Rassurez-vous, il ne s'agit
pas d'une déclaration de guerre à nos amis catoviens, mais des paroles
historiques de M. Nicolas Marquet maire de Croissy de 1861 à 1875, prononcées
lors de la délibération du 27 juillet 1873 (date de la création d'une
Commission comprenant Jules Colombier et Charles Bonnet). Et tout ceci...
à cause du Vésinet...
Notre propos n'est pas de retracer l'histoire du Vésinet dans son intégralité
mais de souligner les anomalies territoriales qu'a entraînées cette création.
Les bois dits du Vésinet' ont toujours été du domaine du pouvoir. En 1856,
ils sont donc impériaux. Contrairement aux précédents souverains, Napoleon
III ne vient jamais y chasser. Son demi-frère, Auguste de Morny, brillant
affairiste, flaire une intéressante combinaison : proposer à l'Empereur
l'échange des bois de Saint-Cucufa et de Fausses-Reposes (de la Celle-St-Cloud)
contre les bois sans intérêt du Vésinet. Les premiers appartiennent à
un banquier Henri Place, en difficulté et lié à Morny. Celui-ci fait venir
d'Auvergne un ami, Alphonse Pallu alors maire de Pontgibaud. Se constitue
la Société Pallu où on retrouve les deux comparses et le banquier Ernest
André.
QUE SONT CES BOIS DU
VÉSINET ?
436 hectares répartis
sur trois communes : Croissy, Le Pecq et Chatou : la majeure partie
appartenant à cette dernière.
Croissy possède les terrains situés à l'ouest de l'actuelle Route de
Croissy et au sud de la Route de la Cascade englobant l'Asile
de convalescence, actuellement hôpital, alors en construction. Le décret
municipal du 10 octobre 1856 officialise l'échange; le but est de créer
un quartier résidentiel boisé, une ville-parc susceptible de devenir indépendante.
Les travaux sont confiés au comte de Choulot qui va mener à bien ce projet
et dont on peut encore admirer la réalisation.
A cette époque, le chemin de fer traverse de toute sa longueur les bois,
les séparant en deux parties égales. Deux stations desservent ce lieu:
les gares de Chatou-Croissy et du Pecq. Les propriétaires et les locataires
du nouveau quartier bénéficieront de la gratuité jusqu'à la fin 1861.
Dans le prospectus promouvant la vente des lots résidentiels, il est spécifié
"que les besoins religieux et commerciaux trouveront satisfaction
dans les communes avoisinantes : Croissy au sud, Montesson au nord, et
Le Pecq à l'ouest". Chatou n'est pas cité et voit de plus en
plus d'un mauvais œil, le projet qui, non seulement va l'amputer, et aussi
lui soustraire de la clientèle "spirituelle, commerciale et financière".
Chatou voit clairement poindre l'indépendance d'une grande partie de ses
territoires. Les catoviens n'ont pas tort, le projet va bon train. Le
30 juillet 1859, Leurs Majestés Impériales se rendent au parc du Vésinet,
et se promènent à pied autour du lac de la Station (actuellement les Ibis);
et le 2 juillet 1864, l'architecte Boileau, émule de Baltard, termine
l'église du Vésinet de conception révolutionnaire, telle St-Eugène à Paris,
construite quelques années avant.
Dès 1867, la moitié des lots sont acquis. Le 23 août, est instituée "l'union
des propriétaires du Vésinet" prémices d'un pouvoir local. Un an
après, naît "La gazette du Vésinet"
journal indépendantiste. Le maire de Chatou exige le changement de titre
en imposant "Gazette du hameau du Vésinet, organe de la commune de
Chatou" ! Comme dans tous les litiges, le Vésinet gagne: il semble
qu'il y ait eu des interventions en haut lieu !
Pourtant le territoire est toujours divisé entre les trois communes, tout
en s'administrant lui-même. Les Vésigondins paient leurs impôts auxdites
communes, lesquelles freinent leurs prérogatives telles l'éclairage et
la police. L'enquête de 1869 va mettre le feu aux poudres: les 675 hommes
du Vésinet, représentant 2 000 habitants votent à l'unanimité pour l'érection
en commune. La guerre franco-prussienne va interrompre les querelles.
