Extrait
de la Rubrique Echos du Passé, Revue municipale, n°42, mars 1978
La Gazette du Vésinet (1901-1902)
Pour découvrir
certains aspects de la vie quotidienne au Vésinet, nous avons feuilleté
les cinquante-quatre numéros de La Gazette
du Vésinet, qui parurent en 1901-1902. [1]
Le premier numéro fut publié le dimanche 5 mai 1901, le dernier, le dimanche
11 mai 1902.
Journal indépendant et d'intérêt local, ainsi se qualifiait La
Gazette. Sur quatre pages, paraissant tous
les dimanches, on trouvait des articles d'intérêt local (sur lesquels
nous allons revenir), des suggestions faites pour l'amélioration des
conditions matérielles de vie au Vésinet, l'annonce et le compte rendu
des spectacles (théâtre, concerts, bals) donnés soit dans la salle de
gymnastique située à l'emplacement actuel de la Poste, soit au kiosque
Hériot (concerts) installé sur la pelouse, derrière la gare du centre.
Pour compléter, le lecteur pouvait suivre un feuilleton, lire des chroniques
variées: c'est ainsi que l'on trouve un récit de Vlaminck, dont on sait
qu'il a passé son enfance et une partie de sa jeunesse au Vésinet. Sous
le titre Histoire d'un individu à mine patibulaire, Vlaminck fait le portrait d'un singulier anarchiste, qui devait quelque
peu lui ressembler. Ce texte surprend dans une telle publication, dont
le ton dominant est plutôt moralisateur. Rien d'anormal, en tous cas,
à ce que la collaboration de Vlaminck à cet hebdomadaire n'ait pas eu
de suite. [2]
Pour l'information des Vésigondins, La Gazette donnait
l'état-civil et les publications de bans, consacrait des articles à
la manière de cultiver son jardin, se protéger des moustiques, ou soigner
son chien; on apprend qu'il y en avait huit cents au Vésinet (à cette
époque, il existait une taxe sur les chiens). Toute la dernière page
était occupée par la publicité, ainsi pour la grande ferme des Belles-Vues,
30, rue du Départ (Maréchal-Joffre aujourd'hui), fournissant sur demande
du "lait de la même vache pour malades et enfants".
Autre exemple, le salon de coiffure J. Martin, 2, rue de l'Eglise (Maréchal-Foch
aujourd'hui) qui cite "son service antiseptique". Ou
encore, ce chirurgien-dentiste de Saint-Germain-en-Laye, "visible
tous les jours de 7 heures du matin à 7 heures du soir, le dimanche
jusqu'à midi". En dehors de cette publicité, figurait la liste
des maisons recommandées, c'est-à-dire d'une vingtaine de commerçants
du centre.
Six mois après ses débuts, le titre devint La
Gazette du Vésinet et de Chatou, et ses colonnes
s'ouvrirent à l'actualité catovienne, sans d'ailleurs que le nombre
de pages s'accrût.
La Gazette se proclamait indépendante et, de fait, elle ne ménageait
pas ses critiques à l'égard de la Municipalité, à laquelle elle reprochait
ses lenteurs et son manque d'imagination. Le maire était Charles
DREVET. A lire certains éditoriaux ou certains commentaires,
on ne doute pas que La Gazette fut un journal d'opposition à la municipalité. Cependant elle donnait
le compte rendu sténographique des réunions du Conseil municipal. La
Compagnie des Chemins de fer, la Compagnie des Eaux sont aussi mises
fréquemment sur la sellette.
En 1901, Le Vésinet compte 4.791 habitants. Quelles sont leurs préoccupations
? En premier lieu, les rues et la circulation.
Les graviers, dont sont revêtus les rues et le boulevard Carnot, font
s'élever des nuages de poussière au passage des automobiles qui circulent
de manière plus fréquente. Les riverains du boulevard Carnot obtiennent
que l'administration préfectorale prenne en charge le balayage deux
fois par semaine et l'arrosage. Les commerçants du centre se plaignent,
eux, de la poussière qui s'infiltre dans leurs étalages. Le boulevard
Carnot est plein de trous et de bosses.
Deuxième souci la vitesse des automobiles. Un conseiller municipal,
M. SALLES, suggère, sans succès, que, pour réduire la vitesse, on creuse
tous les chemins et tous les 100 m des caniveaux dont la profondeur
ferait réfléchir les enragés chauffeurs . Il devient impossible, selon
lui, de promener les enfants sur les routes du Vésinet. Un lecteur ajoute
: "Ces autos, dont les téméraires conducteurs ne savent ou ne
veulent contenir l'allure, sont des instruments de mort que le progrès
lance sur le chemin de nos rejetons encore trébuchants."
