Echos du passé — Le Vésinet revue municipale n°93, décembre 1990

La Ferme du Vésinet au Pecq

Pour quelle raison parle-t-on d'une « ferme du Vésinet » sur le territoire de la commune du Pecq ?
Tout débute au VIIIe siècle, quand le roi Childebert III donna la terre du Pecq (Alpicum), ainsi que les bois situés sur la rive droite de la Seine - Le Vésinet (Visiniolum), aux moines de l'abbaye de Fontenelle. La forêt leur fournissait du bois de chauffage, de construction et des glands pour les porcs qui constituaient une de leurs principales ressources. En 1479, les moines affermèrent la "seigneurie dudit lieu d'Aupec et ès dépendances d'icelles" – les bois du Vésinet – à un certain Marin Rafferon. Le territoire du Vésinet allait à cette époque jusqu'à la Seine. En 1511, un acte de dénombrement des possessions de Saint Wandrille (nom qu'avait pris l'abbaye au XIIe siècle) parle d'un manoir. Il était localisé au 1-3, avenue de Verdun, au Pecq. Cette dénomination revient dans les descriptions ultérieures.
En 1567, Albert de Gondi se porta acquéreur du Pecq et de "la terre et seigneurie du Vésinet, ses dépendances et appartenances quelconques."
La forêt connut de profonds bouleversements avec l'arrivée de Henri IV qui, pour "embellir et accompagner de plaisir de chasse sa maison audit Saint-Germain", fit rentrer ces terres dans le domaine royal en 1605. Au cours des négociations menées avec Bréhant de la Roche, une évaluation détaillée des terres fut réalisée [1]:

"Quant à la terre de Vésinet, nous auraient lesdits officiers certifiés qu'elle dépend de la justice dudit lieu du Pecq et consiste en une maison et bien seigneurial bâti de neuf en pavillon couvert d'ardoises, où nous étans transportez avec iceux officiers aurions trouvé les bastiments s'étendre en cave dessous iceluy, salle haute et basse avec un peron pour y entrer, un colombier, grange, étable, bergerie, poulailler, les clôtures de ladite maison en ruine et icelle mal couverte, étant besoin d'y faire plusieurs réparations, comme dit sera cy après."
"De Laquelle terre de Vésinet nous ont aussy certiffie lesdits officiers dépendre quelques terres non labourables, estantes ès environ de ladite maison, nous aurions reconnu estre en friche, bruyère, hayes, buissons, pâturages et, joignant icelles terres, une petite garenne peuplée de lapins."
"Plus, de l'autre costé du grand chemin de Paris et le long d'iceluy, depuis ladite rivière jusqu'au bois dudit Chatou, appelé le bois de la Trahison, sont aussy terres non labourables, dépendant de ladite maison, qui sont pareillement en friches, bruyères, hayes, buissons, pâturages, quelques bois taillis de petite contenance, mal venans, de peu de valeur, qui sert de garenne peuplée de lapins, le tout venant de la rivière, descendant en bas aux terres et bois appartenant au sieur Delaborde."

Toutes les terres cultivées du Vésinet s'étiraient le long de la Seine et correspondent, aujourd'hui, aux quartiers est du Pecq. Au 33, rue Pierre-Curie, subsistent les anciens communs du manoir primitif, datant du XVIIe siècle, coiffés de tuiles de Bourgogne et transformés depuis 1924 en habitation. Ainsi que le remarque Georges Poisson dans La Curieuse Histoire du Vésinet, ces bâtiments, bien que situés aujourd'hui sur la commune voisine, peuvent être considérés comme les plus anciens du Vésinet.
La Régence, en raison d'embarras financiers, afferma, en 1718, les bois au duc de Noailles, capitaine des chasses de Saint-Germain. Il poursuivit les défrichements autour du manoir et installa plusieurs fermes; environ 80 personnes demeuraient sur place. Plusieurs plans datant de la deuxième moitié du XVIIIe siècle permettent de suivre l'évolution des lieux. En 1754, la ferme du Vésinet était constituée de bâtiments entourant des cours et formant équerre avec un jardin. De 1764 à 1773, des levées furent réalisées avec une grande précision dans tout le royaume. Les informations concernant Le Vésinet montrent que les bâtiments de la ferme avaient subi des transformations depuis 1754. Deux ailes parallèles à la rue de la République avaient été construites.

