D'après Emile Bourdelin, Le Monde illustré - 3 février 1861 (T8, A5, N°203).

Les persiennes de tôle
Une invention de M. Hippolyte Chameroy

On a inventé les charpentes de fonte et de fer qui, tout en présentant les mêmes qualités que le bois, sous le rapport de la solidité et de la durée, offrent de plus que ce dernier, d'énormes avantages comme légèreté et surtout incombustibilité. L'art du charpentier n'a donc plus rien à faire dans le bâtiment.
Cette substitution du fer au bois nous amène tout naturellement à étudier une industrie nouvelle qui va retirer aux menuisiers une partie de leurs attributions : nous voulons parler des persiennes de tôle inventées par M. Hippolyte Chameroy, et construites par lui dans son usine de La Villette. [1]

Suivant le climat, on garantit de différentes façons les fenêtres des habitations. Dans les pays du nord, les volets de bois plein bouchent hermétiquement les issues et offrent une plus grande résistance aux intempéries. Dans le midi, la douceur de la température dispense de précautions, et les fenêtres ferment au moyen de jalousies légères, ainsi qu'en Espagne et en Italie, avec des nattes de palmier, en orient, ou par de simples stores tissés de paille de riz comme en Chine. Nos climats tempérés ont exigé des moyens de clôture qui puissent résister aux mauvais temps et présenter dans la belle saison des facilités d'aération. Nous avons inventé les persiennes. Les anciennes persiennes sont toutes faites en bois et consistent dans un châssis assemblé aux angles et grillé de lames assez espacées pour laisser circuler l'air.
Ces lames se recouvrent suffisamment l'une l'autre pour empêcher la pluie de pénétrer à l'intérieur. Voici les inconvénients de ces persiennes : d'abord le prix du bois et surtout de la façon, qui est considérable, pour cette raison qu'il faut à chaque lame ses deux tenons et ses deux mortaises dans les montants; en second lieu l'inconvénient de voir se détériorer bientôt ces volets constamment exposés ou au soleil qui sèche les lames et fait jouer les ajustements, ou à la pluie qui pourrit le bois et oblige à de fréquentes réparations.

Qui ne se rappelle avoir vu l'effet disgracieux que produisent sur la façade d'une maison des persiennes dis-jointes, obligeant au bout d'un temps plus ou moins long, leurs propriétaires à les laisser toujours ouvertes et battantes, quand par suite du gauchissement du bois, elles cessent de pouvoir fermer convenablement ?
Les lecteurs que cette étude toute pratique pourra intéresser, comprendront les avantages de l'invention de M. Hippolyte Chameroy, quand en quelques lignes nous leur aurons expliqué en quoi consiste cette toute récente innovation. [2].
On prend une feuille de tôle mince dans laquelle on ouvre, au moyen d'un mandrin à levier, une suite de rainures. A chaque rainure, la tôle est repoussée par le mandrin dans un moule creux, ce qui produit des renflements d'un dessin parfaitement uniforme. Ces renflements se recouvrent l'un l'autre, et remplacent les lames des anciennes persiennes. La feuille de tôle mise à jour est prise dans les rainures de deux montants et de deux traverses qu'on cheville solidement aux quatre angles. La persienne est ainsi construite, et cela avec la plus grande rapidité.
Quel est, en effet, le travail : le débitage du bois des châssis étant fait à son entrée dans l'usine, il ne reste plus qu'à couper de longueur les montants et les traverses, à pratiquer à leurs extrémités des tenons et des mortaises pour les joindre, et à ouvrir sur le champ intérieur du châssis, une rainure destinée à recevoir la tôle. Ces tenons, ces mortaises et ces rainures se font au moyen de machines ingénieuses, avec une grande uniformité de dimensions. Des scies circulaires et des découpeuses à lame sans fin complètent le matériel des ateliers de M. Chameroy. Ces outils sont mus par une machine à vapeur.

Fabrication des persiennes en tôle, dans les ateliers de M. Hippolyte Chameroy
Dessin de Emile Bourdelin (Eugène Mouard, graveur) Le Monde illustré, 1861.

La lame de tôle pincée dans les rainures de son cadre, ne se prêtant pas comme le bois à tous les caprices de la température, empêche le châssis de jouer et de se gauchir. Deux couches de minium et de peinture appliquées sur la tôle, la garantissent de toute oxydation.
Nous avons vu de nouveaux édifices munis des persiennes Chameroy. L'aspect extérieur en est à la fois coquet et régulier. Ces fermetures, bien qu'extrêmement légères, offrent toutes les garanties de solidité désirables.
Ces mêmes tôles à jour peuvent avoir d'autres destinations. Aujourd'hui que les villas se multiplient aux environs de Paris, et que chaque campagne devient presque une ville, tant les habitations y sont voisines les unes des autres, les clôtures des parcs et des jardins peuvent être faites par le nouveau système. Ces nouvelles grilles, tout en laissant à l'air une libre circulation, interceptent néanmoins les regards curieux et permettent à chacun de se croire libre chez soi.
Si nous nous sommes plu à entrer dans autant de détails relativement à cette industrie, c'est qu'au temps de reconstructions où nous vivons, tout ce qui peut être un progrès ou une économie, nous paraît devoir être mis au jour dans l'intérêt de tout le monde. Le succès a couronné déjà les efforts de M. Hippolyte Chameroy, et ce jeune industriel donne à son établissement une plus large extension à mesure que viennent à lui les architectes et les constructeurs. [3]

***

    Notes :

    [1] L'atelier se trouvait au 180, route d'Allemagne, non loin des autres installations familiales, au 147 et au 196.

    [2] Plusieurs brevets pris par Chameroy, père et fils de 1859 à 1864 concernent les persiennes en fer et en tôle, le premier du 23 juillet 1859 semblant le point de départ de cette production. Les innovations portent plus sur les modes de fabrication que sur le principe des persiennes (Catalogue des brevets d'invention d'importation et de perfectionnement, 1859-1864).

    [3] Le 7 mai 1861, MM. Chameroy, fabricants de persiennes étaient déclarés en faillite (Gazette de l'industrie et du commerce, n°298, 12 mai 1861). Le jeune Hippolyte Chameroy partit pour l'étranger (Italie puis Belgique) pour dix années qui ressemblent à un exil.


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