Le Sénat n°666, 1927, Session extraordinaire. Annexe au procès-verbal de la séance du 13 décembre 1927. 2e Section. — Beaux-Arts.

Aux origines de la « Défense du Site » du Vésinet

On trouve dans les travaux du Sénat (entre autres) la trace des premières étapes de la « Défense du Site du Vésinet », enclenchée par le Syndicat d'Initiative, soutenue par la municipalité, qui se manifesta entre les deux guerres, d'abord vis-à-vis d'événements extérieurs (c'est le cas ici) puis contre les pratiques locales de morcellement, de constructions, d'architecture et d'urbanisme non maîtrisés.
Dans sa séance du 13 décembre 1927, le Sénat entendit de Guillaume Chastenet [1] au nom de la Commission des finances, chargée d'examiner le projet de loi portant fixation du budget général de l'exercice 1928 (Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts) le rapport suivant (extraits) :

    Les beautés naturelles et les lois existantes. — La loi de 1906 sur la protection des sites

    Le Conseil municipal du Vésinet a pris une délibération le 6 février 1927, aux termes de laquelle : « La construction entre le Vésinet et la terrasse de Saint-Germain d'énormes cubes d'au moins dix mètres de hauteur serait de nature à détruire l'esthétique de l'incomparable site jalousement protégé jusqu'à ce jour et à léser les intérêts de la ville du Vésinet classé comme station touristique. »
    D'autres communes ont pris des délibérations semblables que cite le journal le Matin dans son numéro du 9 novembre dernier : Rarement, dit-il, projet recueillit contre lui pareille unanimité. Et il apparaissait au moins prévenu que devant un pareil soulèvement de réprobation générale, aucune suite ne pouvait être raisonnablement donnée à la requête de la Société. Au surplus, puisque l'autorisation de créer un dépôt de cinq millions de litres d'essence avait été refusée, ne comprenait-on pas très bien que celle d'en installer plusieurs de deux millions puisse être accordée. Cette façon de respecter la loi en la tournant, paraissait à tous inadmissible.

    Guillaume Chastenet (1858-1933)

    Pendant ce temps, la deuxième enquête de commodo et incommodo suivait son petit bonhomme de chemin. Et le 20 octobre dernier paraissait à l'Officiel un décret autorisant la Société demanderesse à installer sur ses terrains du Pecq un entrepôt spécial d'huiles minérales, en vue du raffinage des huiles lourdes.
    L'administration supérieure n'a point cru devoir tenir compte des protestations unanimes des élus de Seine-et-Oise, ni des pétitions sans nombre couvertes de milliers de signatures que lui avaient adressées les habitants intéressés. C'est inouï, mais c'est ainsi.
    Pour la satisfaction d'intérêts privés, l'un des plus beaux paysages, sinon le plus beau de l'Ile-de-France, va être tout simplement déshonoré. Nous écrivions au mois de juillet « « Y toucher serait un crime de lèse-patrie. »
    Eh bien ce crime va être commis. De lourdes fumées, vomies par de hautes cheminées, vont venir souiller de leurs flots noirs une perspective célèbre dans le monde entier. En vérité cela dépasse toute imagination. Et comble de l'ironie, il y a en instance devant le Parlement, un projet de loi pour la protection des sites et paysages dont le Gouvernement lui-même a reconnu la nécessité. Quand sera-t-il voté ? Ce projet est voté. Il est devenu la loi du 21 avril 1906. Mais cette loi n'est pas appliquée. Elle l'est si peu dans l'ensemble de nos départements, qu'elle apparaît comme un vague projet qui n'aurait pas pris corps. 

    Au sujet de la défense du site de la terrasse de Saint-Germain, l'administration des Beaux-Arts nous dit : « Le préfet de Seine-et-Oise a fait connaître au Ministre des Beaux-Arts que la Commission des sites ne pouvait être utilement consultée sur cette affaire, la loi du 19 décembre 1917 sur les établissements dangereux ou incommodes ne prévoit pas l'avis de cette assemblée ».
    Peut-on passer plus étourdiment à côté de la question ?
    Sans doute la loi du 9 décembre 1917 ne se préoccupe pas des sites. Aussi n'est-ce pas au point de vue de la loi de 1917, mais bien de la loi du 21 avril 1906 que nous sommes intervenus. Et il dépend du préfet de mettre cette dernière loi en mouvement.
    Nous n'avons pas, ici du moins, à examiner l'enquête de commodo et incommodo prescrite pour les établissements dangereux ou insalubres. La loi du 21 avril 1906 ne se place qu'au point de vue des sites; mais elle est suffisante à armer l'Administration. Que l'Administration compétente et responsable ne vienne donc pas nous dire qu'elle est désarmée. Il y a plus. Nous avons encore fait voter dans la loi de finances du 13 juillet 1911 une disposition modifiant le paragraphe 8 de l'article 4 du décret de 1852, dont le texte ne permet aucun doute : « Le constructeur d'un édifice devra adresser à l'Administration un plan et des coupes cotées des constructions qu'il projette et se soumettre aux prescriptions qui lui seront faites dans l'intérêt de la sûreté publique, de la « salubrité et de la conservation des perspectives monumentales et des sites. »
    C'est précisément pour introduire l'adjonction des termes soulignés au texte de l'article 4 qu'est intervenu le vote du 13 juillet 1911. Quelle arme plus tranchante l'Administration peut-elle demander au Parlement ? S'il lui en fallait une autre, nous serions tout prêts à la forger.
    Notons encore une autre loi du 14 mars 1919 sur les plans d'extension qui, si elle était partout et bien appliquée, suffirait à assurer le développement harmonieux de nos villes françaises.

     

Ce combat pour la préservation du Paysage et de ce qu'on n'appelait pas encore Environnement face aux nécessités de la reconstruction d'après guerre et du développement industriel du pays ne faisait que commencer, animé par quelques associations et quelques villes emblématiques. Il aboutira à la loi du 2 mai 1930 ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque. Le Vésinet, à la pointe du combat, sera l'une des premières villes à bénéficier de ses effets.

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    [1] Guillaume Chastenet de Castaing (1858-1933) Avocat à Bordeaux puis à Paris, député de la Gironde (1897 à 1912) puis sénateur (1912 à 1933).


Société d'Histoire du Vésinet, 2015 - www.histoire-vesinet.org