D'après Maurice Genevoix
-"Vlaminck, l'homme", Flammarion, 1954.
La jeunesse de Vlaminck au Vésinet
Maurice de Vlaminck est né à Paris,
le 4 avril 1876. Mais ses premiers souvenirs ne devaient pas être
parisiens. En 1879, ses parents vinrent habiter le Vésinet. D'autres
enfants, un frère, deux soeurs, étaient nés ou allaient naître :
on serait là-bas moins à l'étroit, on échapperait aux loyers trop
chers. Cette banlieue à pelouses, à villas de meulière, à murs de
clôture couronnés de culs de bouteilles, elle est généralement tenue
pour "distinguée". A travers les barreaux des grilles
– des grilles forgées, à fers de lance dorés – on entrevoit des
parasols de jardin, des chiens soignés à beaux colliers, des bassins
à poissons rouges, toutes marques d'une richesse bien assise, bien
protégée, propres à frapper durablement l'imagination et les sens
d'un petit garçon très pauvre. Puisqu'on parle volontiers de complexes,
singulièrement pour en créditer les artistes, en voici un que Vlaminck
avoue. Ce mélange d'admiration, d'envie – mais d'une envie sans
âcre jalousie, telle qu'en peuvent éveiller des merveilles inaccessibles
– jamais il n'est parvenu par la suite à en jeter tout à fait la
gourme. A peine, en ce lointain temps-là, lui arrivait-il de barbouiller
au minimum ces grilles hautaines et cossues, parce qu'elles lui
semblaient "trop belles". Plus tard, sa force physique
insigne, ses lauriers de pédaleur et de rameur devaient lui conquérir
un prestige d'une autre sorte auprès des jeunes gens du cru. Il
a conté dans un de ses livres comment il corrigea avec une vigueur
élémentaire et sauvage, pour une Hélène du Vésinet, un cocodès avantageux.
Cher Ami (M. Itassi)
Maurice de Vlaminck, 1924.
Vlaminck,
peintre encore virtuel, eut à cette époque deux maîtres, lui qui
ne s'en reconnaît aucun : M. Robichon, de la Société des Artistes
français, et un bourrelier du Vésinet. S'il tenta de copier les
oeuvres du premier, "trop belles", comme les grilles des
villas, ce furent les œuvres du second – des portraits peints sur
des bouts de verre avec des teintures et des vernis à colliers
– qui secouèrent sa sensibilité. Vlaminck a dit à Florent Fels qu'il
en gardait une impression comparable à celle que firent sur lui,
vers le même temps, les personnages de Thérèse Raquin.
Peut-être
l'ombre du bourrelier se penchait-elle sur son épaule quand il peignit,
plus tard, son portrait Cher Ami, cet étonnant, burlesque
et presque hallucinant bonhomme, croque-mort jovial à haut de forme,
à barbiche et à pince-nez.
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