers témoignages, comment se déroula cette tragique rencontre. [1]
Des camelots du roi (Paul Caron, Jacques Denis, Henri de Ville-d'Avray) qui distribuaient à la criée leur journal l'Action française, après la sortie de la messe à l'église Sainte Pauline, furent pris à parti par des militants communistes (des « crieurs » de l'Humanité et leurs gardes du corps).

    A 11 heures, trois camelots du roi arrivent sur le rond-point du marché. Le dénommé Perrot s'approche du Camelot Caron, lui arrache son paquet d'Action française et le jette dans une bouche d'égout. Les trois camelots remontent en voiture et disparaissent vers le Pont du Pecq.

Ils allèrent aussitôt en rendre compte à leur chef, un dénommé M. Marcel Langlois, 15, rue Bergette à Saint Germain.
Avec le secours de MM. Paul Bothé, ingénieur, rue de Pontoise à Saint-Germain, et Philippe Grammont, employé d'assurances, demeurant à Chatou, 6, rue Pasteur, une petite expédition s'organisa et les camelots retournèrent au Vésinet où les militants communistes distribuaient encore leur journal, L'Humanité « l'organe officiel des Soviets en France  », sur la place du marché du Rond-Point.
Les Camelots avaient prévu d'en découdre car ils s'étaient munis de divers ustensiles (clé anglaise, coup de poing américain, ...)
De fait, la bataille fut sérieuse. La matraque dite " bâton normand" de M. Langlois lui ayant échappé des mains, un communiste, Joseph Roëlants, 27 ans, demeurant rue de la Fontaine, au Pecq, s'en empara et frappa violemment, à plusieurs reprises, le chef des Camelots. On se trouvait alors devant le Garage Albigès, toujours au Vésinet, au niveau du 131, Bd Carnot.
Marcel Langlois (photo), un ingénieur chimiste, dut être ramené en auto à son domicile à Saint-Germain. Le soir même, il succombait à une hémorragie méningée, consécutive à une fracture du crâne.
M. Combeau, juge d'instruction du parquet de Versailles, se rendit dans la matinée du lendemain à la gendarmerie de Saint-Germain et procéda aux interrogatoires des communistes et des royalistes en cause. Pendant ce temps, une centaine de militants communistes manifestaient devant la mairie du Pecq, réclamant la libération immédiate de leurs camarades retenus par la police. L'enquête établit que les coups fatals avaient bien été portés par un certain Joseph Roëlants, chômeur, agitateur communiste notoire avec l'arme prise à Marcel Langlois et retournée contre celui-ci. En conséquence, M. Combeau notifia à Roëlants, titulaire par ailleurs de trois condamnations pour vol et braconnage, qu'il l'arrêtait sous l'inculpation d'homicide volontaire.

Dans un contexte politique très agité, cette affaire prit une importance immédiate et de nombreuses plumes y consacrèrent des articles passionnés. Ainsi Paul Vaillant-Couturier dans l'Humanité : [2]

    Au Pecq, dimanche matin, des incidents ayant éclaté entre ouvriers et vendeurs de l'Action Française, ceux-ci sont allés chercher à Saint-Germain des renforts. II s'agit de ces troupes que le Temps, dans un article de publicité royaliste, appelait justement avant-hier «  la brigade de fer  ». Commissaires et camelots armés, habiles, selon le Temps, dans l' « art de donner des coups et d'en recevoir », en ont reçus. S'étant jetés sur les ouvriers, ils ont été désarmés par les ouvriers qui les ont frappés avec leurs PROPRES MATRAQUES.

    Les camelots se sont enfuis, laissant leurs armes sur le terrain. L'un d'entre eux, leur chef, le commissaire d'A.F. Langlois, a succombé dans la nuit, le médecin qui le soignait n'ayant pas su faire à temps son diagnostic, en présence de blessures qui semblaient légères. Maintenant, les agresseurs crient à l'assassin. Nous ne le leur permettrons pas. Ils sont une organisation spécialisée dans les attaques à main armée. Cela comporte certains risques ...