Autre difficulté en juin 1901, commencent sur le pont du Pecq les travaux
de pose des rails de la ligne de tramways Courbevoie-Le Pecq. La compagnie
entrepose le long du boulevard Carnot le matériel nécessaire, le chantier
semble s'éterniser. Pour faciliter l'écoulement des eaux pluviales,
des caniveaux profonds sont tracés tout le long du boulevard.
De nombreuses protestations s'élèvent car, au croisement de chaque rue
avec le boulevard Carnot, ces caniveaux provoquent des accidents, des
carrioles se renversent, des chevaux sont déséquilibrés. Une pétition
circule. Finalement, rien ne se fait, pour des raisons financières et
l'ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées se contente de considérer
qu' il y a lieu d'attendre que les pluies d'hiver et la mise en exploitation
de la ligne aient provoqué les tassements de la voie.
Seule exception: le carrefour Scribe, Carnot, Princesse, où des travaux
de nivellement ont été faits, mais on nous dit que c'est à la demande
d'une "personne haut placée demeurant non loin", que tout
le monde doit connaître et que, par conséquent, on ne nous cite pas.
Les usagers du chemin de fer souhaitent que la propreté des deux gares
s'améliore et se plaignent tout particulièrement de l'inconfort de la
gare du Pecq (à plusieurs reprises depuis 1887, la Municipalité a demandé
qu'elle s'appelle Le Vésinet-Pecq). les voyageurs attendant sur le quai,
côté Saint-Germain, ne disposent que d'un abri en planches, encombré
la plupart du temps par des marchandises. Quant au "chalet de nécessité",
il faut bien en parler, puisqu'il est délabré et dépourvu d'hygiène,
il doit être reconstruit; mais on soupçonne la compagnie d'attendre
que "M. le Maire du Vésinet soit atteint d'une affection de la
vessie, afin de lui faire poser la première pierre".
Seul dessin humoristique des 54 numéros,
il est paru dan le n°49 du 6 avril 1902.
L'eau, maintenant. La Compagnie des Eaux se voit reprocher le manque
d'entretien des petites rivières, dont les eaux semblent stagner. L'eau
de consommation a mauvais goût, à tel point que selon un lecteur la
question du ‘mouillage” du lait est résolue depuis longtemps au Vésinet
(...) pour la raison que l'eau fournie par la concession est tellement
puante...
Les premiers bouchers installés au Vésinet abattaient eux-mêmes sur
place les bêtes. Les nouveaux arrivants se virent peu à peu interdire
par la Ville l'établissement de leurs propres "tueries".
Qu'en pense-t-on dans La Gazette?
"A force d'entendre
les cris des veaux, des boeufs, des cochons qu'on égorge, à force de
flairer de trop près le sang pourri, le fumier, la boyauderie avancée,
notre pays ne deviendra-t-il pas infecte et les villégiatures environnantes
n'en profiteront-elles pas pour répandre à leur avantage, les bruits
d'atmosphère pestilentielle et cholérique...?". A la suite
de quoi, naquit le projet d'un abattoir intercommunal entre Le Vésinet,
Chatou et Croissy.
L'éclairage public au gaz, enfin, est insuffisant, et c'est, à cette
époque, une question sur laquelle les conseils municipaux, tant de Chatou
que du Vésinet, se penchent avec attention. Le réseau doit être modernisé
car Chatou et Le Vésinet sont morts le soir au crépuscule et ne se réveillent
qu'aux premières lueurs du jours.
Voilà quelques témoignages, partiels et partiaux sans doute, sur les
faits de la vie quotidienne, il y a trois-quarts de siècle, au Vésinet. La Gazette du Vésinet et de Chatou cessa brusquement sa parution et ne nous donna jamais son numéro 55.
Rien dans le dernier numéro ne laisse deviner les intentions des rédacteurs.
Toutefois, deux mois plus tôt, on pouvait lire un article désabusé signé
Th. d'Echauffour. « La Gazette avait été créée pour secouer la
torpeur et l'indifférence des habitants. Mais tous les sujets abordés
n'ont allumé que des feux de paille et le silence est retombé ». A moins
que ce ne fût celui d'une majorité silencieuse, comme nous disons aujourd'hui,
et c'est sur cet espoir que s'achevait l'article.
Notes SHV:
[1] Une première tentative avait eu lieu en 1888, sous le même titre, dans le même format, et la même ligne éditoriale.
[2] Ni anarchiste, ni moralisateur, cet étrange texte s'apparente au surréalisme avec dix ans d'avance.