La boucle est isolée, l'armée française a détruit tous les ponts, routiers
et ferrés. En 1872, les «hostilités» locales vont reprendre à l'initiative
de Chatou, décidée à ne rien perdre ni de son territoire ni de son pouvoir.
Elle va proposer une solution dominatrice : annexer les parties situées
sur Croissy et Le Pecq et restituer l'unité à son profit. Le conseil d'arrondissement
fait sienne cette proposition, tout en demandant des compensations aux
communes lésées. Enfin, la municipalité de Croissy va réagir. Elle approuve
la résolution de la Commission refusant l'érection du Vésinet en commune,
acceptant les annexions de Chatou sous compensations territoriales suivantes:
Le territoire de Croissy doit être prolongé au nord jusqu'à la ligne de
chemin de fer et à l'ouest par venue de la Princesse, tout en conservant
les terres situées entre le sud du Vésinet et la Seine jusqu'à la commune
du Pecq. Ce sont les clauses d'une autre délibération le 27 novembre 1873
pourtant défavorable à Croissy qui perd ainsi de nombreux hectares. Cette
revendication peut paraître "insolente". Aussi, les élus croissillons
argumentent : la voie ferrée est la véritable limite entre Chatou et Croissy
quasi continuelle et dangereuse. La grande partie des catoviens de ce
côté de la voie font leurs courses à Croissy, vont à la messe à Croissy
et aimeraient envoyer leurs enfants aux écoles de Croissy Le rapport
explicite notamment le problème de l'avenue des Tilleuls, une des plus
magnifiques du bord de Seine, soulevé pour son entretien, sa numérotation...
En ce qui concerne le bord de Seine, la municipalité tient à conserver
les terrains. Actuellement les plus rentables sur le plan maraîcher, ils
correspondent au quart de la commune. Mais elle y voit aussi un avenir
prometteur par suite du projet (*)
d'un pont devant rejoindre Port-Marly qui apportera une urbanisation dans
ce site magnifique face aux collines de Louveciennes. Enquêtes et contre-enquêtes
conduisent à un changement d'avis des Conseils d'arrondissement et général.
Le Conseil d'Etat, puis l'Assemblée Nationale votèrent pour l'érection
en commune du Vésinet. Le 31 mai 1875, le Maréchal de Mac Mahon, président
de la République, proclamera la naissance de la nouvelle commune, aux
dépens des communes-mères.
L'affaire n'est pas close. Les Vésigondins ne manquent pas de souffle
et ... de soutien politique... Ils réclament officiellement à Croissy,
des dédommagements !
Que leur soient reversés les impôts perçus par Croissy depuis 1868 sur
les propriétaires et locataires du Vésinet, prétextant que cette date
correspond à la création officieuse de leur commune ! Que leur soit versé
un droit sur les rentes et immeubles de la Commune-mère dont elle s'est
séparée, s'appuyant sur une loi de 1837 qui stipule : "une section
de commune érigée en commune distincte peut emporter les biens qui lui
appartiennent privativement".
En fait, c'est le legs du marquis d'Aligre qui les intéresse. Le bienfaiteur
de Croissy est décédé le 11 mai 1847, le legs n'a été réglé qu'en 1851:
or à ces dates le Vésinet est un bois du domaine national et il n'existe
aucun Vésigondin ! Deux assesseurs municipaux vont répondre à ces revendications:
Charles Bonnet et l'illustre dramaturge Emile Augier. De ce mémoire, deux
passages méritent d'être cités: "Le Vésinet a pour origine, un
syndicat qui a spolié les communes-mères, à entendre ses dires, on leur
devrait la découverte de Chatou, du Pecq et de Croissy et ce serait à
ses capitaux que ces trois communes devraient leur postérité». «Nous avons
depuis vingt ans agi en bons pères de famille soucieux de l'avenir et
désireux de bien faire pour être aussi la commune la mieux gérée de l'arrondissement
et nous ne devons rien à personne". L'administration supérieure
déboutera les provocations vésigondines.
L'historien n'a pas à commenter les revendications de l'équipe municipale
de 1873, ni les décisions de l'administration. Il ne peut simplement que
déplorer que la logique ne fasse pas loi.
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(*) Ce projet
ne sera jamais réalisé. Il aurait pu désenclaver la boucle et faciliter
la circulation. Il est resté à l'état de commission créée le 30 mai 1870,
où siégeait M. Marquet, maire de Croissy.
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