Le Vésinet, revue municipale, n°55, juin 1981

Les fêtes au Vésinet, à la Belle-Epoque
Alain-Marie Foy
Membre du Comité des Fêtes, Conseiller Municipal.

La première fête patronale du Vésinet fut organisée le jour de la Sainte-Marguerite 1862, soit le dimanche 20 juillet.
Ce jour avait été choisi pour la pose de la première (et unique !) pierre de l'église et les cérémonies et manifestations attirèrent une très grande foule: la presse de l'époque parle d'une assistance de 20 000 à 40 000 personnes. Certes, le centre, le village commençait à se peupler, la gare était en service depuis l'année précédente, mais une telle affluence nous laisse aujourd'hui perplexes... Le succès fut néanmoins tel que la fête allait désormais avoir lieu régulièrement tous les ans.
Dès 1863, les attractions se déroulèrent sur trois jours. Au programme, présenté dans le Furet du Vésinet (voir illustration), on releva: des jeux divers (mât de cocagne, pour les garçons: jeux du baquet, jeux des sébilles de bois, steeple chase grotesque avec obstacles; pour les demoiselles: jeux des couturières, le fil aérien, le jeu des ciseaux), des courses à ânes, une grande ascension aérostatique avec les évolutions d'un trapéziste à 1 000 mètres d'altitude, un grand feu d'artifice tiré par RUGGIERI, une opérette et un vaudeville donnés au bénéfice des pauvres des communes de Chatou, Le Pecq et Croissy, des illuminations féériques sur les pelouses, lacs et rivières, un concert avec des œuvres de Rossini, Meyerbeer, Gretay notamment, deux bals de nuit, etc.
La fête se tint d'abord place de l'église et aux alentours, puis elle se déplaça vers la pelouse où sera édifiée la mairie. Lorsque la construction commença, la fête revint dans le centre. En 1877, elle s'installa autour de l'église (consacrée en 1865), rue Thiers et place du Marché (ouvert en 1869). Elle conserva cet emplacement une vingtaine d'années, mais, entre-temps, elle s'était développée.

La fête "patronale et communale" durait maintenant huit jours à partir du dimanche suivant la Sainte-Marguerite. C'était devenu une véritable fête foraine, avec manèges, baraques de jeux, marchands ambulants, buvettes, etc.
Vlaminck a décrit dans un de ses ouvrages de souvenirs Désobéir, la fête de 1892. lI avait alors 16 ans et vivait au Vésinet avec ses parents, 35, rue Jean Laurent, depuis 1879. Il raconte la musique des orgues limonaires, le goût de friture, les balançoires, le tournoiement des manèges de chevaux de bois ou de cochons, la foule qui sue et piétine dans la poussière. [...].

Il y avait une baraque où des femmes exécutaient la danse du ventre. Ces exhibitions exotiques, ces relents d'une Afrique en simili, étaient les derniers vestiges, les dernières épaves qui traînaient encore après l'Exposition de 1889. [...]
De l'extérieur de la baraque, on pouvait entendre des airs de danse plus ou moins tunisienne ou marocaine, que jouait un pianiste attaché à l'établissement. Des bruits de pas frappant les planches, des ronflements de tambourins soutenaient les cris et les hululements à l'instar des femmes du désert.

Cette description de la fête foraine nous fait mieux comprendre pour quoi, peu à peu, les habitants du centre montraient leur opposition à l'égard du bruit et du monde que cela entraînait pour le voisinage. Les commerçants, en revanche, y trouvaient leur intérêt.
A cette même époque, avait lieu tous les ans la fête du printemps, au rond-point national (place de la République aujourd'hui), organisée par un groupe de commerçants du premier au second dimanche de mai.
Place du Marché et de l'Eglise se tenait également la fête du 14 juillet, avec revues d'honneur », bals publics et gratuits, concours de tir, etc., pavoisements et illuminations .
Le mécontentement des habitants du centre, puis les travaux d'agrandissement de l'église (construction de la sacristie, de la chapelle de la Vierge et de la chapelle du Sacré Coeur) conduisirent en 1897 la municipalité dirigée par Charles Drevet (maire du Vésinet de 1892 à 1904) à installer la fête patronale et communale de Sainte-Marguerite avenue du Grand-Veneur, entre le Grand Lac (il n'était pas encore question d'Ibis) et le rond-point royal (if n'y avait pas encore de cerf). Ce ne fut pas du goût évidemment des riverains. Charles Drevet eut, d'ailleurs, dès 1897, l'idée d'acquérir l'île du Grand Lac, pour y installer précisément la fête, mais une autre solution fut trouvée et l'acquisition de l'île ne se réalisera qu'en 1914 Gaston Rouvier étant maire.
La Société d'Anterroches, successeur de MM. Pallu & Cie, accepta de céder à la ville en 1899 la pelouse qui s'appela bientôt pelouse du champ de fête. L'opération fut déclarée d'utilité publique par un décret du 24 novembre 1900. La Commune s'était engagée, lors de cette acquisition, à tracer deux voies le long de cette pelouse: le Conseil Municipal les baptisa le 21 décembre 1900 allée des Fêtes et allée Rouget-de-Lisle. Ce nouvel emplacement, bien entendu, rencontra des opposants dont une trentaine signèrent une pétition.