1787

Plan d'intendance de Port au Pecq (fragment)
Plan de la paroisse du Port au Pecq. ("Le présent plan et arpentage fait en vertu de l'ordonnance de Monseigneur l' intendant de la Généralité de Paris en datte du trente may dernier lequel je certifie sincère et véritable et conforme à notre procès-verbal du... octobre 1787 - Devert").

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Nouveau maître des lieux, le comte d'Artois, le futur Charles X, qui avait reçu en apanage le château neuf de Saint-Germain et les bois du Vésinet, procéda à d'importants travaux sur le manoir de la ferme. Un relevé des travaux de 1789 mentionne les sommes dépensées à cette occasion. Le bâtiment qui subsiste de nos jours au 1-3, avenue de Verdun est d'un style caractéristique de cette époque. La lecture des Mémoires de Bagatelle apporte une explication à ces extensions :

Madame la comtesse d'Artois, très paisible d'allure, un peu froide et gnagna, comme on dit d'elle à la cour, n'entend pas se gêner non plus pour la dépense. Ses goûts sont simples pourtant; elle déteste ces immenses châteaux où le prince enfouit de pareilles sommes, sans les habiter jamais; il lui faut l'air de la campagne et la simple nature pour satisfaire à cette nécessité, elle a quinze petites résidences dans l'Ile-de-France. Comme elle n'aime pas perdre de vue la tour du Temple et le prieuré, elle choisit chaque nouveau pied-à-terre le plus près possible de Paris. Elle en a un à Argenteuil, un à Asnières, celui-là charmant, notre génération l'a connu, un autre à Colombes, à Croissy, puis à Nanterre et au Vésinet, ce dernier construit spécialement pour elle. Ces diverses demeures sont des villas modestes ...

Sous la Révolution, le 10 décembre 1793, le Conseil Général du district de Montagne-Bon-Air, le nouveau nom de Saint-Germain, décida de partager l'ancien domaine royal entre les communes de Chatou, Montesson, Croissy et Le Pecq. Le territoire que cette dernière se vit attribuer engloblait l'ancien manoir et ses dépendances qui furent vendus comme bien national.
L'Empire réintégra la majeure partie des bois du Vésinet dans le domaine de la Couronne. Mais l'ancienne ferme, qui avait été acquise en 1812 par la famille Duverger (Nicolas Duverger fut maire du Pecq en 1830-1831), ne fut pas concernée et resta définitivement séparée du Vésinet.

1820
Plan cadastral napoléonien (détail),
Le Vésinet, ferme. (
tous les bâtiments sont représentés).
Archives départementales des Yvelines

 

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En 1837, le domaine fut coupé en deux par la ligne du Chemin de fer Paris / le Pecq. Le prolongement de la ligne sur un nouveau tracé en 1847 permettra de lui rendre son intégrité.

Carte d'Etat major (~ 1840)
Institut géographique national.

 

Ce domaine de 62 hectares fut ensuite acquis par le marquis d'Aligre et revint par héritage à la famille de Pomereu qui lui garda sa vocation agricole jusqu'en 1918. En 1923, il fut loti. La propriété était alors dans l'état où nous la connaissons aujourd'hui.


Ancien manoir transformé par le comte d'Artois au XVIIIe siècle
(côté avenue de la République)


Même bâtiment côté avenue de Verdun
 


Anciens communs du manoir (fin XVIIe siècle)...


...aménagés en habitation depuis 1924

La Ville du Pecq, dans le cadre de la révision de son Plan d'Occupation des Sols en 1990, a pris une mesure de protection de l'ancienne ferme du Vésinet. Ces nouvelles dispositions tendent à empêcher la disparition des bâtiments par l'obligation de reconstruire à l'identique et à rendre impossible toute construction supplémentaire sur la parcelle délimitée par les rues de Verdun, Albert-1er / Pierre-Curie et de la République.


Plan du domaine en 1914 (la zone plus claire correspond à la partie préservée).
(extrait de la plaque installée sur place par la Ville du Pecq)

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    [1] Bréhant de la Roche était devenu propriétaire entre temps, la transaction avec Gondi ayant été résiliée par le conseil d'Etat en 1600 [Arch. nat T 193.5]


© Société d'Histoire du Vésinet, 2004 - http://www.histoire-vesinet.org