D'après Charles de Bussy, in La Femme de France, 15 janvier 1928. Célébrités féminines : Cécile Chaminade Parmi les cascades et les prés de bruyères roses, en Périgord noir, au pittoresque pays parfumé de lavandes et de romarins, il y avait une fois dans un vaste castel une adorable petite fille blonde, née rue Saint-Georges, à Paris. Une âme pétillante de caprices jolis animait cette enfant, qui pour confidente avait choisi la plus humble de ses poupées.
Au début de 1875, son oncle voyageait avec Georges Bizet, à l'époque où l'illustre compositeur terminait Carmen. Il lui parla de sa nièce. Bizet, incrédule, resta d'abord défiant sur l'intérêt qu'il fallait porter au petit prodige ; mais, dès qu'il connut la gentille Cécile, il fut conquis par sa grâce et son air réfléchi. Il lui fit faire une dictée musicale, la prit sur ses genoux, la questionna, la fit jouer ce qu'elle voudrait au piano, et bavarder, en l'observant... Puis, se tournant vers les parents inquiets de la sentence prophétique : « Elle est très douée, dit le maître. Mais rien ne la pourra forcer à travailler. L'inspiration seule la dirigera toujours ». En effet, d'une nature essentiellement sensitive, Cécile Chaminade sentait son imagination vibrer comme une harpe éolienne au souffle de tous les événements. A la suite d'une représentation des Huguenots, frappée par les danses des Bohémiens, elle avait élaboré à douze ans un ballet, dont elle-même régla les pas, et qu'elle fit danser en costumes à sa sœur et à des amies. L'Année Terrible l'ayant profondément impressionnée, elle écrivit une marche tragique sur la reddition de Metz. Cécile Chaminade photographiée par H.S. Mendelssohn à Londres en 1890 Tous les secrets de l'art où son génie devait s'illustrer, l'adolescente l'apprit pendant huit années, pour l'instrumentation avec le grand pianiste Le Couppey, — pour l'harmonie, la fugue et le contre-point avec le maître Savard. Brillante virtuose et compositrice riche d'une technique irréprochable, ces titres rapidement acquis devaient être les deux assises sur lesquelles allait s'établir l'universelle renommée de Cécile Chaminade. Mais cela n'eût pas encore été grand'chose sans la flamme intérieure, qui de son ardeur nourrit tous les ouvrages, sans l'inspiration que Georges Bizet avait si bien pressentie chez la petite fille promise à la gloire. Dès lors, les pages et les pages de musique s'accumulent, bien vite gravées, et s'envolent sur toute la France, puis au delà des frontières, au delà des océans !... Ce sont d'innombrables pièces pour piano, longues ou brèves, les deux beaux trios, l'exquis Concertino pour flûte, des études symphoniques, le ravissant ballet Callirhoë, — donné pour la première fois en 1888 au théâtre de Marseille, repris à Lyon, à Bordeaux, à Toulouse, Deauville etc., représenté trois cents fois, et dont les orchestres Colonne et Lamoureux interprétèrent souvent des fragments, — d'autres grands airs de danses, les Arabesques, l'Elégie... Et ce sont les inimitables mélodies, je veux dire l'œuvre vocale, son triomphe, cette suite merveilleuse de chants ciselés dans un style si personnel, où toujours elle sut rester fidèle au lyrisme le plus sincère. Lorsque, chez les amis Enoch, j'eus l'honneur de connaître Mlle Cécile Chaminade, — à la veille de devenir Mme Carbonel [1] — sa radieuse élégance et ses grâces naturelles, la vivacité de son esprit s'auréolaient du rayonnement charmant d'une réputation depuis longtemps fameuse. Ne savais-je pas que la distinction du Chefakat de Turquie lui avait été offerte par le Sultan lui-même à Constantinople, après un concert privé de ses œuvres dans le palais du souverain ? Ne savais-je pas aussi que la décoration du Jubilé de la reine Victoria lui avait été attachée sur la poitrine par la reine elle-même, dans une soirée de musique intime, à Windsor ?... Un jour, où elle était venue familièrement dans la grande Maison d'Éditions du boulevard des Italiens, un de mes poèmes lui fut remis. Elle lut les strophes en silence. Pendant ce silence, l'air du lied était déjà presque composé. Elle l'avait chanté sous son front. Mme Carbonel-Chaminade (1910) Le nouveau monde notamment en est enthousiaste. Après avoir maintes fois décliné des offres de tournée, lorsque l'auteur de Callirhoë en fit une (1908-1909) sur l'autre côté de l'Atlantique, elle fut, là-bas, couverte de fleurs. Ce voyage, nous dit-elle, compte dans sa vie comme l'un de ses meilleurs souvenirs, car elle ne croit pas que l'on puisse être fêtée davantage. Là-bas, plus de deux cents sociétés musicales portent le nom « Cécile Chaminade », et, dix-huit ans après son retour d'Amérique, elle conserve encore une grande correspondance avec ces lointains amis qui lui sont restés très fidèles. **** Notes et sources : [1] Mariage célébré au Vésinet le 29 août 1901. [2] Louis M Carbonel, décédé la 18 novembre 1906, est inhumé au cimetière de Croissy, dans le caveau familial des Chaminade.
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