Le champ de fête en 1910 (cliché M. Constantini)

La fête foraine ou la fête du pays comme on le voit écrit, eut désormais lieu à cet endroit, mais chaque année, les riverains élevaient des protestations. En juin 1907, trois pétitions furent adressées au maire G. Rouvier. La première portait vingt-deux signatures des propriétaires riverains qui demandaient le déplacement de la fête. La seconde, émanant de cent-vingt-trois personnes, en très grande majorité des commerçants du village, souhaitait le retour de la fête à sa place primitive. Enfin, les 571 signatures de la troisième pétition étaient pour le maintien du statu quo. Le Conseil Municipal suivit cette position, mais, pour donner satisfaction aux commerçants du centre, décida d'instituer une fête du village d'une journée en septembre.


Manèges, baraques et attractions...(cliché M. Constantini, 1910)

La présente chronique est illustrée par des photos de la fête de 1910, prises par M. Constantini. Outre les manèges et attractions, il y eut deux feux d'artifice dont un nautique, quatre concerts et une course cycliste Le Vésinet / Conflans-Sainte-Honorine et retour. Ces photos montrent bien l'importance de cette fête. Sur l'une d'elles, on aperçoit le Palais rose, construit depuis 1897, et dont le comte Robert de Montesquiou-Fezensac avait fait l'acquisition en 1906 [1]. Sous son impulsion, les choses allaient se gâter.
La Commission des fêtes examine en juin 1912 pour la énième fois diverses propositions d'installation de la fête (place de l'Eglise ? du Marché ? autour de la Mairie ? pelouse de la Gare ?) avant de conclure au statu quo. Quelques jours plus tard, nouvelle pétition, des forains eux-mêmes cette fois, demandant que la fête dure trois dimanches (21 et 28 juillet, 4 août) pour n'avoir pas de temps mort entre les fêtes du 14 juillet à Paris et la fête de Chatou prévue pour les 11-18 août. Aussitôt contre-pétition des riverains, demandant le maintien de la durée habituelle deux dimanches. Et Montesquiou s'en mêle, en écrivant à la municipalité qu'après trois années de patience, il va se faire rendre justice. En septembre, le maire reçoit une assignation à comparaître devant le tribunal civil de Versailles qui fait défense à la Ville, par jugement du 2 juillet 1913, d'organiser des fêtes sur la pelouse du même nom. La Ville fait appel, mais la fête a lieu provisoirement cette année-là place de l'Eglise. On organisa néanmoins une course de canoés sur le Grand Lac, un feu d'artifice nautique, une course cycliste et une course pédestre. Le 3 août, se déroula également une fête franco-suisse.
En appel, la ville n'obtint pas davantage gain de cause en juin 1914, la Cour considérant "qu'il résultait de la nature des lieux mêmes que l'intention des fondateurs était d'éviter qu'il y ait à cet endroit des fêtes bruyantes. Que faire en conséquence? Supprimer définitivement la fête? Une pétition (encore!) de 234 noms s'y opposait. L'Union du Commerce et de l'Industrie du Vésinet demandait qu'elle ait lieu place de l'Eglise, contrairement à une pétition de six noms. Le Conseil prit alors deux décisions le 1er juillet 1914: d'une part, faire une enquête "approfondie" auprès de la population du centre, et, d'autre part, compte tenu de la proximité de la fête (26 juillet), organiser la fête place de l'Eglise et du Marché.
La fête commença bien le 26 juillet, mais le 2 août 1914, date de la déclaration de guerre, les forains ne purent ouvrir leurs établissements à cause des circonstances. Quant à l'enquête approfondie, ce n'était plus le moment...

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    Note SHV:

    [1] Quelques dates peuvent être précisées. Le Palais rose fut édifié plus tardivement, vers 1900 et le Comte de Montesquiou n'en fit l'acquisition qu'en 1908.

     


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