    [...] Il n'est pas douteux que l'Action Française va tenter de brandir le cadavre de Langlois et sa « bravoure magnifique dans toutes les bagarres », éloge qui est un aveu, pour tâcher d'entraîner ses troupes vers des bagarres nouvelles et préparer un 6 février sanglant. Elle se heurtera à la vigilance, au sang-froid, à la discipline et à la masse des travailleurs alertés dans leurs entreprises et dans leurs comités de chômeurs. Dès ce soir, tous les anti-fascistes de la Région parisienne se tiendront prêts à riposter à toute tentative de manifestation des ennemis de la liberté. Ils se rassembleront dans les salles, locaux de réunion et les permanences.

    Que chacun soit prêt à l'action unie et, une fois de plus, le fascisme ne passera pas !

Le procès aux Assises de Versailles

Roëlants comparut, quelques mois plus tard, (31 mai - 2 juin 1935) devant la cour d'assises de Seine-et-Oise, présidée par M. Loncle de Forville, conseiller à la cour.[3]
Roëlants étant assisté de Me Viennay. M. Balmary, procureur de la République, occupait en personne le siège du ministère public. La famille de la victime, partie civile, était représentée par Me Marie de Roux et Me Calzant.
Les faits retenus étaient ceux exposés plus haut. Arrêté le lendemain de l'altercation, Roëlants reconnaissait les faits, mais prétendait avoir agi pour défendre ses camarades et lui-même contre les coups de bâton que leur portait M. Langlois. Il affirmait n'avoir jamais eu l'intention de donner la mort à son adversaire. Mais le docteur Détis, médecin légiste commis pour examiner les blessures reçues par les uns et les autres, n'avait découvert, sur Roëlants et ses camarades, aucune trace des coups de bâton qu'ils prétendaient avoir reçus.
Cinquante neuf témoignages avaient été recueillis par les enquêteurs, parmi lesquels ceux de commerçants : Mme Palisson, épicière (130 bd Carnot), M. Fortinanti, horticulteur au marché. Ils attestaient de la violence des échanges de coups.
La victime, Marcel Langlois, était âgée de 30 ans. Le docteur Cayrol, directeur des usines de produits chimiques où il  était employé témoigna :

    ... Un chimiste de premier ordre. Il avait dans son laboratoire fait de nombreuses découvertes aussi bien purement scientifiques que d'application pratique. Il avait notamment inventé un procédé de conservation des fruits, particulièrement précieux pour nos agriculteurs. J'ignorais ses opinions. C'était une conscience doublée d'un homme de science, bien équilibré, incapable d'un geste impulsif.

Une trentaine de témoins furent cités. Le procès prit rapidement un air de procès politique, avec le défilé de personnalités, principalement communistes, venues à la rescousse de l'accusé. Ainsi Marcel Cachin qui explique :

    ... Mon parti n'a jamais demandé à ses militants de soutenir de coups de poing la propagande. Notre parti, lui, n'a aucun intérêt à ce système d'agression. La discipline est stricte chez nous. Nous sommes convaincus que les violences n'apportent aucun avantage à ceux qui les exercent. Nous nous en tenons la méthode de persuasion. J'ajoute que, parfois, l'agression se retourne contre les agresseurs. Les Idées révolutionnaires n'ont pas pour corollaire nécessaire le coup de point...

Puis Marcel Cachin va rappeler les misères politiques du 6 février [1934]. Me Calzant l'interrompt : « Les polémiques de presse n'ont rien à voir avec les événements du Vésinet. »
M. Cachin : « Vos amis, monsieur l'avocat (sic) ont attaqué nos militants ... Quand on mène dans un journal comme le vôtre une polémique comme la vôtre, on ne vient pas benoitement devant les jurés sans l'arrière-pensée de les induire en erreur. » Bien entendu, le témoin, rompu la dialectique politique, répond du tac au tac.
Me Calzant : « Si nous avons la douleur de pleurer un mort, nous avons la gloire de compter un héros ».

La seconde et dernière audience commença bien pour Joseph Roëlants. Le premier témoin à la fois minuscule et majuscule fut le petit Charles Denis, âgé de douze ans, qui, tombé dans la Seine, avait été repêché par l'accusé au péril de sa vie ! Puis Max Rucard, député des Vosges, naguère membre de la commission parlementaire du 5 février, vint soutenir que l'opinion de ses collègues est unanime à considérer l'Action française dangereuse pour l'ordre public.

Joseph Roëlants à son procès
Dessin René Aubert
Les traits durement taillés, les pommettes saillantes, une mèche offensive dans l'oeil droit,
les yeux enfoncés et hardis, Roëlants, à son banc, cligne discrètement de la paupière
vers ses amis massés au fond de la salle des assises de Seine-et-Oise.

Un juré, trouvant peut-être le temps long, intervient: « Ne pourrait-on pas nous parler uniquement de l'attentat du Vésinet ? »
Gabriel Péri, député communiste d'Argenteuil, présente comme une première défense de Roëlants. D'autres plaidoyers de moindre inspiration seront encore prononcés par M. Cudenet, président du comité de la Ligue des droits de l'homme de Seine-et-Oise, par M. Victor Basch, professeur honoraire en Sorbonne, président général de cette même ligue, Paul Rivet, professeur au Muséum, conseiller municipal de Paris depuis une quinzaine.
Puis, voici le défilé des témoins de la partie civile, tous ardents à proclamer les vertus évidentes de Marcel Langlois, savant chimiste, inventeur à qui les agriculteurs sont reconnaissants, bienfaiteur des petites gens, pressés de venir exprimer leur gratitude, etc.
Après le déjeuner, Me Calzant puis Me Marie de Roux prononcent avec fougue des plaidoiries qui sont de redoutables réquisitoires. M. Balmary, procureur de la République, n'aperçoit pas de provocation immédiate dans l'attitude des vendeurs du journal royaliste, le 3 février. Mais Roëlants n'avait pas non plus l'intention de tuer. Enfin, qui peut nommer celui des deux adversaires qui frappa le premier ?
Me Vanhaecke s'efforce de soutenir l'état de légitime défense. Sobre à dessein, il laisse à Me Viennay le soin d'élargir le débat sans pourtant le passionner dangereusement. Me Viennay va montrer alors en Roëlants un homme simple, échauffé par ses convictions. Plus simplement humain. il s'applique à éveiller l'indulgence en illustrant d'exemples la vie difficile des travailleurs privés du travail « qui assure avec le pain une bonne règle de vie ». L'orateur aura soin de ne pas marchander aux camelots l'hommage dû à leur ardeur et leur cran.
Après une courte délibération, le Jury rapporte son verdict. La réponse du jury est affirmative sur les deux questions principales, sans qu'il soit parlé de circonstance atténuante. Toutefois, les magistrats populaires ont répondu oui la question de provocation. Dans la salle, aucune réaction apparente, cependant que, contenue par des forces imposantes de gardes mobiles à pied et à cheval, une foule silencieuse encore s'est massée aux deux extrémités de la place des Tribunaux.
Et c'est l'arrêt de la cour : Joseph Roëlants est condamné pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort à six mois de prison [4].
La partie civile obtient le franc de dommages-intérêts qu'elle sollicitait.

Le quartier du Rond-point à l'époque des faits.

Eglise Ste Pauline, devant laquelle les Camelots du roi distribuaient leur journal, l'Action Française. (1) ; Garage Albigès (Carrossier) au 131 boulevard Carnot, devant lequel M. Langlois fut mortellement blessé. (2)

Place de la République où se tenait le marché, où les communistes distribuaient l'Humanité. Au nord de la place, le buste de la République, victime d'un acte de vandalisme. (3)

La statue de la République, victime collatérale

Le buste de la République élevé à l'entrée du Vésinet, entre le rond-point du Pecq et l'allée du Tapis-Vert, fut renversé au cours de la nuit du vendredi au samedi 8 juin 1935, soit une semaine après le verdict du procès Roëlants. On crut devoir en rendre responsables les camelots du roi, car le socle de pierre portait une inscription au minium « A Marcel Langlois », tué non loin de là. Des mesures furent prises par Emile  Aubrun, maire du Vésinet, pour remettre au plus tôt le buste en place. L'enquête ouverte par le commissaire de police fut confiée à la brigade mobile et la gendarmerie de Seine-et-Oise. Elle ne donna rien et l'affaire fut classée. [5]

Monument « à la République » inauguré en 1912.

Auguste Davin (1866-1937) statuaire.

Son inauguration le 22 septembre 1912 avait été l'occasion d'une importante manifestation au cours de laquelle Henri Guist'hau (1863-1931), ministre de l'Instruction publique et des Beaux Arts, avait prononcé un discours mémorable sur les réformes en cours dans son ministère, la défense de l'école laïque, le contrôle de l'enseignement privé, l'organisation de la caisse des écoles et la crise du recrutement des instituteurs. Il avait annoncé de " prochaines" augmentations de traitement et traité la question du recrutement du personnel enseignant, de l'administration de l'enseignement primaire et de l'enseignement secondaire.
Installé en haut d'un socle en marbre sur la place du Marché du Rond-point (devenue de ce fait, officieusement, Place de la République) le buste en bronze dû au sculpteur Auguste Davin, fut réquisitionné en novembre 1941, par décision du Préfet de Seine-et-Oise, pour être refondu.
[6]

En 1952, par l'intermédiaire de la veuve du fondeur Eugène Rudier, on fit don à la ville d'un buste de Marianne en bronze, œuvre de Paul Belmondo, pour remplacer la République disparue. Finalement la Marianne trouva sa place dans la salle des mariages de la Mairie, où elle est encore.

    ****

    Notes et sources

      [1] Le Matin (n°18583), Le Temps (n°26819), 5 février 1935. Parfois situé au Pecq à cause de l'appellation usuelle du Rond-point, ce fait divers s'est déroulé entièrement au Vésinet mais les protagonistes étaient tous venus de communes voisines.

      [2] L'Humanité (n°13199), 5 février 1935.

      [3] Le Matin (n°18698), 31 mai 1935  Le Matin (n°18699), 1er juin 1935  Le Petit Parisien (n°21278), 2 juin 1935  Nouvelles de Versailles,  5 juin 1935.

      [4] L'Ouest-Éclair (n°14174), 28 Aout 1935. Roëlants fut libéré en août  1935. Quelques jours à peine après sa libération, Joseph Roëlants fut de nouveau le héros d'un fait divers. Il se jeta encore dans la Seine, non loin du pont du Pecq, au secours d'une artiste lyrique, Carmen Matthieu, qui tentait peut-être de se suicider. Il ne parvint pas, cette fois à la ramener en vie.

      [5] Le Matin (n° 18707), 9 juin 1935.

      [6] Nous, maréchal de France, chef de l'État français, décrétons : " Il sera procédé à l'enlèvement des statues et monuments en alliages cuivreux sis dans les lieux publics et les locaux administratifs, afin de remettre les métaux constituants dans le circuit de la production industrielle ou agricole. " En application de cet ukase de Pétain, le ministre de l'intérieur Pucheu et le ministre de la production industrielle Lehideux adressèrent une circulaire aux préfets : " Une commission doit siéger dans votre département, sous votre présidence, pour choisir les statues et monuments qui devront être conservés, prescrivait cette circulaire. Comme suite aux instructions formelles qui viennent d'être données par M. l'amiral de la flotte, vice-président du conseil, je vous confirme qu'il y a lieu d'être très sévère dans ce choix. La situation très critique de nos approvisionnements en métaux cuivreux et les perspectives graves qu'elle entraîne pour notre industrie et pour notre agriculture excluent en effet toute considération de sentiment et exigent de véritables mesures de salut public. "

      Mais Vichy devait ensuite ordonner d'épargner les Mariannes à bonnets phrygiens de la place de la République et de la place de la Nation. Cette intersetion fut peut être étendue à la province. car un buste était bel et bien en place lors des cérémonies de la Libération, selon des clichés de l'époque. On peut donc supposer soit que la décision du préfet n'ait pas été exécutée, soit que pour la Libération, un buste (en plâtre ?) ait remplacé temporairement la statue d'origine.


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